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A M. MASCLET.

Lagrange, 22 novembre 1800.

J'étais bien sûr, mon cher ami, que votre cœur participerait à la fête de réconciliation, et que vous seriez bien aise d'apprendre que j'y avais assisté (1). Vous savez que M. et madame de Tessé ont été rayés à cette époque; c'est une obligation que j'ai à Bonaparte et qui m'a fait un vif plaisir.

Je n'irai point en Amérique, mon cher Masclet, du moins avec un caractère diplomatique; je suis loin de renoncer à des visites particulières et patriotiques aux États-Unis et à mes concitoyens du Nouveau-Monde; mais à présent je suis beaucoup plus occupé de fermes que d'ambassades; il me semble que si j'arrivais là autrement habillé qu'en uniforme américain je me trouverais aussi embarrassé de ma contenance qu'un sauvage en culotte. Au reste le mier consul ne m'en a point parlé. Je vous félicite d'avoir vu lord Holland; il lui aurait suffi pour m'attacher à lui de la manière dont en 90 il prononçait le nom of his uncle Charles (2); il a mérité depuis que le sien fût prononcé par tous les amis de la liberté avec un vif intérêt, et par moi avec une profonde reAdieu, mon cher ami, etc.

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(1) Le traité d'amitié et de commerce entre la France et les ÉtatsUnis, signé le 30 septembre 1800. (Voy. la p. 166 de ce vol.)

(2) M. Charles Fox était le troisième fils de Henri Fox, premier lord Holland et secrétaire d'état au département de la guerre, sous le règne de George II.

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A M. CHARLES FOX.

Paris, 26 décembre 1800.

Un voyage dans les montagnes d'Auvergne m'avait privé, monsieur, des moyens de vous écrire ; j'ai · le plaisir en arrivant pour quelques jours ici d'y trouver une occasion de vous exprimer ma reconnaissance et mon profond attachement. Permettezmoi d'espérer quelquefois de vos nouvelles; l'honneur de votre correspondance sera une des plus douces jouissances de ma retraite, comme votre approbation a été une des plus précieuses récompenses de ma vie politique.

Je suis aussi touché que flatté de votre sentiment sur ma situation parce qu'il témoigne à la fois l'attention que vous y avez portée, et cette sympathie de liberté et de patriotisme qui unira toujours, j'ose le dire, certaines âmes. On a tant profané chez nous les principes et les noms les plus sacrés qu'il n'est possible aujourd'hui que d'en revendiquer le culte, et de s'abstenir de ce qui les blesse; encore doit-on se prévaloir d'un privilège de vétéran, car il est utile que de bons citoyens exercent une partie des emplois réparateurs sous le gouvernement d'un homme qui, par tout ce qu'il réunit et même par ce qui lui manque, s'est trouvé singulièrement approprié aux circon

stances.

Le régime qu'il acheva de dissoudre était tyrannique, et n'était plus représentatif; sa dictature entourée d'institutions puériles et bizarres, a néanmoins

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l'assentiment actuel de la nation qui lui attribue son repos, en attend la paix, y voit une garantie contre les antiques prétentions et les excès récents. Le dernier attentat, aussi effrayant qu'atroce, intéresse de plus en plus au salut de Bonaparte (1).

Je souhaite que sa passion pour la gloire, d'accord avec une ambition bien entendue, prédomine assez pour qu'il cherche dans la liberté le complément de sa prodigieuse existence. Puissions - nous avoir une telle obligation au vainqueur de mes geôliers qui a rappelé mes amis !

<< La guerre continentale va finir; votre ministère répondra-t-il au vou sincèrement pacifique du gouvernement français? La réconciliation de nos patries pourrait être scellée par de grands bienfaits envers l'humanité ; elle terminera du moins de grands maux. Je lui devrai le bonheur de vous recevoir dans ma ferme solitaire au milieu de personnes qui furent préservées, consolées et à jamais honorées par votre intérêt.

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J'espère que notre ami Fitz-Patrick vous accompagnera; offrez-lui, je vous prie, mes plus tendres compliments. Je m'unis de cœur à toutes vos occupations, à cette vertueuse opposition qui daigna prendre ma défense et qui conserve le dépôt des idées libérales, à la conduite personnelle de l'illustre chef que j'aime autant que je l'admire, et pour qui ces sentiments de vénération, d'affection et de gratitude dureront autant que ma vie.

(1) Cette lettre fut écrite trois jours après l'attentat du 3 nivôse (23 décembre 1800). Voyez celle de M. Fox, p. 170 de ce vol.

A M. JEFFERSON,

PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS (1).

20 juin 1801.

MON CHER AMI,

J'avais été bien long-temps sans recevoir de vos nouvelles lorsque j'ai reconnu avec joie votre écriture sur l'adresse de la lettre apportée par M***. Je me suis rendu sur-le-champ à Paris afin d'apprendre par lui des détails sur tout ce qui concerne notre chère patrie américaine et son digne président. Tout ce que j'ai su m'a donné une satisfaction d'autant plus grande qu'outre la patriotique affection qui me lie aux EtatsUnis, je vois que l'exemple d'un gouvernement fondé sur les simples principes de la liberté, et soutenu par eux, n'a jamais été si nécessaire pour réformer les idées qui dominent dans ce moment. Vous pourriez à peine comprendre à quel point elles sont changées en France. Ceux qui ont gagné ou perdu à la révolution, ont également subi l'impression commune; l'égalité seule a conservé des partisans. Au milieu d'une grande profusion de semences libérales jetées sur cette terre au commencement de la révolution, et quoiqu'elles aient toutes été gâtées, foulées aux pieds, il en est encore resté assez pour améliorer essentiellement la condition du peuple; sans doute il s'en conserve d'autres à présent enfouies; mais tandis que les droits des hommes sont tout à (1) Depuis le mois de mars 1801.

fait passés de mode dans l'ancien monde, je trouve de la consolation à espérer que lorsqu'à la paix les Français considéreront l'état de ma jeune patrie adoptive, le parfait accord de la philanthropie et de la liberté, de l'énergie et du bon ordre, appellera encore une fois son aînée à la connaissance de ses droits. Il semble, mon cher ami, que vos partisans et vos adversaires se soient entendus pour vous rendre propre à donner à cette démonstration toute sa force. Je compte aussi sur l'élévation de votre ame et l'aménité de votre caractère pour adoucir la violence des partis à l'intérieur, pour les ramener à ce degré convenable de vivacité qui doit nécessairement exister toujours dans un pays libre.

Votre message a eu parmi les amis de la liberté, ou ceux qui prétendent l'être, le grand succès qu'il mérite. Tous les yeux sont fixés sur vous, et du fond de ma retraite agricole, mon cœur suit toutes vos démarches.

Les dépêches officielles vous auront appris l'échange des ratifications, la situation politique de l'Europe, et les nouvelles de l'Egypte. Je ne m'étendrai pas sur ces objets. -La santé de ma femme s'améliore un peu; mon fils est à présent avec moi après avoir reçu deux balles à la bataille du Mincio, et va sous peu rejoindre son régiment à Milan. Toute la famille demande à être rappelée à votre souvenir. Mon excel· lent ami, Bureaux de Pusy, m'a bien souvent parlé de vos tendres questions sur tout ce qui me touche et des vœux que votre amitié formait. J'ai été charmé d'apprendre qu'il avait eu le bonheur de rendre quelques services aux États-Unis.

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