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quérir, demeurent profondément imprimés dans leurs cœurs, et que s'ils n'obtiennent satisfaction à l'aide des concessions raisonnables du pouvoir, ils feront explosion comme un volcan et renverseront encore une fois tout sur leur passage. J'ai toujours regardé le roi actuel comme un homme sage et modéré. Comme il n'a pas d'enfant, il a un motif de moins pour céder à des considérations personnelles. J'aime donc à espérer que si les patriotes, dans le sein de la législation et au dehors, agissent de concert, mais avec mesure et sagesse, s'ils insistent avec constance pour obtenir les garanties omises dans la dernière capitulation du roi, et s'ils profitent habilement des occasions que le cours des évènements ne peut manquer de susciter, ils parviendront à y introduire leurs principes et à faire consacrer tout l'ensemble par la solennité d'un acte national.

Pour ce qui nous concerne, les affaires de la guerre ont pris une tournure plus favorable qu'on n'avait ósé l'espérer. Tous les officiers expérimentés ou avancés en grade étaient morts dans l'intervalle de nos trente années de paix, ou se trouvent à présent trop vieux pour servir, et notre début, pendant la première année de notre guerre, avait été très malheureux (1).

Notre troisième campagne a été signalée par une suite continuelle de succès (2), qui n'ont été ternis (1) Voyez les p. 290 et 291 de ce volume.

(2) Les généraux Brown et Scott avaient obtenu de grands avantages à Chippewa et à Niagara; le général Gaines, au fort Érié, avait battu le général anglais Drummond; au mois de septembre 1814, Mac Donough avait pris une seconde flotte sur le lac Champlain ; en même

que par l'incendie de Washington; mais cet évène. ment a servi notre cause, au lieu de lui nuire; il a excité l'indignation de notre pays; il a mis en évi dence, aux yeux de toute l'Europe, le vandalisme, le caractère brutal du cabinet britannique, et restera comme un monument durable de son infanie.

Nos ennemis peuvent être battus sur mer à forces égales... La découverte de ce fatal secret, la preuve fournie par les évènements militaires de l'année passée, que nos officiers, lorsque les moyens d'attaque seront bien préparés, peuvent planter le drapeau américain sur les murs de Québec et d'Hallifax, le désastre récent de la Nouvelle-Orléans, la vanité des espérances fondées sur la convention d'Hartford (1), tout cela doit susciter dans la nation anglaise un mécontentement qui forcera le ministère à conclure la paix; je dis forcer, car il ne la fera jamais volontairement.

L'état de nos finances leur fait espérer, il est vrai, que l'excès de nos institutions de banque et leur discrédit actuel nous ont détournés de la meilleure source du crédit, celle sur laquelle nous pouvons toujours compter; mais les fondements de ce crédit subsistent toujours et n'ont besoin que d'une habileté bientôt acquise par l'expérience, pour être utilement employés jusqu'à la fin de la guerre, quelle que soit sa durée. Les

temps l'armée anglaise, commandée par le général Prévost, était défaite par M. Combe; enfin le 8 janvier 1815, les généraux Jackson, Caffée et Carroll venaient de repousser un corps de vieilles troupes anglaises à la Nouvelle-Orléans, après lui avoir fait éprouver une perte considérable. — C'est le 24 août 1814 que la ville de Washington fut incendiée

(1) Un parti américain avait formé cette convention dont la principale condition était qu'on s'abstiendrait de toute hostilité contre la Grande-Bretagne.

per

ministres anglais avaient espéré davantage des suites de la convention d'Hartford; leurs craintes de la France républicaine n'ayant plus d'objet, ils ont tourné leur malveillance contre la république américaine; ils ont eu recours à la désorganisation, comme ils avaient fait dans votre pays. Mais nous pourrions permettre en toute sûreté, à nos anarchistes, de parcourir les États-Unis pour se recruter, et je suis suadé qu'ils ne lèveraient pas un seul régiment qui voulût, pour les soutenir, diviser l'Union. Cette union est dans le sang qui fait battre le cœur de chaque Américain, et je ne crois pas qu'il y ait sur la terre un gouvernement établi sur une base aussi inébranlable. Ne craignez donc rien pour nous, mon cher ami; les motifs d'inquiétude n'existent que dans les journaux salariés de l'Angleterre. Je vous dis adieu en vous assurant de mes affectueux et constants sentiments de respect et d'amitié.

P. S. (26 février). Ma lettre n'était pas encore fermée lorsque j'ai reçu la nouvelle de notre paix (1); j'en suis satisfait et je me réjouis en particulier de voir terminer la guerre par l'éclatant succès de la Nouvelle-Orléans.

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A MADAME D'HÉNIN.

15 mai 1815.

...... La crise actuelle, plus extraordinaire qu'aucune autre, est si violente qu'elle ne peut pas être de longue durée.

(1) Elle fut conclue à Gand le 24 décembre 1814 entre les plénipotentiaires des deux États, et proclamée en Amérique le 2 2 février 1815.

Je suis resté ici trois jours après l'arrivée du nouvėl hôte, dont la marche a été bien plus facilitée par les dix mois de fautes précédentes, que par son audacieuse habileté. En m'isolant de nouveau à Lagrange, j'ai trouvé toutes les campagnes environnantes enchantées de ce retour, qui leur représentait une seconde fois l'abolition des dîmes et des droits féodaux; les curés et anciens privilégiés ayant, pour la plupart, annoncé on laissé entrevoir leurs prochaines espérances. Ce sentiment n'a fait que s'augmenter à de grandes distances.

Je ne sais pas exactement ce qu'on pense sur notre situation de votre côté de la frontière (1); voici l'idée qu'en ont, je ne dis pas les bonapartistes, mais les patriotes indé, endants: nous croyons la cour de Gand plus éloignée de nos principes qu'elle ne l'était aux Tuileries; la cour des princes, fixée dans les sentiments de Coblentz, et se réjouissant de se voir dégagée des obligations de la Charte; les hommes libéraux, à la tête desquels est notre ami Lally, quoique plusieurs soient aussi constitutionnels que lui, ne faisant là qu'appuyer de leur nom un système dont ils n'ont pas le secret. On trouve assez généralement que la libéralité de l'empereur Alexandre est fort dominée par son entourage; que les étrangers veulent ravager la France, la démembrer, ou du moins laisser des garnisons dans nos places et dans nos ports, et que leur succès nous mènerait à l'ancien régime ou à peu près, et à tous les maux que la conquète peut entraîner. Je ne sais si nous nous trompons, mais ce que disent les procla

(1) Madame d'Hénin était à Gand.

mations, les lettres particulières, les opinions des neutres, ce qu'elles ne disent pas, nous confirment dans cette pensée. La déclaration de Francfort laissait croire que l'intégrité de la France, telle que toutes les puissances l'avaient reconnue, serait maintenue. Nous avons perdu la Belgique et autres départements de la rive gauche; il a fallu se contenter des concessions d'un pouvoir sans bornes; la France, envahie, a fait des pertes immenses qui ont ruiné une portion du pays et un grand nombre de familles; tout cela est présent à la pensée de la grande majorité des citoyens et produit ce bonapartisme des campagnes, qui, lorsqu'on déclare u'en vouloir qu'à leur général, se persuadent que c'est pour les battre avec plus de facilité. Telle est la manière de voir la plus répandue.

D'un autre côté, Napoléon, républicain en Provence, demi-républicain à Lyon, empereur absolu à Paris, a trouvé qu'il n'y avait de salut pour lui qu'à se faire constitutionnel. Son esprit et son caractère sont comme deux courants qui se combattent; c'est un étrange mélange de mesures impériales, terroristes, libérales; mais l'opinion publique est plus forte que lui, et, comme il a un talent prodigieux, il se soumet à tout ce qu'il ne peut pas dominer avec une habileté dont les autres étaient loin.

J'étais bien isolé dans ma ferme lorsque j'ai reçu une invitation de Joseph Bonaparte, par l'intermédiaire d'un ami commun, qui me demandait de sa part une heure d'entretien; ma réponse témoignait peu de confiance dans les intentions de son frère. J'ai exprimé l'opinion, qu'indépendamment de toutes les prétentions individuelles ou de familles, il n'y avait,

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