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qui me tourmentent pour y aller avec eux, je crains bien d'avoir à faire cette visite.

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Paris, 12 juin 1815.

Vous aurez vu notre adresse dans les journaux; mes chers amis ; elle est fort médiocre. Cependant on y parle assez de constitution pour avoir déplu à l'empereur. J'y avais fait mettre au lieu du mot défectueux celui d'irrégulier qui avouait une vérité connue de tout le monde (1). J'avais demandé l'indication de ce qu'on pourrait faire encore pour avoir la paix; tout cela avait passé, même à l'assemblée, lorsqu'à une dernière rédaction, le ministre Regnault est venu se fourrer au milieu de nous avec la permission du président: il a obtenu le changement d'épithète; il a déclaré que le seul moyen de paix qu'on pût à présent indiquer se ait que l'empereur repartît pour l'île d'Elbe. Tous les membres ont voté pour la suppression de la phrase. J'ai déclaré à mon tour que, malgré ce que M Regnault venait de dire, je persistais dans ma demande que la phrase fût maintenue. Personne n'a osé me soutenir. On avait appelé Bonaparte un grand homme; nous avons réclamé contre cette expression, Lanjuinais et moi. J'ai demandé monarque ; on a mis héros. M. Tripier, au comité général, a voulu faire

(1) Voyez à la p. 447 de ce volume le passage de l'adresse.

supprimer le mot héros, mais en vain. L'adresse est restée telle que vous l'avez vue. Celle des pairs a été changée le matin à dix heures dans une assemblée spéciale où l'on a dit à ces messieurs que ces changements avaient été désirés par l'empereur. La députation a présenté hier l'adresse. Comme il ne fallait que deux vice-présidents, je me suis dispensé d'y aller. La réponse de l'empereur est assez mauvaise, comme vous aurez pu le voir. Il est parti cette nuit.

Il n'y a rien cu ce matin à l'assemblée qui vaille la peine d'être cité. On fera demain la motion d'un coinité de constitution. Le ministre de l'intérieur lira un rapport sur l'état de la France. Après-demain le ministre des relations extérieures parlera de notre diplomatie, qui est fort simple, attendu que personne ne répond au gouvernement.

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Paris, 14 juin 1815.

La séance d'hier a été consacrée au rapport du ministre de l'intérieur (1) dont le ministre d'état Regnault de Saint Jean d'Angely a fait la lecture. Vous en jugerez comme nous par l'impression du rapport lui-même, et des pièces qui l'accompagnent. On a remarqué l'attaque indirecte de la liberté de la presse, et la déclaration que plusieurs départements avaient été mis sous le régime militaire. La chambre n'a jus

(1) Ce rapport de Carnot fut lu le même jour dans les deux chambres.

qu'à présent pris aucune couleur; il serait pourtant bien temps qu'elle se montrât indépendante.

Nous aurons aujourd'hui le rapport du ministre des relations extérieures en comité secret, peut-être celui du ministre de la police.

J'ai lieu de croire qu'on nous proposera dès demain une loi pour la guerre, et que les hostilités commenceront le jour même où l'on viendra demander aux chambres s'il doit y avoir des hostilités. Il est clair que l'empereur et ses dévoués veulent nous précipiter dans la guerre, qui seule peut lui offrir des chances de salut, mais en compromettant au plus haut degré celui de la nation. La chambre, de son côté, est disposée à éloigner l'invasion par des moyens violents. Si les ennemis acceptent la bataille, ils seront probablement battus; s'ils se retirent devant l'empereur, sa position deviendra embarrassante.

J'ai vu une lettre de la Vendée qui portait à trente mille hommes le nombre des insurges. Nos troupes ont eu un avantage sur eux. Des lettres du général Bigarré annoncent que plusieurs chefs demandent à traiter. Je ne crois pas que les paysans aient, à pré

sent, l'enthousiasme dont ils étaient autrefois animés. J'ai eu hier un assez long entretien avec le prince Lucien que je ne connaissais pas.

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Paris, 15 juin 1815.

Le ministre des relations extérieures n'a point fait son rapport, qui pourtant est prêt, et ne peut pas

être long. Il paraît que l'empereur attend une victoire pour déclarer officiellement qu'on ne fait la guerre que pour lui. Il prend ainsi sur son compte l'odieux de la guerre que l'assemblée aurait décrétée à l'instant. Fouché fera demain un rapport sur l'état intérieur et sur les moyens répressifs. Parmi les propositions affichées à la chambre se trouve « celle de séquestrer et même de déclarer hors la loi les ascendants et descendants des perturbateurs. » Cette fʊlie d'un jeune député du Morbihan (1) sera sûrement ou retirée ou repoussée ce matin. On s'occupera du comité de constitution; je vous en rendrai compte demain. L'empereur espère obtenir un de ces succès décisifs qui l'ont tiré d'affaire à Marengo et à Austerlitz. Si les ennemis reculent devant lui, il aura la Belgique et une addition considérable de soldats; mais des colonnes nombreuses entreront par plusieurs autres côtés qui sont découverts. Le mois de juillet sera d'une grande importance.

Paris, 16 juin 1815.

L'empereur a écrit hier à trois heures du matin, de Beaumont, que les ennemis marchaient sur lui et qu'il allait à leur rencontre. Nous aurons bientôt la nouvelle d'une bataille (2). Je disais hier à Cambacérès

(1) Voyez la p. 447 de ce vol.

(2) La bataille de Waterloo sut livrée le 18.

elle.

que l'empereur avait mis envers l'assemblée une grande délicatesse à se charger seul de la responsabilité de cette guerre qui n'a point été votée par Un de nos collégues a mis cette idée en avant ce matin à la tribune (1), mais avec irréflexion; car l'assemblée, dans sa disposition actuelle, aurait voté les hostilités. On n'a pas donné suite à cette partie de son discours que le général Sébastiani a relevé de manière à nous déplaire sans beaucoup servir l'empe

reur.

L'assemblée a un peu taquiné les ministres sur le défaut de formes de leur message et sur le besoin qu'on aurait de leur faire des questions. Une commission a été nommée pour s'occuper de cet objet. Nous aurons lundi l'affaire du comité de constitution; mardi celle des confiscations.

Un ministre d'état a lu le rapport du ministre des relations extérieures, mais non les pièces qui doivent être imprimées. Je vous embrasse de tout mon cœur.

A M. GEORGE LAFAYETTE.

28 juin 1815 (2).

Pendant que je cours la poste, mon cher George,

(1) Napoléon avait ordonné que le rapport, à lui adressé par le ministre des relations extérieures sur la situation générale du pays vis-à-vis les puissances, fût communiqué aux deux chambres. M. Jay, à la séance du 16, demanda pourquoi la communication de ces pièces n'était pas faite aux chambres directement. M. Roy proposa leur renvoi à une commission spéciale et rappela que, d'après la constitution de l'au vi, la déclaration de guerre devait être proposée, discutée et décrélée comme une loi.

(2) Le 23 juin, le général Lafayette avait été nommé l'un des six

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