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ange si tendre a parlé dans sa maladie, ainsi que dans les dispositions qu'elle avait faites il y a quelques années, et qui sont un modèle de tendresse, de délicatesse et d'éloquence du cœur.

Vous parlerai-je du plaisir sans cesse renaissant que me donnait une confiance entière en elle, jamais exigée, reçue au bout de trois mois comme le premier jour, justifiée par une discrétion à toute épreuve, par une intelligence admirable de tous les sentiments, les besoins, les voeux de mon cœur; et tout cela mêlé à un sentiment si tendre, à une opinion si exaltée, à un culte, si j'ose dire, si doux et si flatteur, surtout de la personne la plus parfaitement naturelle et sincère qui ait jamais existé !

C'est lundi que cette angélique femme a été portée, comme elle l'avait demandé, auprès de la fosse où reposent sa grand'mère, sa mère et sa sœur, confondues avec seize cents victimes (1); elle a été placée

à

part, de manière à rendre possibles les projets futurs de notre tendresse. J'ai reconnu moi-même ce lieu lorsque George m'y a conduit jeudi dernier et que nous avons pu nous agenouiller et pleurer ensemble.

Adieu, mon cher ami; vous m'avez aidé à surmonter quelques accidents bien graves et bien péni

parce qu'il vous a ainsi dispersés parmi les peuples qui ne le con«< naissent point, afin que vous publiiez ses miracles, et que vous leur appreniez qu'il n'y en a point d'autre que lui qui soit le Dieu toutpuissant. C'est lui qui nous a châtiés à cause de nos iniquités, et c'est lui qui nous sauvera pour signaler sa miséricorde. Considérez donc la manière dont il nous a traités, bénissez-le avec crainte et avec « tremblement, et rendez hommage par vos œuvres au roi de tous les « siècles. Pour moi, je le bénirai dans cette terre où je suis captive, etc. » (Tobie, chap. XIII, v. 2, 3, 4, 5, 6 et 7.)

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(1) Dans le cimetière de Picpus. Voy. la p. 271 du 4o vol.

bles auxquels le nom de malheur peut être donné jusqu'à ce qu'on ait été frappé du plus grand des malheurs du cœur: celui-ci est insurmontable; mais, quoique livré à une douleur profonde, continuelle, dont rien ne me dédominaġera; quoique dévoué à une pensée, un culte hors de ce monde, et j'ai plus que jamais besoin de croire que tout ne meurt pas avec nous, je me sens toujours susceptible des douceurs de l'amitié... Et quelle amitié que la vôtre, mon cher Maubourg!

Je vous embrasse en son nom, au mien, au nom de tout ce que vous avez été pour moi depuis que nous nous connaissons.

Adieu, mon cher ami.

A M. JEFFERSON.

Lagrange, 18 novembre 1809.

MON CHER AMI,

Je ne sais plus quand je pourrai goûter la consolation de votre correspondance.-Il y a eu du fracas en Europe. Je ne parle pas de l'expédition anglaise commandée par lord Chatam; on doit en toute justice dire que, quelles que fussent ses intentions, ses troupes, vu leur nombre et la situation où se trouve la côte, ont fait aussi peu de mal que possible (1).—

(1) La cinquième coalition commença au mois d'avril 1809. Le Tyrol, cédé par le traité de Presbourg (26 décembre 1805), se souleva; mais le 13 mai, après la victoire d'Eckmühl, l'armée française occupa Vienne pour la seconde fois. Le 6 juillet, la bataille de Wagram

L'Espagne est le théâtre d'une énergique résistance, de barbaries réciproques et d'une horrible destruction. L'empereur d'Autriche s'est cru obligé de signer une paix, moins mauvaise à la vérité que celle dont on l'avait menacé, mais telle encore, que son influence et son territoire sont considérablement diminués, et ses partisans abandonnés à la merci du vainqueur. Les deux seuls peuples qui opposent à nos troupes une vigoureuse résistance, les Espagnols et Tyroliens n'étaient gênés par la présence d'aucun roi ni prince (1). Vous vous occupez peu des intérêts de l'église romaine... Je vous dirai pourtant qu'une excommunication réelle, quoique mitigée, contre l'empereur, a été suivie de l'enlèvement du pape, et que des cardinaux effrayés sont accourus à la chapelle impériale offrir leur assistance volontaire au service divin (2). Les routes amena le traité signé à Vienne le 14 octobre entre la France et l'Autriche, obligée de céder Salsbourg, Gorice, Montefalcone, Trieste, le cercle de Villach, tous les pays à la droite de la Save, la Gallicie occidentale avec Cracovie, le cercle de Zamosc, etc. L'Autriche reconnaissait en même temps les changements survenus ou qui pourraient survenir en Espagne, en Portugal, en Italie, et adhérait au système prohibitif adopté par la France et la Russie contre l'Angleterre. Pendant cette campagne, l'amiral Chatam dirigea à l'embouchure de l'Escaut une expédition qui fut repoussée.

(1) Par le traité de Bayonne, du 5 mai 1808, Charles IV avait cédé ses titres sur les Espagnes à Napoléon; il se rendit à Compiègne quelques jours après, en même temps que Ferdinand, prince des Asturies, les infants don Carlos et don Antonio, partirent pour Valençay, département de l'Indre, après avoir envoyé à Madrid leur adhésion au traité du 5 mai. A la fin du mois, l'Espagne était soulevée; une junte provinciale, tenue à Madrid, proclamait Ferdinand VII (27 mai). — En même temps, Joseph Napoléon fut proclamé roi d'Espagne par son frère.

(2) La bulle d'excommunication du pape Pie VII, contre Napoléon et ses coopérateurs à l'envahissement de Rome, fut émise le 11 juin 1809, le lendemain de la promulgation à Rome du décret ordonnant la réunion des états de l'Église à l'empire français. L'enlèvement de Pie VII eut lieu le 6 juillet.

sont couvertes de rois et de princes qui viennent faire leur cour, et recevoir des ordres pour la confédération du Rhin et les autres territoires dépendants du trône supérieur. J'aimerais mieux voir des députés popu laires se rendant à une fédération générale de liberté et d'égalité, mais je ne puis m'empêcher de remarquer la prodigieuse influence du mouvement révolutionnaire égaré dans sa route, de l'enthousiasme et des talents dont une monarchie aristocratique aurait toujours empêché le déploiement. On dit à présent dans la portion la plus pensante de l'Allemagne et ailleurs, que c'est la seule manière de rétablir un équilibre de principes ou un équilibre de lumières, expressions qui assurément ne sont pas applicables à notre oscillation rétrograde vers la monarchie absolue et les priviléges héréditaires.

Que dirai-je des affaires américaines par rapport à l'Europe? la conduite de la Grande-Bretagne a été et continue d'être insolente, malicieuse et peu franche; de ce côté, les États-Unis ont à combattre non seulement un principe général d'ambition et de despotisme maritime, mais encore une rancune particulière qui a devancé la jalousie nationale (1). En France, le

(1) En 1806, le gouvernement britannique mit en vigueur le système du blocus nominal, et prétendit interdire aux Américains le commerce avec la France et les états qui en dépendaient. Alors, par un décret du 21 novembre de la même année, daté de Berlin, l'empereur déclara les îles britanniques en état de blocus pour tout le continent, défendit tout commerce et correspondance avec elles, et ordonna de saisir toute marchandise de provenance anglaise. Le 11 novembre 1807, l'Angleterre, par représailles et en vertu des ordres du conseil, retira aux neutres la faculté de commercer avec tout pays d'où son propre commerce était exclu, les soumit à un droit de visite, avec pouvoir de les amener dans ses ports, d'examiner et imposer leurs

peuple et même les membres du gouvernement voudraient maintenir le droit des neutres et former des liens plus intimes avec l'Amérique, mais l'idée fixe et erronée qui dirige la politique de l'empereur le fait agir d'une manière toute contraire à ce que la justice, l'intérêt national et sa propre haine contre l'Angleterre auraient dû dicter. Je suis si convaincu de cette vérité, que tous les jours j'espère que ses grandes facultés de discernement et de calcul lui feront à la fin découvrir qu'il suit une fausse direction dans son plan contre la Grande-Bretagne.

Quoique je ne vous apprenne rien de nouveau, je trouve toujours un grand plaisir à vous exprimer l'affection et l'estime qui m'ont dévoué à vous pour toujours.

A M. JEFFERSON.

Paris, 20 février 1810.

Le récit des actes de ce pouvoir impérial, singulier mélange de grandeur empruntée à la

cargaisons. En opposition à ces ordres du conseil, un décret de Milan, du 17 décembre 1807, déclara que tout bâtiment qui s'y soumettrait serait dénationalisé et de bonne prise; un grand nombre de vaisseaux américains furent de la sorte saisis dans les ports de France, d'Espagne et de Naples. Aux mois de décembre 1807, de mars 1809, et de mai 1810, le congrès opposa à ces violences réciproques un embargo général prohibant toute relation commerciale des États-Unis avec l'Angleterre ou la France. C'est alors que, le 28 avril 1811, Napoléon rapporta une partie de ses décrets à l'égard de l'Amérique, rétablit avec elle de plus justes relations, tandis que le gouvernement britannique, par sa persistance dans l'application rigoureuse des ordres du conseil, provoqua la guerre de 1812.

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