Page images
PDF
EPUB

A l'instant de quitter ces messieurs, je me rappelai cette pensée d'Horace, et leur dis:

Quem sua culpa premet, deceptus omitte tueri;
At penitùs notum, si tentent crimina, serves,
Tuterisque tuo fidentem præsidio *.

* Abandonnez celui qui se sera mis dans son tort et dont vous aurez été la dupe; mais si c'est la calomnie qui l'attaque et que vous soyez sûr de son innocence, embrassez vivement sa défense.

LE CABINET DE L'OREILLE.

Quel motif vous retient en prison ? La probité, l'honneur, la délicatesse qui te sont étrangères. Peux-tu le nier, lâche et vil courtisan ? conviens du moins que c'est la supériorité de mon âme et l'énergie de mon courage qui te semblent odieuses et qui arment contre moi ta politique haineuse et avide de vengeance?

CHAPITRE III.

EN posant le pied sur le seuil de ma triste demeure, j'éprouvai ce que j'avais prévu, ce que sent le sage qui connaît le monde et le cœur humain. Je me disais comme Sénèque : « Je ne me repens point d'avoir vécu, parce que j'ai vécu de manière que j'ai lieu de croire que je ne suis pour être inutile dans ce monde; pas née aussi je n'ai rien à craindre si Dieu me traite suivant la conduite que j'ai tenue; je dois tout espérer de son impartiale justice. Telles étaient mes pensées, tandis qu'un gardien armé d'un faisceau de clefs me guidait à tra › vers des corridors. Cependant il prenait la précaution d'ouvrir et de refermer d'énormes grilles avec un soin particulier. Je voyais errer autour de moi une foule de

prisonnières qui subissaient diverses condamnations. Les unes s'applaudissaient d'avoir échappé à la peine capitale, d'autres ne cessaient de vomir d'horribles imprécations contre leurs juges. Sans cesse je les fuyais, et sans cesse elles s'empressaient autour de moi; elles semblaient se dire: « Cette captive aurait-elle mérité ses malheurs? notre devoir est de la plaindre et de la consoler

On ne peut se figurer le genre de vie que l'on mène dans une maison d'arrêt, d'où l'on ne peut sortir qu'en perdant la raison, si les juges y oublient long-temps les êtres infortunés qu'ils y font renfermer **: quels longs

* Quelques-unes de mes nouvelles compagnes s'approchèrent de moi, et m'offrirent des consolations à leur manière, qui n'étaient pas de nature à me réconcilier avec mes pensées.

** Pour me forcer, en quelque sorte, à solliciter ma mise en liberté sous caution, on imagina un genre d'humiliation fait pour révolter toute âme sensible; on voulut me forcer de paraître à l'appel du matin, confondue avec une foule de femmes, la plupart condamnées, qui subissaient leurs peines. Le sieur Fontanassa, concierge, me délégua à cet effet la surintendante de ses commandemens, pour m'inviter de venir de bonne grâce me conformer aux ordres reçus. Je réprimai le sentiment de mon indignation pour conserver toute la dignité de mon caractère. Alors je signifiai à l'humble serviteur de l'excellence des excellences que ce serait la première comme la dernière fois que je me dérangerais pour venir lui répondre. Cet acte de fermeté'me valut mon repos et me sauva des effets où pouvaient m'entraîner la colère. Ainsi donc on n'insista plus; le maître de céans y mit toute la grâce possible, et le salut de politesse fut reçu et rendu sans aucune humeur réci

proque.

supplices que ces châtimens journaliers! encore s'ils ne pesaient que sur la tête des coupables' mais ils atteignent quelquefois les innocens, et ils deviennent les armes redoutables du crédit, de la vengeance, du caprice et de la cupidité.

Un terrain stérile, sans arbres, sans verdure; un champ désert, triste usufruit des malheureux captifs, voient croître seulement l'absynthe, les ronces et d'autres plantes amères : tel était le lugubre jardin de cet antre de la misère; tel était le volcan qui s'ouvrit sous mes pas. Je venais de perdre à la fois la faveur, toutes les jouissances de l'esprit, tous les besoins du luxe, les charmes de la gloire et les douceurs de l'amitié.

J'éprouvais le besoin de rester calme au milieu de tant d'orages. Solitaire dans un pays où je faisais sentir la veille la supériorité de mes moyens, et menacée par le ressentiment d'un homme en faveur, je me voyais. délaissée par ceux sur lesquels je reposais mon espoir; et quand mes tristes regards se reportaient sur l'hôtel du ministre de la justice, je voyais mes ennemis triomphans se pencher sur le bord d'un abîme qui dérobait à leurs regards un précipice et un tombeau.

Un porte-clef venait au point du jour ouvrir la porte de mon cachot; à neuf heures il m'apportait le déjeuner et la collection des journaux. A quatre heures du soir, arrivait mon dîner; vers la chute du jour on venait écouter au cabinet de l'oreille 12, si les sylphes aériens s'entretenaient avec moi, ou si à l'exemple de cer

tains mortels ils s'éloignaient de ma présence, effrayés par l'aspect d'une maison de réclusion.

Cette personne n'était point cet aimable et doucereux vautour dont je me plaisais à peindre (dans mes souvenirs prophétiques) la candeur, la courtoisie et les touchantes attentions. Mon geôlier était un homme sombre, d'une humeur farouche; la plupart du temps il ne s'expliquait que par signes, et augmentait ainsi les tourmens des prisonniers. J'avais de la peine à obtenir l'absolu nécessaire; cependant, par une rare bienveillance, à la fin du quatrième jour, il voulut bien me gratifier d'une bouteille qui avait le rang de chandelier; il poussa la galanterie jusqu'à m'offrir une chaise pour m'asseoir, et une mauvaise table pour expédier mes dépêches. J'avoue que je n'ai jamais soupiré pour ma liberté aussi ardemment que je le fis durant soixantedix heures pour obtenir la faveur de ce bureau chancelant et incommode. Je commencais à m'apercevoir que... Nil sine magno vita labore dedit mortalibus *.

L'abattement de mon âme ajoutait encore à mes maux, et mes réflexions ne servaient qu'à augmenter mes tourmens. Hélas! disais-je, je ne chercherai point à tirer un augure favorable ou funeste de l'événement qui me retient prisonnière; j'ai besoin d'un certain courage, en songeant quelles précautions on a prises pour m'enlever toute considération. Je n'en demande pas la moitié pour me tirer d'affaire; d'ailleurs je possède la

* Dans la vie on n'obtient rien sans beaucoup de peine.

« PreviousContinue »