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et pour la république, j'ai du plaisir à le voir si brillant. A propos de cocarde', ma chère cousine, je vous dirai que c'est à Utrecht que j'ai revu pour la première fois des troupes françaises ; et vous devinerez que ce n'est pas sans émotion. Leur conduite en Hollande est fort bonne.

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Ma femme a remis avant de partir au président Laréveillère une lettre pour mes compagnons d'exil (1). Il l'a lue devant elle, lui a dit qu'il en ferait en ferait part au directoire, ce qui a eu lieu sur-le-champ. Je suis suadé que cette lettre ne produira rien; mais c'est un titre pour ceux qui auraient d'autres moyens de réussir, et c'en est un aussi pour prouver qu'au moment de mon départ pour la Hollande, ma femme et moi nous déclarions que je ne demandais pas à rentrer.

(1) On a vu, p. 431 du 4o vol., que madame de Lafayette avait été appelée en France pour ses affaires, au printemps de 1798. Voici la lettre qui lui fut envoyée par le général Lafayette : c'est la seule qu'il écrivit au directoire. Ses lettres de remercîment en sortant de prison étaient adressées au ministre des affaires étrangères, ainsi qu'aux généraux Clarke et Bonaparte. (Voy. la p. 369, du 4o vol.)

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α

Citoyens directeurs,

Hambourg, 27 novembre 1798.

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Permettez qu'un citoyen qui dut sa délivrance au gouvernement de sa patrie cherche aujourd'hui à se prévaloir de cette obligation pour vous demander un acte de justice. Ce n'est pas de moi que je parlerai, et quoique mon cœur et ma raison me rappellent également mes droits, j'apprécie les circonstances qui m'écartent encore de mon pays. Mais en offrant de loin mes vœux pour sa liberté, sa gloire et son bonheur, je viens ici solliciter la rentrée du petit nombre d'officiers qui, dans une occasion dont la responsabilité appartient à moi seul, ne pouvant pas prévoir où les conduisait l'obligation d'accompagner leur général, tombèrent avec lui dans les mains des ennemis. Leur patriotisme éprouvé, dès les premiers temps de la révolution, s'est conservé dans toute son ardeur comme dans toute sa pureté, et la république ne peut pas avoir de plus fidèles défenseurs. Salut et respect.

Je suis très content de ce que j'ai vu de la Hollande. Le détour que j'ai fait m'a mis dans le cas d'y reconnaître beaucoup de bienveillance pour moi. Mon séjour ici sera tranquille et très agréable. Il serait marqué par de grands témoignages de bonté si je n'étais pas résolu à y mener la vie la plus retirée. Nous allons pourtant après-demain à Utrecht chez le général Van-Ryssel, qui m'a reçu de la manière la plus touchante.

Il y a dans les patriotes de ce pays-ci un esprit excellent; les aristocrates et les jacobins y sont plus modérés que chez nous, de manière que, pour assurer la liberté des Bataves, il n'y a qu'à les laisser faire. Leur indépendance convient autant aux intérêts de la France qu'à ceux de la Hollande (1). On assure que leur puissante alliée ne les tourmentera plus, et il paraît que rien n'y troublera mon repos. Pusy va réellement partir pour l'Amérique, où il y a des espérances de réconciliation, Ce n'est que dans quelques jours que je pourrai causer avec vous, quoique de bien loin, sur mes projets de printemps. Jusqu'à-présent, nous n'avons fait que nous embrasser les uns les autres. Adieu, ma chère cousine, je vous aime de toute la tendresse de mon cœur.

(1) Lorsque Pichegru eut chassé les Anglais de la Hollande, on abolit le stathoudérat; et les Sept-Provinces, sous le nom de république batave, furent gouvernées par une assemblée législative directement nommée par le peuple. Un traité de paix et d'alliance entre la France et les Provinces-Unies, avait été signé dans le mois de mai 1795.

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A M. MASCLET (1).

Vianen, 7 mars 1799.

J'ai éprouvé une vive satisfaction en me voyant de ce côté-ci de la barrière. Quoique la tolérance holsteinoise soit si universelle que moi-même je n'en étais pas exclu, il y avait de l'inconvenance à vivre sous un de ces gouvernements anciens que j'ai déclarés être incompatibles avec mes principes; et lors même que des gouvernements populaires se mêlent de tyranniser, j'aime mieux m'en indigner sur le territoire républicain que d'avoir à dire ailleurs ce que j'en pense. Au reste je n'ai ici sous mes yeux que de bonnes institutions et de bons sentiments: il y a liberté civile et religieuse; les gouvernants sont bien intentionnés; les gouvernés connaissent leurs droits et leurs devoirs. Je ne suis pas à portée de connaître les orangistes, mais je n'ai rencontré dans les deux sections du parti patriote personne qui me rappelât ce que j'entends par le mot jacobin; dans toutes deux, j'ai trouvé beaucoup de bienveillance pour moi. La conduite de nos troupes est excellente, et en même temps qu'on m'a cité des actions horribles des soldats anglais, j'ai eu le plaisir d'entendre des anecdotes charmantes sur le courage et l'humanité des nôtres. Il n'y a d'affligeant que l'oppression politique de la république batave, que je crois être contraire aux vrais intérêts de la France autant qu'aux grands principes de l'indépendance nationale, et la rapacité pécuniaire qui fait que ce pays-ci paie beau(1) Voy. sur M. Masclet; la p. 362 du 4o vol.

coup plus d'auxiliaires qu'il n'en a, et en habille beaucoup plus qu'il n'en paie (1); mais si j'en excepte les demandes personnelles du général en chef, je n'ai pas appris de détails particuliers qui puissent faire rougir un bon Français, et il me parait que les troupes s'abstiennent d'imiter leur gouvernement; tous les partis, et même, dit-on, les orangistes, sont forcés de rendre hommage à leur bonne discipline, à leur utilité pour le maintien de l'ordre légal et de la paix publique, à leurs bons procédés envers les habitants. Cela prouve que si le directoire abuse lui-même de sa supériorité, il est bien aise que la force armée se conduise avec modération. Il n'aurait, pour que les rapports réciproques des deux républiques fussent parfaits, qu'à mettre plus de liberté dans leurs relations diplomatiques et à faire payer moins cher une protection qui est nécessaire et efficace.

Quant à ma situation ici, elle est heureuse, tranquille, convenable à tous égards. Je n'ai pas fait un pas en Hollande sans retrouver des patriotes de 87, et dans chacun d'eux une grande constance de bontés pour moi; j'ai été reçu par mes vieux amis avec une émotion touchante, et je dois ajouter qu'au milieu des témoignages d'affection batave, j'ai reconnu dans nos concitoyens les mêmes dispositions dont je jouissais avant de quitter la France. Il y a un étatmajor et quelques troupes à Utrecht; il y vient quel

(1) En vertu du traité d'alliance offensive et défensive conclu entre la France et la république batave, celle-ci devait payer à son alliée un subside de cent millions de florins et entretenir une armée de trente mille Français. On renouvela cette armée auxiliaire, en sorte que dans une année la Hollande équipa plusieurs fois le nombre convenu de soldats.

ques officiers des autres garnisons ou des voyageurs qui passent; je n'ai pas été à portée d'y recevoir une marque d'attachement qu'elle ne soit venue au-devant de moi. On dit que Brune (1), ancien secrétaire des cordeliers, et ami de Danton et Marat, voit avec humeur la manière dont je suis ici; mais le ministre à La Haye et le consul à Amsterdam, se sont exprimés sur moi avec beaucoup d'obligeance.

Je n'ai point voulu sortir de ma retraite, et mes courses se bornent à la ville d'Utrecht où j'ai d'excellents amis. Je suis venu avec deux passe-ports d'Abema, l'un sous le nom de Motier pour le territoire hanovrien, l'autre sous mon nom plus connu pour le territoire républicain.

J'ai retrouvé à Utrecht le général Van-Ryssel qui commandait les patriotes hollandais en 87, et le général de brigade Gouvion, cousin de ceux avec lesquels j'étais si intimement lié. Nous allons louer une jolie petite maison aux environs de cette ville. Quel bonheur pour nous de vous y recevoir !

Notre patrie, mon cher ami, que deviendrat-elle ? il y a crise dans les circonstances, soit que la guerre se rallume, soit qu'on fasse la paix, et ce moment critique est celui des élections (2); mais il y a

(1) Le général Brune commandait alors en Hollande les troupes auxiliaires françaises.

(2) D'après la constitution de l'an 11, adoptée le 22 août 1795, les assemblées primaires, composées des citoyens domiciliés dans chaque canton, se réunissaient de plein droit, le 21 mars, pour nommer un électeur à raison de deux cents citoyens ayant droit de voter dans chaque assemblée. Les électeurs étaient nommés pour un an, et les représentants élus par eux, pour l'un ou l'autre conseil, devaient entrer en fonctions le 20 mai.

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