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procédure (art. 352) veut même que ce pouvoir soit spécial, à peine de désaveu. Dans un procès qui a été porté devant la cour de cassation, l'avoué avait déclaré, au nom de son client, qu'il se désistait du contredit par lui consigné sur le procès-verbal d'ordre, ce qui aboutissait à restreindre la collocation du demandeur. De là désaveu. L'avoué prétendit qu'il avait un mandat verbal; mais ce mandat aurait dû être prouvé par écrit et, en l'absence d'un acte, la preuve par témoins n'était admissible qu'avec un commencement de preuve par écrit, lequel n'existait point, ce qui décidait la question. La cour de Paris, dont l'arrêt a été cassé, avait admis qu'il résultait des faits de la cause que le désistement donné par l'avoué avait été d'avance concerté entre lui, son client et l'avocat. Les faits de la cause ne sont autre chose que des présomptions, car la cour n'invoquait aucune pièce écrite; or, les présomptions ne sont admissibles que dans les cas où la loi admet la preuve par témoins. La violation de la loi était donc évidente (1).

415. Nous avons enseigné que les établissements publics, fabriques ou autres, ne peuvent recevoir des dons manuels sans autorisation du gouvernement. Si un don est fait de la main à la main sans avoir été autorisé, il est nul. Comment prouvera-t-on le fait du don manuel? Le don manuel est toujours une convention; donc on ne peut prouver qu'un don manuel a été fait, que par un écrit, ou par témoins s'il y a un commencement de preuve par écrit. Vainement dirait-on que la loi dispense le don manuel de toute formalité; cela est vrai quand il y a don manuel, c'est-à-dire quand le don est valable. Mais, dans l'espèce, le don est nul, et il s'agit de prouver la remise qui a été faite à titre de libéralité. Il faut donc appliquer le principe que tout fait juridique tombe sous l'application de l'article 1341. Le fait est-il un fait juridique? On ne peut le contester, puisque c'est une libéralité (2).

416. Les collectes et souscriptions pour une œuvre

(1) Cassation, 14 juillet 1851 (Dalloz, 1851, 1, 199), et sur renvoi, Orléans, 8 janvier 1853 (Dalloz, 1855, 2, 79).

(2) Paris, 22 janvier 1850 (Dalloz, 1850, 2, 27).

de bienfaisance ont donné lieu à une difficulté qui a été portée devant la cour de cassation de Belgique. Une souscription est ouverte pour les pauvres malades; le projet avait été arrêté par le bureau de bienfaisance et le curé. Celui-ci se chargea de recueillir les souscriptions; il y fut autorisé par arrêté royal. L'autorisation était accordée sous la conditionque les fonds seraient destinés à l'hôpital; la liste de souscription mentionnait la condition et la destination qui serait donnée aux sommes versées par les souscripteurs. Le produit de la souscription s'éleva à 23,000 francs; le desservant fit en outre des collectes dans son église pour les pauvres. Il refusa de remettre au bureau de bienfaisance les fonds qu'il avait recueillis; d'après lui, les souscripteurs seuls avaient qualité pour lui demander compte des sommes qu'ils lui avaient remises; le bureau de bienfaisance était sans droit, parce qu'il n'était pas donataire et qu'il n'était pas autorisé à accepter la prétendue libéralité qui lui aurait été faite. Quant à la somme recueillie par voie de collecte, le desservant prétendait avoir le droit d'en disposer. Il y avait bien des irrégularités dans cette affaire. Le bureau de bienfaisance avait-il qualité pour recevoir des dons destinés à la construction d'un hôpital? En attendant qu'il y eût une commission des hospices, l'autorité communale ne devait-elle pas intervenir? Toujours est-il que le moins qualifié était le desservant. En quelle qualité avait-il recueilli les souscriptions? Il y avait, à notre avis, mandat tacite résultant du projet concerté entre le bureau de bienfaisance et le desservant; la difficulté était de le prouver. L'arrêté qui autorisait le curé à recueillir des souscriptions destinées aux pauvres malades prouvait qu'il agissait au nom des pauvres; or, les pauvres ont un représentant légal, le bureau de bienfaisance; donc il agissait pour le compte dudit bureau; et comme il y avait eu concert entre eux, il y avait mandat tacite. On pouvait aussi considérer le curé comme gérant d'affaires; dans cette hypothèse, la question de preuve était plus facile à décider, puisque l'article 1348 permet de prouver les quasi-contrats par témoins. La décision de la cour de

Bruxelles, confirmée par la cour de cassation, se base sur les allégations des parties; elles étaient d'accord pour soutenir qu'il n'y avait pas de mandat. De mandat exprès, non; mais n'y avait-il pas mandat tacite? La cour n'a pas eu à statuer sur ce point. Restait le fait d'avoir recueilli des souscriptions et des dons, qui ne pouvait guère être nié. Sur le pourvoi, la cour de cassation statua comme suit Soit que l'on considère le fait articulé comme l'exécution d'un mandat donné par le bureau de bienfaisance, soit que le desservant ait agi comme gérant d'affaires, la cour d'appel a décidé avec raison que la recette des sommes souscrites au profit et pour le compte des pauvres de la commune est un fait susceptible d'être prouvé par témoins, aux termes de l'article 1348. » Et une fois le fait de la recette pour les pauvres établi, il en résultait que les fonds devaient être remis au représentant légal des pauvres, c'est-à-dire au bureau de bienfaisance (1). En définitive, la preuve du mandat était inutile; et c'est sans doute pour ne pas compliquer le débat par une difficulté que l'on pouvait écarter, que le bureau de bienfaisance n'invoqua pas le mandat qu'elle aurait dû établir par écrit. Ici se présentait une question très-controversable: comment se prouve le mandat tacite? Nous y reviendrons.

417. On a prétendu, et il a même été jugé qu'une dette résultant d'un arrêté de compte pouvait se prouver par témoins. La cour de cassation a cassé le jugement qui l'avait décidé ainsi. Il est d'évidence qu'un compte n'est pas un fait matériel. Cette décision s'applique également au compte de tutelle (2).

418. La cour de Pau a admis la preuve testimoniale du fait d'avoir payé une rente pendant plusieurs années, pour en induire que le défendeur était grevé du service de cette rente. Il y avait, de plus, de vieux titres qui énonçaient l'existence de la rente. Tout était irrégulier dans cette décision. Les payements ne se prouvent

(1) Rejet, 24 juillet 1862 (Pasicrisie, 1862, 1, 394).

(2) Cassation, 23 février 1814; Toulouse, 6 février 1835 (Dalloz, au mot Obligations, no 4658).

pas par témoins, et les énonciations des actes ne peuvent pas être invoquées contre les tiers qui n'y ont pas été parties. La preuve admise par la cour tendait à établir par témoins l'existence d'une obligation; ce qui est directement contraire à l'article 1341. L'arrêt a été cassé (1). 419. Un bureau de bienfaisance est mis en possession, par arrêté royal, d'une rente établie au profit d'une ancienne abbaye. On lui oppose la prescription. Le bureau répond que la prescription a été interrompue, et il est admis par le premier juge à prouver par témoins le fait de l'interruption. Cette décision a été réformée par la cour de Bruxelles. L'interruption de la prescription est un fait juridique qui ne peut se prouver par témoins; comme le dit très-bien la cour, la preuve tendrait à établir par témoins l'existence d'une convention qui excède 150 francs (2). Il ne faudrait pas conclure de là qu'aucun fait interruptif de prescription ne peut être prouvé par témoins; s'il s'agit d'un fait matériel, tel que l'exercice d'un droit de passage, la preuve en pourra être faite par

témoins.

420. Il y a des cas où la nature du fait est douteuse. Je détruis un mur que mon voisin prétend avoir été mitoyen. Serai-je admis à prouver par témoins que ce mur portait des marques de non-mitoyenneté et que, par suite, j'en étais le propriétaire exclusif? La cour d'Amiens a jugé que la preuve testimoniale n'était pas admissible, parce que l'objet du litige était supérieur à 150 francs (3), Cela nous paraît douteux. Le mode de construction d'un mur est un fait matériel, donc on en peut faire la preuve par témoins. Exiger une preuve littérale, c'est rendre inutile la disposition du code qui admet des marques de nonmitoyenneté pour établir la propriété exclusive du mur.

III. Faits purs et simples.

421. Le divorce et la séparation de corps peuvent être demandés pour cause d'adultère, pour excès, sévices ou

(1) Cassation, 14 mars 1827 (Dalloz, au mot Obligations, no 4654), (2) Bruxelles. 24 février 1825 (Pasicrisie, 1825, p. 324)

(3) Amiens, 29 juin 1849 (Dalloz, 1845, 4, 425).

injures graves. Ces faits peuvent être prouvés par témoins; ce sont des délits, et les délits s'établissent toujours par la preuve testimoniale. Nous renvoyons à ce qui a été dit au titre du Divorce.

L'action en divorce est éteinte par la réconciliation des époux. Si le demandeur nie qu'il y ait eu réconciliation, le défendeur en fera la preuve, dit l'article 274, soit par écrit, soit par témoins. C'est encore une application du principe qui permet de prouver par témoins les faits purs et simples (1).

422. La possession d'état se compose d'une série de faits matériels qui peuvent se prouver par témoins. Nous renvoyons à ce qui a été dit au titre de la Paternité et de la Filiation. Il en est de même de l'identité d'un individu qui réclame son état. Nous avons examiné, au premier livre, les difficultés que présente la preuve en matière d'état (2).

423. Le droit de propriété résulte, en général, de conventions ou d'actes translatifs de propriété; ce sont des faits essentiellement juridiques. Il y a des exceptions. En fait de meubles, la possession vaut titre (art. 2279), et la possession, comme nous allons le dire, se prouve par témoins. La propriété du trésor appartient en partie à celui qui le trouve, en partie à celui qui est propriétaire du fonds où la chose était cachée ou enfouie. Le fait de l'invention est un fait matériel que l'on peut prouver par témoins. De même celui qui a caché ou enfoui la chose est admis à prouver par témoins qu'il en est le proprietaire. Nous renvoyons à ce qui a été dit ailleurs sur cette question (3).

424. La possession est un fait, quoiqu'elle produise des conséquences juridiques d'une grande importance. Doit-on, à raison de ces conséquences, la considérer ellemême comme un fait juridique? Non, car les faits qui constituent la possession ne produisent pas toujours et

(1) Voyez le tome III de mes Principes, p. 244, no 205 et p. 248, no 210. (2) Voyez le tome III de mes Principes, p. 509, no 405 et p. 500, nos 399402. (3) Voyez le tome VIII de mes Principes, p. 539, no 456.

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