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staterait le délit et fournirait une preuve contre lui (1).

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596. Faut-il appliquer le même principe aux faits qui, sans être des délits criminels, sont contraires aux bonnes mœurs ou à l'ordre public? Oui, sous la condition déterminée par l'article 1348, c'est que la partie qui demande à faire preuve par témoins de la simulation ait été dans l'impossibilité de s'en procurer une preuve littérale. Telles sont les dettes de jeu. "La loi n'accorde aucune action pour une dette de jeu ou pour le payement d'un pari (article 1965). De là la nécessité de déguiser la vraie cause des engagements contractés par la partie perdante. Est-elle admise à prouver la simulation par témoins? Il y a un doute, elle était libre de ne pas consentir à la simulation, elle pouvait refuser de signer le billet simulé; cela est vrai, mais consentant à jouer et à payer, en cas de perte, elle était moralement obligée de donner une reconnaissance de son obligation en y mettant une fausse cause, et par la même raison il lui était impossible de demander une contre-lettre, car la contre-lettre aurait constaté la nullité du billet qu'elle souscrivait, ce qui serait contradictoire et par suite impossible (2).

597. La jurisprudence française applique ce principe à la stipulation d'un supplément du prix porté au traité de cession d'un office. Il y a un motif de douter, c'est que toute convention doit, en principe, être prouvée par écrit, et quand il y a un écrit, aucune preuve par témoins n'est admise contre cet écrit; on ne serait donc pas admis à prouver par témoins que le prix d'une vente porté à 10,000 francs dans l'acte est en réalité de 15,000 francs. Mais la cession des offices est régie par des principes particuliers; il n'est pas permis aux parties de stipuler un supplément de prix; quand cela se fait, elles sont obligées de recourir à la simulation et il leur est impossible de dresser acte de la simulation par une contrelettre, puisque ce serait la preuve écrite de la nullité de leurs conventions. La cour de cassation n'invoque pas ce

(1) Voyez la jurisprudence dans le Répertoire de Dalloz, au mot Obligations, no 4948).

(2) Duranton, t. X, p. 384, no 370. Aubry et Rau, t. VI, p. 469, note 31.

motif; elle pose en principe que la preuve par témoins contre un acte est admissible quand il est attaqué pour cause de fraude; elle ajoute que ce principe doit recevoir son application aux conventions écrites qui ont pour objet de soustraire à la surveillance de l'autorité les traités relatifs à la transmission d'un office. Ces conventions étant contractées en fraude des lois qui ont pour objet l'intérêt public, il importe qu'elles soient annulées et, par suite, la preuve testimoniale en doit être reçue (1). L'argumentation serait excellente si le code posait le principe qui lui sert de base, mais le code ne dit pas que la fraude à la loi peut se prouver par témoins, ce qui est décisif.

598. Il est de doctrine et de jurisprudence que les promesses de mariage sont nulles, ainsi que les obligations sous forme de clause pénale ou de dédit qui accompagnent ces promesses. Celui qui a signé un engagement pareil, en lui donnant une fausse cause, est-il admis à prouver la simulation par témoins? La question a donné lieu à de longs débats. Par un premier arrêt, la cour de cassation cassa l'arrêt de la cour de Riom qui avait admis la preuve testimoniale. Elle invoque l'article 1341 qui défend toute preuve par témoins contre le contenu à l'acte; la règle ne reçoit d'exception que dans les cas prévus par les articles 1347 et 1348; or, ces exceptions n'étaient pas articulées par l'arrêt attaqué. Le seul motif que l'on alléguait, c'est la fraude à la loi; la cour repoussa cet argument, parce que l'article 1353 n'est pas applicable à la cause; cette disposition, dit la cour, ne s'applique qu'à la fraude imputable à la partie contre laquelle les faits sont articulés (2). La cour de Lyon s'étant prononcée pour l'opinion contraire, l'affaire revint devant les chambres réunies qui décidèrent que la preuve testimoniale était admissible. L'arrêt nous paraît trèsfaiblement motivé. Il écarte la prohibition établie par l'article 1341 en disant qu'elle reçoit exception par l'article 1353, lequel admet la preuve par présomption dans

(1) Cassation, 9 janvier 1850 (Dalloz, 1850, 1, 46).

(2) Cassation, 29 mai 1827 (Dalloz, au mot Obligations, no 4949).

les cas où l'acte est attaqué pour cause de dol ou de fraude; or, dans l'espèce, il y a tout ensemble fraude à la loi, parce que l'obligation serait contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs, et fraude envers la personne, puisqu'elle porterait atteinte à la liberté de son choix (1). Tout cela est vrai, mais cela est étranger à la question; il n'y a d'autres exceptions à la prohibition de l'article 1341 que celles que la loi consacre dans les articles 1317 et 1348; l'article 1347 était hors de cause, c'est donc l'article 1348 qui était le siége de la difficulté. Et la cour n'en dit rien. Nous avons cité plus haut un arrêt de la cour de Gand qui place la question sur ce terrain, en décidant que le souscripteur du billet qui contient un dédit de mariage est dans l'impossibilité de demander une contre-lettre (2); nous laissons de côté les sentiments de délicatesse que la cour de Gand invoque, pour nous en tenir au motif juridique; la contre-lettre fournirait la preuve de la nullité des billets; or, peut-on demander que les parties dressent une contre-lettre qui prouverait la nullité de leurs conventions?

599. Un mari fait à sa femme une donation déguisée sous forme d'une reconnaissance de dette. La simulation peut-elle être prouvée par témoins? Il y a fraude à la loi, dit la cour de Limoges; il est certain que la donation déguisée est révocable, mais il s'agit de savoir comment la simulation sera prouvée (3). La cour invoque l'article 1353. C'est toujours la même argumentation. Dans notre opinion, la question doit être décidée par l'art. 1348. Y avait-il impossibilité de se procurer une preuve littérale? L'affirmative est au moins douteuse. La contrelettre, dans l'espèce, n'aurait pas fourni la preuve de la nullité de l'acte, car l'acte n'est pas nul, il est seulement révocable; or, il ne dépend pas des parties de rendre irrévocable une libéralité que la loi déclare révocable; les parties peuvent donc constater que la reconnaissance de dette implique une libéralité; elles peuvent le faire pour

(1) Rejet, 7 mai 1836 (Dalloz, au mot Mariage, no 90 ̊, 3o).

(2) Gand, 26 mars 1852. Voyez, plus haut, no 578.

(3) Limoges, 28 février 1839 (Dalloz, au mot Obligations, no 4950, 4o).

valider la libéralité, elles peuvent aussi le faire pour éluder la loi; si elles ont pour but d'éluder la loi, en faisant une donation révocable sous la forme d'un contrat irrévocable, il y a impossibilité morale à donner par une contre-lettre la preuve de la nature révocable de l'acte ; en ce sens l'article 1348 serait applicable.

600. Un frère souscrit, au profit de sa sœur, une obligation de 6,000 francs, exigible après sa mort et sans intérêts jusqu'à cette époque. Le frère se marie, il devient père et demande la nullité de l'obligation qu'il prétend simulée. Peut-il prouver la simulation par témoins? Cela est très-douteux. La cour de Toulouse a admis la preuve testimoniale par toutes sortes de motifs, tous étrangers à la question (1). Si l'on admet la doctrine consacrée par la jurisprudence, on peut dire qu'il y avait fraude au principe de la révocabilité des testaments; la prétendue obligation n'étant au fond qu'une libéralité à cause de mort que les parties avaient essayé de rendre irrévocable. Dans notre opinion, il faut voir si le frère pouvait demander une contre-lettre constatant que la dette était une libéralité. Il n'y a pas là d'impossibilité de se procurer une preuve littérale. Que voulait la soeur? Une libéralité irrévocable. Eh bien, la contre-lettre aurait constaté qu'il y avait libéralité. Il est vrai que la libéralité se serait trouvée révoquée par survenance d'enfants. Mais ce fait ne pouvait être prévu lors du contrat. Nous croyons que, dans ce cas, la preuve par témoins n'était pas admissible.

601. La cour de cassation a porté la même décision dans une affaire analogue. Une vente était attaquée comme déguisant une disposition à cause de mort. La cour de Rennes l'annula en se fondant sur des présomptions. Pourvoi en cassation pour violation de l'art. 1341. La cour de cassation rejeta le pourvoi; l'arrêt formule nettement le principe que l'on peut admettre les présomptions et partant la preuve testimoniale, quand il s'agit de simulation et de fraude à une loi d'ordre public (2). Nous

(1) Toulouse, 9 janvier 1820 (Dalloz, au mot Dispositions, no 1877).
(2) Rejet, 14 novembre 1843 (Dalloz, au mot Dispositions, no 1684, 6o).

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voudrions que ce principe fût inscrit dans la loi, mais nous l'y cherchons vainement. Les arrêts de la cour su prême, en cette matière, sont à peine motivés : elle se borne à citer l'article 1353, on dirait que cette disposition est claire comme le jour, tandis que les meilleurs auteurs avouent qu'elle est inexplicable.

602. Un mariage est annulé : les deux époux étant de mauvaise foi, les conventions matrimoniales et les donations faites par contrat de mariage viennent à tomber. Cela est certain quand la donation est faite ouvertement. Mais que faut-il décider si elle est déguisée sous la forme d'une reconnaissance de dot? Il a été jugé, conformément à la jurisprudence, que la simulation constituant une fraude à la loi pouvait être prouvée au moyen de simples présomptions, partant par témoins (1). La cour ne cite même pas l'article 1353. Quant à la fraude à la loi que la jurisprudence invoque comme un axiome, elle était très-douteuse dans l'espèce, en ce sens du moins qu'il s'agissait seulement d'une libéralité indirecte faite sous forme d'un contrat onéreux. Cependant la cour a bien jugé, car l'acte n'était pas attaqué par l'une des parties; dès lors l'article 1341 était hors de cause, car les tiers, comme nous allons le dire, peuvent toujours prouver la simulation par témoins.

2. A L'ÉGARD DES TIERS.

603. Les tiers peuvent attaquer un acte pour cause. de simulation; on ne peut leur opposer l'article 1341 qui défend de recevoir aucune preuve par témoins contre le contenu à l'acte, car ils peuvent invoquer le bénéfice de l'exception établie par l'article 1348: il ne leur a pas été possible de se procurer une preuve littérale de la simulation. Il n'y a pas à distinguer si la simulation est frauduleuse ou non; l'article 1348 est général, il reçoit son application toutes les fois que le demandeur s'est trouvé dans l'impossibilité de se procurer une preuve littérale.

(1) Poitiers, 10 juillet 1846 (Dalloz, 1846, 2, 195).

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