Page images
PDF
EPUB

prits sont contre la guerre et persisteront dans leurs efforts pour ramener la nation à des sentiments pacifiques. Il n'est pas probable qu'ils réussissent; toute négociation ne serait qu'un

moyen de gagner du temps. Il y en a, croit-on, une entamée avec l'empereur, fondée sur son abdication en faveur du roi de Rome, et avec une régence présidée par l'impératrice MarieLouise. Ce serait la preuve que les puissances alliées ont, ainsi que l'empereur, besoin de traîner en longueur avant d'agir. Elles peuvent souhaiter suspendre les hostilités jusqu'à ce qu'elles aient disposé de Murat (1), et négocier jusqu'à la chute du trône napolitain. Il serait possible qu'une proposition de cette nature convînt à l'Autriche. Mais quelle assurance pourrait-on avoir que l'empereur ne remonterait pas encore sur ce trône qu'il abdiquerait une seconde fois? Là se trouve la principale difficulté se rendra-t-il prisonnier pour toute sa vie? Ira-t-il en exil volontaire dans un lieu si éloigné que son retour soit impossible? ou proposera-t-il de rester en France comme un simple particulier ? »>

Enfin la nécessité d'occuper nos places frontières par les armées étrangères, et par conséquent de les y entretenir à nos dépens, était un point reconnu et arrêté bien avant les hostilités, dans tous les cas de la restauration du roi ; elle se trouve démontrée 1; passage suivant :

par le

« Je vois avec satisfaction que vos chambres seront immédiatement convoquées. J'espère un bon effet de leurs délibérations. Vous avez parfaitement raison de croire que les troupes alliées tiendront garnison dans toutes les places de France, si l'on réussit à replacer le roi de France sur son trône. Cette mesure était considérée comme indispensable dans toutes les conversations que j'ai eues à cet égard.

[ocr errors]

(1) Joachim Murat, reconnu roi de Naples par le congrès de Vienne, invita le 28 mars les peuples italiens à se confédérer contre toute domination étrangère. Il fut réduit le 20 mai suivant à abandonner toutes les places, citadelles, forts et arsenaux de ses États, aux armées des puissances alliées, qui les remirent au roi Ferdinand.

CHAPITRE III (1).

La composition de la chambre m'avait fait craindre plus de dévouement à Bonaparte et plus de violence révolutionnaire que je n'en ai trouvé. Tous les partis de la révolution y étaient ralliés à une idée prin→ cipale, celle de défendre l'indépendance du pays et d'établir enfin la vraie liberté. Il s'y trouvait sans doute un petit nombre de bonapartistes exclusivement attachés au maintien du régime ou des princes napoléoniens, et quelques députés mus plutôt par la crainte des prétentions de l'ancien régime et par un sentiment de fierté nationale, que par un amour bien entendu des principes de la liberté; mais la presque totalité de la chambre se servait de Napoléon, comme Napoléon se servait du peuple, avec des préventions indestructibles, ne voyant en lui que le moindre de deux maux. Une minorité respectable allait plus loin, et se sentait agitée du besoin de secouer à la fois l'influence des deux dynasties pour rendre à la nation son élasticité, repousser la coalition des rois avec cette énergie populaire que Bonaparte n'avait plus le droit, ni la vo

(1) Quoique cette partie des souvenirs de 1814 et 1815 ait été écrite de la main de son auteur, sous un dossier intitulé: Troisième chapitre, elle se compose de feuilles détachées indiquant les bases d'un récit qui est resté incomplet. — Plusieurs passages de ce 3o chapitre ont été communiqués à un éditeur qui nous est inconnu et publiés avec des changements et additions par les frères Baudouin, sous le titre: Esquisse historique sur les Cent jours. (108 pages in-8°, 1819. ),Nous ne donnons ici que le texte écrit par le général Lafayette.

lonté d'exciter; et voir ensuite ce qui conviendrait, non aux intérêts d'un homme ou d'une famille, mais aux intentions des Français, et à une heureuse clôture de la révolution.

Cependant le dégoût et les inquiétudes inspirées par la dynastie fugitive, l'esprit de parti, et surtout l'esprit de calcul qui avaient éloigné une partie des électeurs, tout tendait à donner à l'assemblée une majorité de bonapartistes. Il y eut, en effet, une grande majo, rité de députés qui ne voulut voir de salut pour la patrie qu'à l'abri du trône et du bras de Napoléon; mais bien peu préférèrent les idées du système impérial aux institutions de la liberté. Cette opinion se montra, dès le premier jour, par l'élection du président. ia

Je ne me souciais pas de l'être, craignant d'avoir à prononcer des mesures qui me répugneraient beaucoup. Le gouvernement exprimait hautement le désir d'avoir le procureur-impérial, Merlin de Douai; les voix se partagèrent entre Lanjuinais, Flaugergues et moi (1). Lanjuinais, l'un des patriotes les plus distingués de l'assemblée constituante, adversaire inflexible des jacobins à la convention, et au sénat contre les entreprises de l'empereur, aussi long-temps qu'il put y être entendu, s'était fait remarquer parmi les cinq rédacteurs de l'acte de déchéance en 1814 (2). Voilà les hommes sur lesquels se portèrent d'abord yeux de cette assemblée tant accusée de bonapar

les

(1) Dans la séance du 4 juin, M. Lanjuinais obtint, à un second tour de scrutin, 277 voix; 73 se portèrent sur le général Lafayette et 58 sur M. Flaugergues. Le 5, le général Lafayette fut nommé viceprésident par 257 suffrages.

(2) Voy. la p. 305 de ce vol.

tisme et de jacobinisme. Chacun des deux candidats, unis par l'estime et l'amitié, voulut faire place à l'autre Lanjuinais dut céder au vou que j'avais exprimé avant l'élection en priant mes amis de s'y associer. Pendant qu'elle s'opérait, les ministres osèrent dire que Napoléon n'accepterait point Lanjuinais qui réunit presque toutes les voix. Lorsqu'il fut nommé, Napoléon l'accepta, l'embrassa, lui demandant s'il était bonapartiste ou bourboniste? à quoi Lanjuinais répondit : « Je suis patriotiste. » On me nomma vice-président avec MM, Flaugergues, Dupont de l'Eure, que leur patriotisme, leurs talents avaient distingués dans la dernière assemblée; le général Grenier, dont la gloire militaire et les nobles sentiments étaient appréciés dans l'armée comme à la chambre.

[ocr errors]

Lorsque le bureau fut nommé, il fallut remplir, envers la constitution et le chef actuel de l'état, la formalité du serment. Certes, il serait étrange qu'elle fût beaucoup blâmée par Louis XVIII, qui, sous la répu blique, avait spécialement autorisé ses partisans à prêter le serment de haine à la royauté, pour qu'ils res tassent en mesure de le servir; par les princes de cette famille et les principaux membres de ce parti à la politique desquels nous avons dû le machiavélisme de tant d'ultrà-patriotes, et l'introduction de bien des membres contre-révolutionnaires dans nos assemblées républicaines; par les royalistes d'aujourd'hui qui ont rempli les assemblées politiques, les tribunaux, les états-majors, les administrations et les antichambres de Bonaparte, surtout ceux qui, non contents de porter ses livrées, ont sollicité des titres sous la condi

tion d'un serment particulier de défendre la dynas tie impériale contre toute autre. Cependant il se répandit qu'un assez grand nombre de députés répugnait à cette cérémonie, sans doute parce qu'elle semblait constater l'existence d'un gouvernement régulier, tandis que l'assemblée, comme celle de 1789, avait des prétentions constituantes très opposées à celles du législateur provisoire. Ma répugnance, sur ce point, avait assez alarmé Napoléon pour que son frère Joseph crût devoir me demander un entretien et lui proposer de ne point faire d'appel. Il avait été convenu qu'on se bornerait à prêter le serment en masse, ce qui l'annulait réellement. Mais pendant ce temps, MM. Dupin et Roy (1) avaient porté la question à la tribune de la chambre; elle fut perdue à une grande majorité. Lorsque le lendemain, au procèsverbal, on demanda d'insérer que la décision avait été unanime, je me levai contre avec MM. d'Argenson, Larochefoucauld-Liancourt, Delessert, Roy, Dupin, avec George (2) et quelques autres membres dont l'indépendance n'était pas douteuse. L'empereur, en apprenant cette circonstance, dit : « Voilà donc Lafayette qui m'a déjà déclaré la guerre ! » Lanjuinais, dont l'opinion personnelle était connue pour être conforme à celle de notre minorité, n'eut pas de peine à se rendre au vœu qu'elle lui exprima en prononçant et faisant insérer au procès-verbal une explication qui modifiait les engagements, et levait les scrupules des consciences timorées. Ces scrupules et ces oppositions

(1) M. Dupin, président actuel de la chambre des députés; M. Roy, ministre sous la restauration et membre de la chambre des pairs. (2) M. George Lafayette avait été envoyé à la chambre des représentants par le collége électoral de la Haute-Loire.

« PreviousContinue »