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le commandement des gardes nationales et l'ambassade au nom de la nation. J'étais décidé à tout accepter et à ne transiger en rien sur l'acte de dévouement auquel je me suis livré pour épargner à mon pays les désastres politiques, intérieurs et extérieurs, dont je le voyais menacé; mon existence personnelle, et même ma réputation, ne sont en comparaison pour moi que des objets bien secondaires.

Nous avons vu, en passant à Soissons, le maréchal Soult, qui a bien varié depuis quinze mois, mais qui ne commande plus. Les généraux Morand, LefebvreDesnouettes, commandant notre avant-garde, sont venus nous trouver à Laon. Nous avons demandé des passeports aux généraux Wellington et Blücher. Celui-ci nous a envoyé un prince allemand pour nous accompagner à Haguenau. Pendant que nous cheminons vers Haguenau, Wellington et Blücher marchent sur Paris, où j'aimerais mieux être, et serais, je pense, plus utile qu'ici; mais on a pensé autrement, et je suis résigné à tout pour épargner à la France et à notre cause le plus de mal possible.

A MADAME D'HÉNIN.

Paris, 11 juillet 1815.

Le pavillon blanc flotte sur les Tuileries, défendu par des bivouacs de Prussiens et d'Anglais avec des canons, la mèche allumée; les environs de Paris sont livrés au pillage; les Prussiens travaillent à détruire nos monuments; l'armée française est derrière la Loire. Le maréchal Blücher n'aurait voulu de suspension

d'armes que si nous lui avions livré la moitié des places de France; les Anglais n'étaient pas moins pressés de prendre Paris. Nous avons passé onze jours et onze nuits en route, avec le faible espoir de prévenir ces maux; mais, dans trois conférences qui, peut-être, n'auraient pas eu lieu sans quelques démarches directes auprès de l'empereur de Russie, il nous a été prouvé que, malgré l'abdication de Napoléon, les alliés voulaient se rendre maîtres de la France. Paris était pris lorsque nous y sommes arrivés; vous aurez vu la belle déclaration de la Chambre des représentants, en date du 5 juillet; peut-être le Moniteur vous aura-t-il porté l'adhésion du lendemain, donnée à cet acte par d'Argenson, Sébastiani et moi. Vous aurez aussi vu comment le gouvernement provisoire et les pairs se sont dissous euxmêmes. La Chambre des représentants a été moins complaisante; mais le lendemain nous avons trouvé les portes fermées. Un grand nombre de députés s'est rendu chez moi; nous sommes allés trouver le président pour dresser procès-verbal de cette violence. L'empereur de Russie m'ayant fait dire à Haguenau, par son ministre, que des engagements positifs l'empêchaient de me voir particulièrement, mais qu'il espérait me retrouver et que je reconnaîtrais en lui les mêmes sentiments, je lui écrirai demain que je suis ici. Les mêmes intrigues empêcheront un rendez-vous, d'ailleurs bien inutile à présent (1), et dès que j'aurai rempli ce devoir de décence, je retournerai à Lagrange. Je crois ceux qui se

(1) Voyez la lettre suivante adressée au comte Capo-d'Istria.

réjouissent de leur six cent mille auxiliaires fort embarrassés de tant d'amis qu'il faut satisfaire. Nous avons du moins, mes amis et moi, la consolation de penser que nous n'avons rien négligé pour éviter les malheurs qui fondent sur nous. Je dois ajouter que, si notre Chambre a eu quelques erreurs politiques, ses intentions ont toujours été irréprochables et sa conduite indépendante et noble. Vous pouvez être assurée que cette assemblée, et la masse immense des populations réunies, après la chute de Napoléon, sous le vieux drapeau tricolore, sont le véritable parti national.

Vos amis dans le gouvernement sont plus que moi à portée de vous donner des nouvelles. On dit que Napoléon a été fait prisonnier; nous avions voulu faciliter son passage aux États-Unis. Vous savez, sans doute, ma réponse à lord Stewart, frère de lord Castlereagh (1).

Je voudrais retourner avec mes enfants à Lagrange; mais il m'est insupportable d'en faire les honneurs à une garnison allemande, anglaise ou russe. Je reste donc dans ma petite chambre dont je ne sors pas sans éprouver les sentiments les plus pénibles... Je voudrais bien au moins pouvoir en sortir pour aller vous embrasser.

Je vais porter ma lettre chez Lally, que je n'ai pas encore vu; j'avais pensé qu'il serait dans le nouveau ministère ou à la tête de l'instruction publique.

(1) Voyez à la p. 472 de ce vol, cette réponse à une proposition de livrer Napoléon.

A M. LE COMTE CAPO-D'ISTRIA (4).

Monsieur le comte,

Paris, 17 juillet 1815.

J'ai l'honneur de vous adresser les deux pièces que vous avez souhaité de revoir. La première a, le 5 juillet 1815 (2), rappelé des principes constitutionnels adoptés en 1789 et 1790; mais permettez-moi de m'en tenir, au lieu du mémoire que vous m'avez demandé, aux opinions professées depuis longtemps par moi avec un caractère officiel et dans les conseils nationaux.

J'aime à penser que la seule phrase prononcée à la tribune, au nom de mes collègues et au mien, sur les conférences d'Haguenau, vous paraîtra aussi mesurée que véridique. Avez-vous eu la bonté de parler d'une femme malheureuse (3) dont la mère a eu pour moi, pendant ma captivité, des procédés que je ne puis oublier; dussé-je être appelé bonapartiste par les puissants ennemis de Napoléon, quoique ni eux, ni leurs ambassadeurs, ni leurs enfants, ne m'aient jamais rencontré chez lui?

C'est avec bien de l'empressement, monsieur le comte, etc.

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(1) Ministre plénipotentiaire de la Russie pour les stipulations du second traité de Paris le 20 novembre 1815. L'empereur Alexandre l'avait chargé de recevoir les communications du général Lafayette. (Voy les p. 470 et 526 de ce vol.)

(2) Voy. à l'appendice de ce vol. no 6.

(3) La reine Hortense.

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A LORD HOLLAND.

Lagrange, 15 décembre 1815.

Je vous remercie bien, mon cher lord, d'avoir pensé à moi lorsque M. le marquis de Buckingham est venu en France. J'aurais été heureux de lui être présenté par la lettre d'introduction qu'il a eu la bonté de m'envoyer; ma reconnaissante vénération pour le noble parti anglais dont il est membre, mon estime pour ses qualités personnelles, et votre amitié pour lui, sont autant de motifs qui me font vivement regretter de ne m'être pas trouvé à porter de lui exprimer mes sentiments. J'aurais réclamé une petite part du temps qu'il donne sans doute à ses légitimes hôtes.

Vous ne serez pas surpris d'apprendre que je suis plus que jamais rentré dans ma retraite. J'imiterai votre réserve en ne traitant point ici le long et compliqué chapitre de la politique actuelle. Les journalistes, malgré l'état de notre presse (1), et les voyageurs, malgré l'esprit de parti, vous aident à connaître nos affaires. Les discussions parlementaires, qu'on ne peut pas toujours ajourner, nous diront ce qu'ont pensé, sous les rapports d'intérêt et de moralité, les patriotes anglais. Les puissances secondaires vont recueillir les fruits de la protection de celles qui ont

(1) Une ordonnance royale du août contre-signée par le duc d'Otrante, avait révoqué toutes les autorisations données aux journaux, et soumis tous les écrits périodiques à l'examen d'une commission nommée par le roi sur la présentation du ministre de la police.

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