Page images
PDF
EPUB

Acceptez l'assurance d'une haute estime, d'un vif intérêt, et d'une éternelle amitié.

AU GÉNÉRAL FITZ-PATRICK.

Paris, 19 juin 1802 (1).

Il serait très aimable à vous, mon cher Fitz-Patrick, d'obtenir de vos amis, lorsqu'ils viennent en France, l'engagement de visiter une retraite où je serais heureux de les recevoir. Je m'attache de plus en plus à la vie rurale qui convient à mes goûts personnels autant qu'à l'état de discordance des affaires publiques avec mes vieux principes. Ma dernière lettre vous exprimait ainsi qu'à M. Fox la part que j'ai prise à votre affliction et l'hommage que mon cœur ne cessera de rendre à la mémoire de l'excellent duc de Bedford. J'espère, mon cher ami, que le rétablissement des postes va lier, à quelques accidents près, notre correspondance, et d'ailleurs il se présentera de fréquentes occasions; mais celle que je désire avec ardeur, est l'accomplissement de l'heureux projet de M. Fox. Vous l'accompagnerez sans doute dans le voyage... Quelle félicité pour moi, pour ma famille, de vous recevoir à Lagrange! M. Fox se propose, dit-on, de s'occuper en France de son ouvrage (2);

(1) Trois mois après le traité de paix avec l'Angleterre, signé à Amiens le 25 mars.

(2) M. Fox écrivit, dans les dernières années de sa vie, « une histoire « des deux derniers rois de la maison de Stuart, suivie de pièces origi

[ocr errors]

nales et justificatives. » Cet ouvrage, que la mort de son auteur au mois de septembre 1806 a laissé inachevé, a été traduit en 1809, et publié avec des suppressions et mutilations exigées par la censure,

j'aime à me flatter qu'il lui sera commode d'être à treize lieues de Paris, à l'abri de toute interruption; il faut que je vous aie, à l'un et à l'autre, cette obligation de plus. Vous apprendrez avec plaisir que mon fils est au comble du bonheur par son mariage avec la fille de Tracy, mon collègue constituant, aujourd'hui sénateur, et toujours fidèle à la liberté. Ce sentiment presque éteint en France, mais qui se ranimera tôt ou tard, vient de subir une nouvelle épreuve : Bonaparte a voulu la permanence de ce pouvoir exorbitant qui n'avait d'excuse que dans le besoin d'une dictature réparatrice, et qui n'eût été tolérable pour les bons citoyens qu'en se dirigeant vers la prompte restauration de la liberté publique; aussi ai-je déclaré que j'attendais pour voter qu'elle eût été suffisamment garantie (1); mais de toutes les combinaisons la plus désirable, était que le premier consul y cherchât le complément de sa gloire. Adieu, mon cher Fitz-Patrick; offrez à mes amis l'expression de mon reconnaissant attachement, et agréez la tendre amitié que je vous ai vouée.

A M. JEFFERSON.

Lagrange, 26 février 1804.

MON CHER AMI,

Je vous remercie d'avoir bien voulu regretter que je ne fusse pas sur les lieux, pour pouvoir être honoré de votre choix comme gouverneur de la Loui

(1) Voy. la p. 199 de ce vol.

siane (1). Au milieu des voeux ardents que je forme pour l'extension de la liberté américaine, j'aurais été particulièrement heureux d'en surveiller le développement parmi cette population d'origine française, mais tous les motifs sont réunis pour que ces frères d'adoption comprennent et s'assurent pour toujours, à eux comme à leur postérité, l'honneur et les avantages d'une telle association.

Le message du 17 octobre, que contenait votre lettre, est un noble témoignage des biens que procurent une bonne constitution et une administration patriote et éclairée. Mon cœur est consolé d'entendre ce langage, d'être témoin de ces résultats, et ce n'est pas sans une douce émotion que je lis le dernier mot, la signature de mon ami.

Je m'en rapporte à la correspondance de M. Livingston, pour vous rendre compte de la dernière découverte et des publications qui y ont rapport (2). Je m'étonne et je m'afflige de trouver le nom de Moreau sur la liste des accusés. Cette assertion a besoin d'être soutenue dans une procédure légale et publique; mais je crois à la réalité d'un complot contre-révolutionnaire, à une combinaison contre la

(1) Dans une lettre du 4 novembre 1803, M. Jefferson avait écrit au général Lafayette : « J'aurais bien sincèrement souhaité que vous eussiez été sur les lieux, afin que nous eussions pu réclamer vos services comme gouverneur de la Louisiane. Les circonstances exigeaient que celui qui serait nommé à cet emploi entrât sur-le-champ en charge. - L'Espagne a protesté contre le droit qu'avait la France de nous céder la Louisiane. Nous avons envoyé des troupes chargées de recevoir la remise ou de prendre possession, et nous saurons dans un mois quels sont les obstacles qu'elles auront rencontrés.

(2) La conjuration de Pichegru et de ses complices dans les derniers jours de février. Voy. les p. a1a et 215 de ce vol.

vie de Bonaparte, et à la complicité du cabinet anglais.

J'avance chaque jour dans la guérison de ma fracture (1); j'espère qu'elle sera complète. Ma femme désire être affectueusement rappelée à votre souvenir; nous vivons en famille, à Lagrange, avec nos enfants et trois petits-enfants. J'offre de tendres compliments à notre cher Madison, et de nouvelles assurances de ma gratitude à M. Gallatin (2). Recevez, etc.

A M. JEFFERSON.

Lagrange, 8 octobre 1804.

MON CHER AMI,

Je vous ai annoncé que je comptais répondre, avec détail, à vos communications (3). Mais quoique je

(1) Voy. la p. 204 de ce vol.

(2) M. Gallatin dirigeait alors les finances des États-Unis, et M. Madison, qui fut plus tard président, était secrétaire d'État.

(3) M. Jefferson avait annoncé au général Lafayette que, par décision du congrès, les terres qui lui avaient été allouées comme ancien major-général de l'armée américaine, seraient placées en Louisiane. En lui donnant avis de cette faveur, il l'engageait à se rendre dans le nouvel état, et disait : « J'aimerais mieux votre seule présence que celle d'une armée de 10,000 hommes pour assurer la tranquillité du pays. » Les anciens habitants français s'attacheraient immédiatement à vous et aux États-Unis. Vous annulleriez les efforts de ces désorganisateurs étrangers qui arrivent en foule. » ( 30 mars 1804.) — Dans une autre lettre du 17 juin de la même année, M. Jefferson renouvelait ses instances auprès du général Lafayette : « L'importation des esclaves sollicitée par la Louisiane, disait-il, ne sera jamais accordée; peut-être permettra-t-on l'importation de ceux des autres états; mais vous voudrez recourir à d'autres moyens d'exploitation. Une colonie d'ouvriers français, auxquels pourraient se joindre quelques fugitifs de SaintDomingue, habitués à la culture, commenceraient les travaux. Vous débuteriez avec environ cinquante tenanciers, dont le nombre s'ac

---

fusse si vivement sollicité par l'amitié, la reconnaissance et le patriotisme américain, je n'ai point écrit, n'ayant pas eu d'occasion. J'ai été aux eaux du MontDore qui, probablement, complèteront ma guérison à un second voyage. J'ai été ensuite à Chavaniac, chez ma vénérable tante, âgée de quatre-vingt-trois ans. Grâce à Dieu, elle vit encore; mais tandis qu'elle trouve dans nos visites annuelles la consolation, et je puis dire la conservation de sa vieillesse, sa sensibilité est telle, qu'il faut du temps pour la préparer au chagrin de notre départ. Ma femme m'avait accompagné; sa santé, qui ne s'est jamais rétablie depuis ses malheurs, et particulièrement depuis le séjour malfaisant d'Olmütz, a encore différé notre retour. Ainsi, jusqu'à ce moment, je n'ai pu vous donner ma réponse confidentielle. Je m'aperçois que je viens d'indiquer les trois obstacles de nature privée qui, au milieu de tant de motifs d'attraction vers l'Amérique, pourraient être présentés comme devant au moins différer mon départ, s'il n'était plus conforme à vos habitudes, comme aux miennes, de considérer la question premièrement sous le rapport de l'intérêt public.

Je ne puis aller plus loin sans exprimer le sentiment de vive reconnaissance que m'inspire la magnificence du congrès et tout ce que je vous dois.

croîtrait annuellement à mesure que l'expérience indiquerait les meilleurs procédés. Ne seriez-vous pas heureux, mon cher ami, d'être ainsi entouré de familles qui vous regarderaient comme leur père, de devenir réellement le père du nouvel état, car tous, Américains et Français, vous considéreraient comme le lien de leur union? Quittez donc, mon cher ami, le sol qui tremble sous vos pas, et venez dans un pays où vous pouvez faire tant de bien. »

« PreviousContinue »