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révolution et d'abaissement contre-révolutionnaire vous apprendra nos triomphes sur les ennemis étrangers, le récent agrandissement de notre territoire hors des limites qui lui conviennent, ainsi que de nouvelles mesures contre la liberté publique (1). L'attention générale se porte principalement sur les progrès de nos armées au sud de l'Espagne (2), et l'incorporation de la Hollande à la France. Ce dernier évènement met en fuite les capitaux, en même temps qu'on fait espérer aux capitalistes que l'empereur est sur le point d'entamer avec l'Angleterre quelques négociations (3). On est aussi très occupé de la rupture avec le pape qui jette le gouvernement français dans les divers embarras attachés aux disputes de ce genre partout où l'égalité religieuse n'est pas complète, du mariage de Bonaparte avec une archiduchesse d'Autriche, fille de l'empereur François et d'une princesse Bourbon (4), ce qui lie par la plus intime parenté Bonaparte à la maison d'Autriche et à toutes les bran

(1) Les dernières dispositions du Code pénal furent promulguées le 2 mars. Un décret impérial du jour suivant établissait huit prisons d'état permanentes. Il suffisait, pour que la détention fût ordonnée, d'une simple décision du conseil privé, sur le rapport du ministre de la police ou de la justice.

(2) Le 2 février 1810, Séville, siége de la junte suprême des insurgés espagnols, avait été occupée. Alicante, Carthagène, Cadix, où se réfugia la junte, et l'île de Léon, étaient les seuls points où n'avaient pas encore pénétré les troupes françaises.

(3) Le 16 mars, par un traité entre l'empereur et son frère Louis, roi de Hollande, celui-ci céda le Brabant hollandais, la Zélande et la partie de la Gueldre située à la gauche du Wahal. - Le cours de la rente s'éleva à cette époque à l'un des taux les plus élevés qu'il ait atteint sous l'empire (84 fr. 50 c.). La Hollande ne fut entièrement incorporée que le 13 décembre, en même temps que les villes anséatiques.

(4) La convention de mariage est du 7.

ches de celle de Bourbon. Cette alliance plaît généralement aux gens de l'ancien régime, et mécontente ceux qui ont pris part à la révolution. Cette lettre en accompagne une autre, et je finis en vous offrant, etc....

A M. JEFFERSON.

Lagrange, 4 juillet 1812.

Voici, mon cher ami, l'anniversaire de ce grand jour (1), où l'acte et l'expression ont été dignes l'un de l'autre ; ce double souvenir aura été heureusement renouvelé dans votre paisible retraite par la nouvelle de l'extension du bienfait de l'indépendance à toute l'Amérique (2). Nous avons eu le plaisir de prévoir

(1) Le trente-sixième anniversaire de la proclamation de l'indépendance américaine en 1776. Cet acte avait été rédigé par M. Jefferson.

(2) Une première tentative de soulèvement, dirigée par Miranda, avait eu lieu dès 1806 à Caracas, dans l'Amérique du Sud; elle fut comprimée. La nouvelle des évènements de la métropole, arrivée au mois de juillet 1808, décida les six provinces de Caracas ou Venezuela à réclamer d'importantes réformes. Le 19 avril 1810, elles érigèrent une junte suprême pour le maintien des droits de Ferdinand VII, en même temps qu'on décida l'arrestation des magistrats espagnols. Les chefs de cette entreprise ayant été déclarés en état de rébellion par le gouvernement d'Espagne, le 5 juillet 1811 l'indépendance de la république de Venezuela fut proclamée. Les vingt-deux provinces de la Nouvelle-Grenade formèrent une junte à Santa Fé de Bogota, le 20 juillet 1810. Au Mexique, diverses insurrections éclatèrent au mois de septembre 1810 et en 1811.-Les vingt provinces de Rio de la Plata ou Buenos-Ayres eurent aussi leur junte, le 21 mai 1810, et le 13 janvier 1813, une assemblée constituante y fut convoquée. — L'insurrection du Chili se manifesta en 1810; un congrès y fut remplacé, en décembre 1811, par une junte.-On sait qu'après le rétablissement de Ferdinand VII, l'envoi de nouvelles troupes espagnoles fut suivi, dans ces diverses provinces, d'une longue lutte et de leur complète indépendance.

cet évènement et la bonne fortune de le préparer ; mais probablement nous n'en aurions pas été témoins sans l'ambition du despote européen. Autrefois vous m'avez vu aussi plein d'espoir pour la France dans ce même mois de juillet, et vous approuvâtes ma courte déclaration dont nous nous flattions que l'effet serait aussi durable qu'il fut communicatif et déterminant. Cependant, quelles qu'aient été la violation, la corruption, et en dernier lieu la proscription avouée des idées libérales, je suis convaincu qu'elles se sont conservées plus qu'on ne le croit généralement, et qu'elles ranimeront encore l'ancien comme le nouveau monde.

Dans ce moment, d'immense forces continentales, sous Napoléon, vont attaquer l'empire russe, en prenant les bords du Niemen pour point de départ. Alexandre livrera-t-il des batailles rangées? Demandera-t-il des conférences? Il court risque, dans l'un ou dans l'autre cas, d'être défait ou attrapé; mais, s'il traîne la guerre en longueur, il pourra bien embarrasser son rival (1). Après tout, rétablir la Pologne et réprimer l'extension des frontières occidentales de la Russie, ne serait pas un mauvais système de politique européenne. L'Espagne continue de montrer, par sa courageuse défense, combien il lui a été avantageux d'être débarrassée de ses princes, et ne veut se laisser

(1) L'abandon du système de blocus continental par un ukase de l'empereur Alexandre, du 31 octobre 1810, l'occupation d'Oldenbourg et l'agrandissement du duché de Varsovie, avaient été suivis d'un traité de la France avec l'Autriche et la Prusse contre la Russie (14 mars et 24 février 1812). De son côté, l'empereur Alexandre traita, le 8 avril, avec le nouveau roi de Suède, avec l'Angleterre et l'Espagne, au mois de juillet suivant. La guerre avait commencé le 23 juin. La bataille de la Moskowa eut lieu le 7 septembre, et l'entrée à Moscou le 14.

gouverner ni par l'Angleterre, ni par son régent. Les ordres du conseil sont enfin rapportés (1); j'en suis d'autant plus heureux, que je souhaite ardemment que les États-Unis ne soient pas enveloppés dans une guerre.

Ma lettre partira avec les dépêches de M. Barlow par qui les États-Unis sont très-habilement repré

sentés.

Nous avons ici un exemplaire seulement de l'ouvrage traduit sous votre protection (2). Je vous prie de m'en envoyer un autre. Il est clair qu'un ouvrage de ce genre ne peut paraître à présent à Paris. Mais dans les journaux d'hier je vois l'annonce d'une très élégante édition de pièces choisies, composées pour le mariage de l'empereur et la naissance du roi de Rome. Elles doivent être mises entre les mains de la jeunesse française pour lui enseigner l'amour de la patrie, dit le journal. Malgré tout ce que j'aperçois, j'ai le bonheur de ne point partager l'opinion que l'empereur m'a souvent fait l'honneur de m'exprimer : « que j'étais le seul qui fût resté obstiné «< dans les principes de la liberté, et préparé pour << leur restauration. » Il y a chez nous, je l'espère, plus de mémoire que ce propos ne l'indiquerait.

Pensez souvent dans votre solitude, mon cher Jefferson, à votre ancien et tendre ami.

(1) La déclaration du 24 juin 1812, annonçant que le gouvernement britannique rétractait les ordres du conseil, arriva trop tard en Amérique. Les États-Unis avaient déclaré la guerre à l'Angleterre le 18 juin.

(2) Le Commentaire sur l'Esprit des lois (de Montesquieu), par M. de Tracy. Cet ouvrage, écrit en 1806, fut traduit et imprimé aux ÉtatsUnis par les soins de M. Jefferson en 1811. La première édition avouée par M. de Tracy est de 1822.

DE M. JEFFERSON AU GÉNÉRAL LAFAYETTE.

MON CHER AMI,

Monticello (1), 3 novembre 1813.

Vos dernières lettres m'ont donné des nouvelles toujours reçues avec joie par mon ancienne et tendre amitié. Les chiens de berger, dont vous nous annonciez l'envoi, sont arrivés en bon état; ils ont été fort soignés et se sont multipliés soit ici, soit dans les États voisins où l'on s'occupe beaucoup de l'accroissement des troupeaux. Nous pouvons à présent fournir les vêtements de notre population. Le nombre des mérinos est augmenté d'une manière surprenante et leur taille gagne en hauteur. Il sort de nos manufactures d'aussi beaux draps que des meilleures fabriques de l'Angleterre; ses étoffes de coton pourront être aussi complètement exclues de notre marché par le nombre et la qualité supérieure des nôtres. Les progrès de notre industrie ont de beaucoup dépassé les calculs les plus présomptueux. Chaque maison particulière a sa machine à filer. J'en ai quatre en activité dans ma famille pour mon usage personnel, et les machines à carder s'établissent dans tout le voisinage; tellement que, si nous avions demain la paix, nous n'aurions pas besoin de recourir à l'Angleterre pour l'importation, non seulement des étoffes grossières ou

(1) Demeure de M. Jefferson dans l'état de Virginie.

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