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délai convenu, le maître est tenu de dommages-intérêts pour brusque renvoi.

Le juge de paix, pour apprécier et fixer le montant de l'indemnité due, doit autant que possible s'en référer à l'usage des lieux.

Ainsi décidé, dans les termes suivants :

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« Nous, juge de paix : Attendu que la demande de la fille Villette a pour but d'obtenir contre Chopin le payement d'une somme de 190 fr. à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'il lui a fait éprouver et résultant de ce que le 29 décembre 1901, sans motifs justifiés, Chopin l'a brusquement congédiée de son emploi d'aide de culture; Attendu qu'à l'audience la fille Villette explique qu'une somme de 40 francs lui est due pour deux mois de gages, à raison de 20 francs par mois à échoir en janvier et fé⚫vrier 1902, et en outre une somme de 150 francs à titre de dommagesintérêts, le tout en raison de la rupture du contrat de louage intervenu entre elle et Chopin, lequel contrat, par suite de nouvelles conventions, devait se continuer à son échéance du 1er mars 1902, pour une année échéant le 1er mars 1903; - Attendu que l'action dont nous sommes saisi rentre dans les limites de notre compétence (art. 5 de la loi du 25 mai 1838), qu'il s'agit bien en effet d'une contestation entre gens de services qui se louent à l'année; -Attendu que le point qui divise les parties réside dans cette unique question de savoir si Chopin, dans les circonstances qu'il invoque, avait le droit de congédier sa domestique sans être tenu à aucune indemnité; -Attendu que s'il est généralement

admis que le maître a le droit de renvoyer son domestique sans dommages-intérêts, lorsque celui-ci a gravement manqué à ses devoirs, il faut cependant reconnaître que ce principe n'a rien d'absolu et doit fléchir dans certains cas; que, pour cela, le juge doit apprécier les conditions dans lesquelles la rupture du contrat, dont se prévaut la fille Villette, s'est produite ; — Attendu que pour justifier le brusque renvoi qui lui est reproché, Chopin allègue dans ses conclusions et a fait plaider par M Chevalier, son avoué, que la fille Villette était enceinte lorsqu'il l'a congédiée; qu'elle est d'une immoralité et d'une mauvaise conduite justifiant ce renvoi; que, dès lors, il ne lui doit aucuns dommages-intérêts; que Chopin demande la restitution des arrhes qu'il a versées (5 fr.) pour assurer l'exécution de la nouvelle convention; - Attendu qu'il convient de retenir, ce qui est acquis aux débats, que la fille Villette, âgée aujourd'hui de trente ans, est au service de Chopin comme domestique de culture depuis neuf ans; qu'à son entrée, elle était «< fille-mère », que ce fait était à la connaissance de Chopin; Que plus tard, au cours de l'année 1901, la fille Villette est accouchée d'un second enfant; que ces circonstances, qui révélaient son inconduite (atténuées il est vrai en raison de son défaut d'intelligence, mais cependant de nature à motiver son renvoi immédiat), n'ont pas préoccupé Chopin, qui n'a vu à ce moment aucun motif de rompre le contrat de louage; Attendu surabondamment que pendant tout le temps qu'a duré la gestation de la fille Villette, alors qu'elle faisait les

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travaux lui incombant, Chopin n'a pas pensé à la congédier, que c'est seulement le 29 décembre, quelques jours avant le terme arrivé de sa grossesse, qu'il lui a signifié d'avoir à déguerpir immédiatement; Attendu que Chopin avait sipeu l'intention de congédier la fille Villette, qu'une nouvelle convention verbale de louage de services, pour une année, était intervenue entre eux à partir du 1er mars 1902, que la preuve de ce fait se trouve dans les conclusions de Chopin, demandant la restitution des arrhes qu'il a versées à la fille Villette pour assurer l'exécution de cette convention; Attendu que des circonstances de fait toutes spéciales qui viennent d'être indiquées, et qui sont acquises au procès, il en résulte que Chopin a fait un usage abusif de son droit de résiliation en congédiant définitivement sa domestique avant le délai convenu; - Qu'il doit s'imputer le tort d'avoir toléré sous ses yeux une conduite dont il veut se prévaloir aujourd'hui pour rompre l'engagement verbal qu'il a contracté, et dont la demanderesse réclame l'exécution au moyen de l'allocation de dommages-intérêts; Attendu qu'il résulte de ce qui précêde que la demande de la fille Villette est fondée en principe, qu'elle est recevable, que nous ne saurions en effet décider que la réception sans réserves des gages échus constitue en renonciation par avance au droit éventuel de demander des dommages-intérêts; Que les réQue les réserves sur ce point sont de droit en raison surtout des conditions dans lesquelles ce règlement des gages échus a été effectué; Qu'il faut considérer en effet qu'au moment de

AVRIL 1903.

-

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son renvoi, la fille Villette était dénuée de ressources, à la veille d'accoucher, que de plus elle est d'une Que intelligence très bornée; nous concevons aisément qu'elle ait reçu le peu d'argent qui lui était acquis, sauf plus tard à se pourvoir contre Chopin aux fins de dommages-intérêts en raison de son renvoi; -Sur le chiffre des dommagesintérêts; Attendu qu'aux termes des articles 1134 et 1135 du Code civil, les usages locaux peuvent être invoqués en raison soit du silence de la loi, soit du contrat intervenu entre les parties; Or, attendu que d'après les usages établis dans le canton de Bellême, lorsqu'il s'agit d'un ouvrier employé à la culture congédié sans motifs, il doit lui être alloué, à titre d'indemnité, un tiers de ses gages à courir, mais pendant trois mois seulement, doublés pour les mois d'hiver; - Attendu, en ce qui concerne l'année de gages finissant le 1er mars 1902, que la fille Villette a droit aux deux tiers de ses appointements à échoir en janvier et février, soit 26 francs, que toutefois il convient de retrancher de cette somme celle de 13 francs représentant la perte des journées de travail en raison de son accouchement; Que sa demande doit être réduite de ce chef à la somme de 13 francs; - En ce qui concerne l'année de gages qui devait continuer du 1er mars 1902 au 1or mars 1903: Attendu que d'après les usages qui viennent d'être indiqués, Chopin doit une indemnité de deux mois, soit 40 francs; - Qu'il convient toutefois d'accorder à la demanderesse, à titre de supplément de dommages-intérêts, la somme de 5 francs qu'elle a reçue

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Observations.- Question de fait et d'appréciation. L'état de grossesse d'une domestique non mariée pourra, dans bien des milieux, être une raison suffisante pour légitimer le brusque renvoi de la domestique. Il en sera autrement si le maître ne s'est pas préoccupé de la moralité de la domestique, et a toléré, sans en faire grief, des grossesses antérieures. Dans ce cas, on ne peut s'expliquer que, par un pur caprice, la brusque rupture du contrat, et, par suite, le maître est tenu de dommages-intérêts envers la domestique qu'il renvoie avant le terme de l'engagement. Par suite, le même fait peut donner lieu à deux solutions contraires. C'est au juge qu'il appartient de relever les circon

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Si les maîtres tonneliers ou fabricants de tonneaux sont rangés au nombre des industriels assujettis, en cas d'accidents du travail, à la responsabilité édictée et réglée par la loi du 9 avril 1898, il n'en est pas de même des vendeurs ou marchands de vieux tonneaux dont la responsabilité demeure réglée par les articles 1382 et suivants du Code civil.

Par suite, le juge de paix saisi par l'employé d'un marchand de tonneaux non fabricant d'une demande d'indemnité temporaire formée en vertu de la loi de 1898, doit se déclarer incompétent et renvoyer le demandeur à se pourvoir devant la juridiction de droit commun.

Ainsi décidé par le jugement sui

vant :

« Nous, JUGE de paix: Attendu que Leix a fait à la mairie de Versailles, le 16 avril dernier, la déclaration d'un accident à lui survenu le 20 mars précédent en ladite ville de Versailles, alors qu'il travaillait pour le compte de Fourvel; - Que n'ayant pu reprendre son travail que le 25 avril, il a recours à notre juridiction et réclame à Fourvel: 1° le payement de son demi-salaire à partir du 20 mars, jour de l'accident, au 25 avril, à raison de 2 fr. 50

par jour, en vertu de l'article 3, § 3, de la loi du 9 avril 1898; 2o la somme de 13 francs pour frais médicaux et pharmaceutiques (art. 4 de ladite loi); 3° et celle de 15 francs pour salaires lui restant dus au 20 mars; ensemble, 105 fr. 50; Attendu tout d'abord qu'il y a lieu d'écarter du débat la dernière réclamation concernant des salaires antérieurs à l'accident, laquelle ne peut être portée que devant la juridiction de droit commun, c'est-à-dire devant le juge du domicile du défendeur (treizième arrondissement de Paris); - Qu'il y a ensuite lieu de signaler pour ordre que la loi du 22 mars 1902 n'ayant pas modifié le délai fixé par l'article 3 de la loi de 1898, le demi-salaire ne serait dû qu'à partir du troisième jour de l'accident; Attendu que sur la demande ainsi rectifiée, Fourvel soutient que lors de l'accident Leix n'était nullement à son service, mais qu'il est simplement un confrère travaillant pour son propre compte, dont il transportait les marchandises avec les siennes sur sa voiture, selon les usages de leur profession, usages qu'il établit par les signatures de soixante marchands de futailles de Paris et de la banlieue; - Attendu que Leix, malgré une remise de la cause à quinzaine, ne donne aucune preuve juridique de nature à infirmer la déclaration de Fourvel et à justifier de sa propre prétention; Attendu, d'autre part, qu'en dehors de conclusions formelles du défendeur à cet égard, il convient, au point de vue de notre compétence ratione materiæ, de rechercher si la profession de Fourvel est assujettie à la loi de 1898; Attendu que des termes mêmes des

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articles 1er, 25 et 28 de ladite loi, il paraît résulter qu'elle s'appliquerait seulement aux exploitations industrielles, à l'exclusion des entreprises purement commerciales; Que s'il est généralement admis aujourd'hui que les énonciations de l'article 1er ne doivent pas être prises dans un sens absolument restrictif, que si même elles ont été largement étendues par la jurisprudence et surtout par les avis ayant un caractère en quelque sorte officiel du comité consultatif des assurances, il ne s'ensuit pas que cette extension doive être illimitée et qu'il appartient aux Tribunaux de veiller à ce qu'elle ne devienne pas abusive et ne dépasse pas les intentions du législateur; - Attendu qu'une circulaire du ministre du commerce du 8 juin 1901, publiée au Journal officiel, dans le but de dégager les principes généraux dont, en cas d'hésitation, on pourrait s'inspirer pour interpréter ces intentions, est. accompagnée d'un tableau général des professions passibles de la taxe additionnelle, établie par l'article 25 de la loi de 1898 sur les patentes des industriels, visés par l'article 1er; Que ce tableau fort étendu embrasse plus de mille professions; Qu'il comprend bien les fabricants de tonneaux pour expéditions maritimes et commerciales, les maîtres tonneliers, les tonneliers à façon; en un mot ceux qui fabriquent les tonneaux, mais non ceux qui simplement les vendent ; — Attendu en l'espèce que Fourvel est patenté comme marchand de vieux tonneaux; Que cette profession, qui consiste à recueillir chez les particuliers des fûts ayant déjà servi et à les revendre après les avoir net

toyés et mis en état, n'a aucun caractère industriel; - Que si Fourvel est effectivement imposé à la taxe additionnelle dont il est question ei-dessus, ce fait étant d'ordre purement fiscal, ne peut avoir d'influence au point de vue juridique; - Que de ces considérations il résulte donc: 1° que Leix ne justifie pas suffisamment qu'au moment de l'accident il était l'employé du défendeur; 2o et que la profession de Fourvel ne paraît pas rentrer dans ces industries prévues par l'article 1er de la loi du 9 avril 1898; Par ces motifs, vidant notre délibéré, et statuant par jugement contradictoire en premier ressort; Disons que nous sommes incompétent pour connaître de la demande de Leix, en ce qu'elle tend à l'application des articles 3, § 3, 4 et 15, de la loi précitée, le renvoyons à se pourvoir devant la juridiction de droit commun et par la procédure ordinaire, en vertu des articles 1382 et suivants du Code civil, et le condamnons aux dépens, sous le bénéfice toutefois de l'assistance judiciaire accordée par l'article 22 à toutes les demandes de cette nature. >>

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tuer sur la demande. Il convient de ne pas étendre outre mesure l'application de cette loi au delà des prévisions du législateur, et même la circulaire du ministre ci-dessus visée n'est pas, à ce point de vue, exempte de ce reproche. Mais cette circulaire ne constitue qu'une interprétation que le juge n'est pas tenu de suivre, car lui seul a pouvoir d'interpréter la loi quand il est appelé à l'appliquer. On remarquera que dans ce procès, et bien qu'il se soit déclaré incompétent, M. le juge de paix du canton sud de Versailles a maintenu au demandeur le bénéfice de l'assistance judiciaire. Nous pensons que sa décision sur ce point est à la fois humaine et juridique. Il s'agit bien au procès d'un accident du travail. Par suite, l'ouvrier blessé a pu croire de bonne foi qu'il avait droit d'invoquer le bénéfice de la loi spéciale. Il serait excessif de lui faire supporter les frais de son erreur bien excusable.

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