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de l'exception (1). On conçoit que le législateur fasse ces distinctions et établisse des conditions; mais la jurisprudence a-t-elle ce droit? N'est-ce pas faire la loi?

§ III. Effet de l'annulation.

No 1. ENTRE LES PARTIES.

I. La règle.

61. L'obligation annulée est censée n'avoir jamais existé. Ce principe est admis par tous les auteurs, bien qu'il ne soit pas écrit dans la loi (2). Raison de plus pour en rechercher le vrai motif. On cite l'article 1183, aux termes duquel la condition résolutoire opère la révocation de l'obligation lorsqu'elle s'accomplit et remet les choses au même état que si l'obligation n'avait pas existé (3). Il est certain que l'annulation produit le même effet que la résolution; ce n'est pas à dire que l'on doive confondre le principe de la résolution avec celui de la nullité. Si la condition résolutoire anéantit le contrat, c'est que telle est la volonté des parties; aussi la résolution ne doit-elle pas être demandée en justice. L'annulation, au contraire, a lieu quand le contrat est vicié, et c'est à raison de ce vice que le juge en prononce l'annulation sur la demande de la partie qui doit agir en nullité. C'est également ce vice qui explique l'effet de l'annulation; un contrat vicié et nul comme tel ne peut produire aucun effet, le législateur ne pouvant donner sa sanction à une convention qu'il réprouve et qu'il annule. Il est vrai que le juge doit intervenir pour prononcer l'annulation, mais une fois le contrat annulé, il ne saurait produire aucun effet

62. Si le contrat annulé n'a reçu aucune exécution, l'effet de l'annulation est très-simple; il n'y a plus de con

(1) Voyez les arrêts dans le Répertoire de Dalloz, au mot Obligations, nos 2940 et 2941. Il faut ajouter Bruxelles, 27 juillet 1832 (Pasicrisie, 1832, 2, 251) et Gand, 31 mars 1841 (Pasicrisie, 1841, 2, 137).

(2) Zachariæ, édition de Massé et Vergé, t. III, p. 475.

(3) Larombiere. t. IV, p. 35, no 15 de l'article 1304 (Ed. B, t. II, p. 423)

trat, donc plus d'obligation, ni créancier, ni débiteur. Mais le contrat peut avoir été exécuté; dans ce cas, les parties doivent être remises au même état que si l'obligation n'avait pas existé; chacune d'elles doit donc rendre ce qu'elle a reçu en vertu du contrat. Si donc une vente est annulée, l'acheteur devra rendre la chose et le vendeur le prix. Là ne se borne pas l'obligation de restitution; si l'acheteur a perçu des fruits, il doit les restituer; de son côté, le vendeur qui a eu la jouissance du prix doit compte des intérêts. Le vendeur a droit aux intérêts quand la chose vendue et livrée produit des fruits ou autres revenus (art. 1652); donc quand on lui restitue les fruits, il ne peut pas garder les intérêts. Nous reviendrons sur ce point au titre de la Vente.

63. Le vendeur devant les intérêts et l'acheteur les fruits, on peut demander s'il y a lieu à compensation. On applique les principes généraux qui régissent la compensation; il pourra donc y avoir compensation entre la dette du vendeur et celle de l'acheteur si les conditions. requises pour la compensation existent. Mais la compensation n'a pas lieu, en ce sens que l'obligation de l'acheteur de restituer les fruits se compense avec l'obligation. du vendeur de restituer les intérêts. Une pareille compensation serait contraire au principe de la restitution; les fruits ont généralement une valeur moindre que les intérêts du prix, donc la compensation ne remettant pas les parties dans la situation où elles étaient avant d'avoir traité, le vendeur gagnerait et l'acheteur serait en perte. Il est vrai que l'article 1682 établit le principe de la compensation, ainsi entendu, quand la vente est rescindée. pour cause de lésion. Mais cette disposition est exceptionnelle, comme nous le dirons au titre de la Vente. On a tort d'invoquer, à titre de droit commun, une disposition qui est exorbitante du droit commun (1).

64. L'acheteur ou le possesseur, en général, sera-t-il dispensé de restituer les fruits, s'il est de bonne foi (2)?

(1) Larombière admet la compensation en vertu de l'article 1682 (t. IV, p. 155, no 3 de l'article 1312) (Ed. B., t. II, p. 468).

(2) Zachariæ, édition de Massé et Vergé, t. III, p. 475, note 3

A notre avis, la question n'a pas de sens et nous ne comprenons pas qu'on la décide affirmativement. L'article 549 n'a rien de commun avec l'annulation d'un contrat; il ne s'applique qu'au cas où le propriétaire revendique la chose contre un tiers possesseur; quand un contrat est annulé, il ne s'agit pas de revendication, et le défendeur n'est pas non plus un possesseur de bonne foi dans le sens de l'article 549. Nous renvoyons à ce qui a été dit ailleurs sur cette disposition que la jurisprudence a si mal interprétée (1).

65. La cour de cassation a appliqué le principe de la restitution à la vente d'un fonds de commerce, mais l'arrêt est mal motivé; c'est la raison pour laquelle nous le citons, afin de rétablir les vrais principes, qui ne sont pas douteux. Le vendeur avait reçu une partie du prix qu'il devait restituer et l'acheteur devait restituer le fonds de commerce en tenant compte au vendeur de ce qui y manquait. Or, il se trouvait qu'il avait détourné des effets et marchandises qui faisaient partie de la pharmacie, objet de la vente; de ce chef encore, il était dû une indemnité au vendeur. La cour de Rouen condamna le vendeur à restituer les 12,500 francs qu'il avait reçus sur le prix et le renvoya à se pourvoir à la faillite de l'acquéreur pour le recouvrement de la somme qui lui était due par celui-ci. Cette décision a été cassée. La cour de cassation décida que le vendeur avait le droit de retenir sur le prix qu'il avait touché la valeur des effets et marchandises détournés par l'acheteur; que si le montant de cette indemnité ne pouvait s'évaluer immédiatement, il fallait suspendre la restitution des 12,500 francs. Telle est, en effet, la conséquence logique du principe de restitution; les deux parties doivent être mises dans l'état où elles étaient avant d'avoir contracté, ce qui demande une égalité complète; or, il y aurait eu préjudice pour le vendeur et profit pour l'acheteur ou ses créanciers dans le système de la cour de Rouen. Cela suffisait pour casser l'arrêt. La cour de cassation ajoute un motif très-obscur et qui nous paraît faux. Le vendeur, dit-elle, se trouvant débiteur d'une

(1) Voyez le tome V de mes Principes, p. 313, nos 239 et suiv.

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partie du prix qu'il avait reçue et créancier de la valeur des effets et marchandises enlevés ou vendus, il s'opérait dans su personne confusion jusqu'à concurrence (1). Qu'est-ce que la cour entend par confusion? Est-ce la confusion qui éteint les obligations? Il n'en pouvait être question, puisqu'il ne s'agissait pas d'une même créance dont une personne était tout ensemble créancière et débitrice. La cour veut-elle dire qu'il y avait compensation? Les deux dettes ne pouvaient se compenser, puisque l'une était liquide, tandis que l'autre ne l'était pas. En définitive, le mot n'a pas de sens et l'argument pas davantage.

II. L'exception.

66. L'article 1312 porte: « Lorsque les mineurs, les interdits ou les femmes mariées sont admis en ces qualités à se faire restituer contre leurs engagements, le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé pendant la minorité, l'interdiction ou le mariage, ne peut en être exigé, à moins qu'il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit. » BigotPréameneu expose les motifs de cette disposition en ces termes : « Ce serait en vain que les mineurs, les interdits et les femmes mariées seraient admis à se faire restituer contre leurs engagements, si le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé aux incapables pouvait en être exigé. » En effet, la loi a pour objet de les protéger contre leur incapacité et d'empêcher qu'ils ne soient lésés. Or, ils seraient lésés s'ils devaient rembourser ce qu'ils ont reçu, et ce que, par suite de leur incapacité, ils ont inutilement dépensé. Pour qu'ils ne soient pas lésés, ils ne doivent être tenus de rembourser que ce qui a tourné à leur profit. La justice exige qu'ils remboursent ce dont ils ont profité, car ils ne doivent pas s'enrichir aux dépens d'autrui (2).

(1) Cassation, 13 mai 1833 (Dalloz, au mot Vente, no 1427).

(2) Bigot-Préameneu. Exposé des motifs, no 181 (Locré, t. VI, p. 179) Colmet de Santerre, t. V, p. 522, no 275 bis.

67. Pour que les incapables puissent invoquer le bénéfice de l'article 1312, il faut qu'ils soient restitués à raison de leur incapacité; la loi le dit, et le motif de la loi suffisait pour le décider ainsi. C'est à raison de leur incapacité que la loi fait en leur faveur une exception à la règle de restitution. Si donc les incapables attaquent l'acte pour une autre cause, par exemple, pour vice de consentement, ils ne sont pas dans le cas de l'exception, partant ils restent soumis au droit commun. Pour le mineur, il se présente une légère difficulté: il a l'action en rescision pour cause de lésion et il a l'action en nullité pour inobservation des formes légales. Lorsqu'il agit en nullité, pourra-t-il invoquer la disposition de l'article 1312? Le motif de douter est que, dans ce cas, il ne doit pas prouver la lésion; son action n'étant pas fondée sur la lésion, on pourrait croire qu'il n'y a pas lieu de le protéger contre la lésion. Ce serait mal raisonner; le mineur est toujours lésé, en ce sens qu'il n'a pas joui de la protection. que la loi a voulu lui assurer. C'est donc comme mineur lésé, et en cette qualité, qu'il demande la nullité. Donc l'article 1312 est applicable. Il y a un arrêt en ce sens (1).

L'article 1312 ajoute: « Ce qui leur a été payé pendant la minorité, l'interdiction ou le mariage. » Si donc ils avaient reçu un payement après que leur incapacité a cessé, ils devraient en faire la restitution. La raison en est évidente; si la loi les dispense de la restitution, c'est qu'elle suppose qu'étant incapables, ils auront dissipé ce qu'ils ont reçu; ce motif cesse lorsqu'ils reçoivent en état de capacité, ils sont alors dans la même position que tous les contractants, ils doivent, par conséquent, subir la loi commune (2).

68. Les incapables doivent rembourser ce qui leur a été payé et ce qui a tourné à leur profit. Il va sans dire que, s'ils n'ont rien reçu, ils ne doivent rien rendre. Mais ceia ne suffit point; ils peuvent avoir reçu et avoir dis

(1) Bruxelles, 9 mai 1860 (Pasicrisie, 1860, 2, 158).

(2) Larombiere, t. IV, p. 155, nos 3 et 4 de l'article 1312 (Ed. B.. t. p. 469).

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