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que nous adoptons entre le matériel et le moral de l'acte (1).

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Nous avons transcrit ce passage, parce qu'il est capital pour l'intelligence du code civil. On reproche, et non sans raison, aux auteurs du code d'avoir confondu, au moins dans la rédaction, l'effet des obligations à l'égard des tiers, et la preuve que les actes font pour les tiers ou contre eux. Jaubert établit clairement cette différence; il n'a donc pas vu dans la loi la confusion qui choque tant les interprètes. Nous avons dit que les auteurs du code ne parlent pas de la preuve que l'acte authentique fait à l'égard des tiers, et que l'article 1319 semble même dire que l'acte authentique ne fait pleine foi qu'entre les parties et leurs ayants cause. Jaubert dit que l'acte authentique fait foi à l'égard des tiers comme entre les parties et il trouve cette doctrine implicitement dans l'article 1319. Quant à la distinction qu'il fait entre le matériel et le moral de l'acte, nous l'avons déduite aussi de la théorie de Dumoulin; seulement il faut ajouter qu'elle s'applique aux tiers comme aux parties.

Voilà l'esprit du code exposé par le rapporteur du Tribunat. Il éclaircit ce qu'il y a d'obscur dans le texte. C'est la forme qui est mauvaise. Les principes sont ceux que Dumoulin a exposés avec une remarquable lucidité, et que Jaubert lui a empruntés. C'est à cette tradition qu'il faut nous en tenir, en répudiant ce qu'il y d'incorrect dans le langage de la loi, ou pour mieux dire, en interprétant le texte par la tradition.

No 2. QUAND L'acte authentique fait-IL FOI JUSQU'A INSCRIPTION DE FAUX ?

I. Des faits accomplis par le notaire.

135. Dans les actes qui constatent des conventions, le rôle du notaire se borne à celui d'un témoin qui rapporte ce qui se passe devant lui; les faits qu'il accomplit lui-même sont peu nombreux. Il déclare que les parties

(1) Jaubert, deuxième rapport, no 8 (Locré, t. VI, p. 226).

contractantes se sont présentées devant lui et ont fait telles et telles dispositions; il mentionne la lecture qu'il donne de l'acte, la signature des parties et la sienne, puis il date l'acte. Tous ces faits sont prouvés jusqu'à inscription de faux. Arrêtons-nous à la date, le fait juridique le plus important que le notaire constate et qu'il a mission de constater; par application du principe général (no 102), la date des actes authentiques fait donc foi jusqu'à inscription de faux; l'acte prouve la date qu'il porte par lui-même, indépendamment de l'enregistrement. L'acte a date certaine, non à partir du jour où il a été enregistré, mais à partir du jour où il a été reçu par le notaire. Cela résulte de l'article 1328, aux termes duquel les actes sous seing privé ont date contre les tiers du jour où leur substance est constatée dans des actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d'inventaire. Les notaires qui dressent ces actes donnent par cela seul date certaine à l'acte sous seing privé dont ils relatent la substance. Il suit de là que l'on ne peut contester la date mise par le notaire à l'acte qu'il reçoit sans s'inscrire en faux (1). La loi lui fait une obligation de dater ses actes, donc d'y mettre la vraie date; soutenir qu'il a antidaté ou postdaté un acte, c'est l'accuser d'avoir commis un faux, ou prétendre que la date a été falsifiée, partant il faut s'inscrire en faux. Il a été jugé, en conséquence, que la sentence des arbitres fait foi de sa date, jusqu'à inscription de faux, contre les parties entre lesquelles elle a été rendue, bien qu'elle n'ait été déposée et enregistrée que postérieurement à l'expiration de leurs pouvoirs, ce qui en assure la validité (2). La cour ne parle pas de la date à l'égard des tiers, parce que le débat n'existait qu'entre les parties. Il va sans dire que la date est certaine à l'égard de tous, l'article 1328 le dit.

136. Dans les testaments par acte public, il y a une série de formalités que le notaire doit accomplir et dont

(1) Colmet de Santerre, t. V, p. 537,no 282 bis VII.

(2) Bourges, 13 août 1828, et Rejet, 30 mars 1841 (Dalloz, au mot rbitrage, no 1122).

il doit faire mention. Le testament lui est dicté par le testateur, il est écrit par notaire tel qu'il lui est dicté; il en est donné lecture au testateur en présence des témoins. La loi ajoute qu'il est fait du tout mention expresse. Si le testateur déclare qu'il ne sait ou ne peut signer, il est fait, dans l'acte, mention expresse de sa déclaration, ainsi que de la cause qui l'empêche de signer. Toutes ces mentions font foi jusqu'à inscription de faux. Le notaire constate ce qu'il fait lui-même en exécution de la loi; il imprime donc le caractère d'authenticité et donne pleine foi à tout ce qu'il déclare avoir fait; on ne peut le contester sans accuser le notaire d'avoir commis un faux ou sans prétendre que l'acte a été falsifié. Nous avons examiné ailleurs les nombreuses difficultés auxquelles ces mentions donnent lieu. Il a été jugé, par application du principe de la force probante de l'acte, que l'on ne peut, à moins de s'inscrire en faux, attaquer le testament par le motif que des virgules auraient été ajoutées après coup dans la mention de lecture du testament (1).

11. Mention de ce que le notaire voit.

137. D'après le principe formulé par Dumoulin, l'acte authentique fait foi jusqu'à inscription de faux de ce qui se passe sous les yeux du notaire, de ce qu'il aperçoit par l'organe de ses sens. Il y a cependant un cas singulier dans lequel la déclaration du notaire ne fait point foi jusqu'à inscription de faux. Nous avons dit ailleurs qu'un sourdmuet de naissance est capable de donner entre-vifs, quand même il serait illettré, pourvu qu'il puisse manifester sa volonté. Mais comment le notaire constatera-t-il sa volonté? et quelle est la foi attachée aux déclarations qu'il fera? Le cas s'est présenté devant la cour de Bordeaux. Pour s'assurer qu'il comprenait les intentions de la donatrice, le notaire eut recours à l'assistance des personnes qui voyaient habituellement la sourde-muette et qui connais

(1) Limoges, 14 août 1810, et Rejet, 12 juin 1811 (Dalloz, au mot Obligations, no 2984, 2o).

saient sa manière d'être et ses façons d'agir; l'officier public constate que la donatrice lui avait montré sa maison, les bâtiments qui en dépendaient, les meubles qui la garnissaient, qu'elle l'avait conduit sur chacune de ses pièces de terre, qu'elle avait clairement exprimé par des signes très-caractéristiques qu'elle voulait donner le tout, et faisant le geste d'une personne qui écrit, l'avait engagé, par une pantomime expressive, à en dresser acte; que ces faits lui avaient donné, à lui notaire, ainsi qu'aux assistants et témoins, la preuve évidente qu'elle entendait donner ses biens aux défendeurs. Mais quelle allait être la force probante de l'acte dressé par le notaire? La cour dit très-bien que dans les cas ordinaires où les parties parlent une langue dont tous les termes ont une signification fixe et parfaitement intelligible, l'acte doit faire foi jusqu'à inscription de faux, mais il en est autrement quand l'une des parties ne peut s'exprimer qu'au moyen de signes qui n'ont point un sens déterminé et convenu. Dans ce cas, l'interprétation que leur donne le notaire n'est plus qu'une simple appréciation. Le notaire ne dit pas ce qu'il a vu et entendu par l'organe de ses sens, il dit ce qu'il a compris par un travail intellectuel. De là suit que les déclarations qu'il constate ne font plus foi jusqu'à inscription de faux; on peut les combattre par toute preuve contraire et notamment par la preuve testimoniale (1).

138. Un acte de vente authentique constate que le prix a été payé comptant, mais sans qu'il soit dit que les espèces ont été comptées et remises au vendeur en présence du notaire. Cette énonciation ne fait pas foi jusqu'à inscription de faux, car le notaire ne constate pas ce qu'il a vu; il constate la déclaration qu'il a entendue; ainsi le fait matériel que l'acheteur a déclaré avoir payé le prix au vendeur et que celui-ci a déclaré l'avoir reçu est prouvé jusqu'à inscription de faux; mais la vérité de cette déclaration n'est prouvée que jusqu'à preuve contraire. Il a été jugé que le vendeur est admis à prouver par des présomptions appuyées sur un commencement de

(1) Bordeaux, 29 décembre 1856 (Dalloz, 1857, 2, 173).

preuve par écrit que le payement n'a point eu lieu et qu'il devait se faire au fur et à mesure de ses besoins. En faisant cette preuve, le vendeur n'attaque pas comme fausse l'énonciation portant que le prix a été payé; il reconnaît, au contraire, que cette déclaration a été faite, mais il soutient que, pour une raison quelconque, elle était simulée; donc il ne doit pas s'inscrire en faux (1). La seule difficulté est de savoir comment se fera la preuve de la simulation; nous y reviendrons.

Mais si l'acte constate qu'une somme a été reçue comptant par le créancier en présence du notaire et que le créancier a pris les deniers et les a retirés devers lui, dans ce cas, le notaire constate ce qu'il a vu et la mention qu'il en dresse fait foi jusqu'à inscription de faux; car, dire que le créancier n'a point touché les deniers, alors que le notaire déclare qu'il les a touchés en sa présence, c'est accuser l'officier public d'avoir commis un faux; de là la nécessité de s'inscrire en faux. Dans l'espèce, il y avait une considération de fait qui trompa le premier juge. Une partie des deniers reçus par la créancière avait servi à payer une dette dont le mari était tenu envers le débiteur; le tribunal en conclut qu'il fallait retrancher les 780 francs payés par le mari des 1,200 francs que la femme avait reçus. La somme était dotale et la faveur de la dot avait engagé le premier juge à retrancher du payement constaté par l'acte la somme qu'il s'était appliquée à son profit. C'était porter atteinte à l'acte qui constatait que la femme avait touché la somme de 1,200 fr., ce qui libérait le débiteur (2).

Dans l'espèce, on ne pouvait pas dire que la numération des espèces constatée par le notaire était simulée; la remise avait été très-réelle; si, au contraire, l'acte portait que telle somme a été comptée et remise en présence du notaire et que l'on prétende que la remise n'a été que fictive, on serait admis à prouver la simulation; c'est le droit commun, comme nous le dirons plus loin. De même,

(1) Douai, 5 janvier 1846 (Dalloz, 1846, 2, 202). (2) Agen, 3 mars 1846 (Dalloz, 1849, 2, 137).

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