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sipé ce qui leur a été payé. Voilà pourquoi la loi exige que la chose leur ait profité.

La cour de cassation a fait l'application de ces principes à l'espèce suivante. Un mineur non commerçant souscrit un billet à ordre causé valeur en marchandises. Ce billet passé, valeur reçue comptant, à l'ordre d'un tiers, est protesté faute de payement. Le tribunal de commerce décida que le billet prouve que le souscripteur avait reçu la valeur et en avait profité. Sur le pourvoi, il intervint un arrêt de cassation. Le billet ne prouvait pas même que le mineur avait reçu les marchandises. En effet, la loi veut que les billets à ordre énoncent la valeur fournie en espèces, en marchandises ou de toute autre manière; le billet fait preuve de la fourniture entre majeurs ou entre mineurs commerçants, il n'en est pas de même quand un mineur non commerçant a souscrit le billet; les principes de droit commercial sont dominés, dans ce cas, par le principe du droit civil qui assure protection au mineur; il faut donc prouver que le mineur a reçu. Et quand on ferait cette preuve, elle n'établirait pas qu'il a profité de ce qu'il a reçu; le profit résulte de ce qui s'est passé postérieurement à l'acte, de l'emploi que le mineur fait de l'argent, et certes le billet à ordre ne peut pas prouver ce qui s'est passé après qu'il a été souscrit (1).

69. Quand peut-on dire que le payement fait à l'incapable a tourné à son profit? C'est, en général, une question de fait que les juges décident d'après les circonstances de la cause (2). Il se présente cependant une difficulté de droit. Quel moment faut-il considérer pour estimer si l'emploi fait par l'incapable lui a profité? Estce celui où l'argent a été placé ou employé à des dépenses utiles, ou est-ce le moment où l'action est intentée? La même question se présente dans l'interprétation de l'article 1241; elle est controversée; nous renvoyons à ce qui a été dit sur le payement (3). Il y a un arrêt de la cour

(1) Cassation, 26 novembre 1861 (Dalloz, 1861. 1, 490).

(2) Voyez les arrêts rapportés dans le Répertoire de Dalloz, au mot Obligations, no 2979.

(3) Voyezle t. XVII de mes Principes, p. 527, no 541.

de cassation en faveur de l'opinion que nous avons enseignée. Le mineur vend pour payer une dette, dans le but d'éviter les poursuites que le créancier pouvait diriger contre lui. Plus tard on découvre que la dette n'existait point. Peut-on dire que la vente et le payement du prix lui ont profité? Oui, dit la cour de cassation, car le payement lui a été utile, en ce sens que l'emploi était utile; un majeur n'aurait pas agi autrement, donc le mineur ne peut pas se plaindre qu'il a été lésé par son incapacité et, par suite, il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 1312.

0. L'article 1312 dit : « A moins qu'il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit. » Qui doit faire cette preuve? C'est celui qui a contracté avec le mineur. En effet, le principe d'où la loi part est que l'incapable ne doit pas rembourser, parce qu'elle suppose qu'il aura dissipé les deniers en inutiles dépenses; c'est par exception qu'il est tenu de restituer si ce qui a été payé lui a profité. Or, c'est à celui qui invoque cette exception de faire la preuve du fait qui donne lieu au remboursement. C'est l'opinion générale, et nous n'y voyons aucun doute(1).

71. Il a été jugé que ces principes reçoivent leur application à la femme mariée, séparée de corps, qui prend un bien à bail sans autorisation du mari. Nous ne comprenons pas qu'il ait fallu deux arrêts de cassation, dans la même affaire, pour juger ce que la loi décide formellement dans l'article 1312, car elle met les femmes mariées sur la même ligne que les mineurs et les interdits. Le bail était nul, donc il fallait régler les restitutions, s'il y avait lieu. Ce qui a trompé la cour, c'est que la femme avait joui du bien et en avait perçu les fruits; mais qu'importe? Il fallait encore voir si ces fruits lui avaient profité. Au lieu de cela, la cour de Bourges condamna la femme à tenir compte, à dire d'experts, des revenus et fermages des terres et usines qui faisaient l'objet du bail. C'était violer ouvertement l'article 1312 (2).

(1) Duranton, t. XII, p. 681, no 562. Larombière, t. IV, p. 158, no 6 de l'article 1312 (Ed. B, t. I, p. 469).

(2) Cassation, 25 août 1841 et 27 décembre 1843 (Dalloz, au mot Obligations, no 394).

No 2. EFFET DE L'ANNULATION A L'ÉGARD DES TIERS.

I. D'après le code civil.

72. L'annulation rétroagit contre les tiers, c'est-à-dire que si un contrat translatif de propriété est annulé, tous les actes de disposition et d'administration même faits par le possesseur tomberont. C'est la conséquence logique du principe qui régit l'annulation. L'acte annulé est censé n'avoir jamais existé; donc le possesseur n'a jamais eu de droit sur la chose et, par suite, il n'en a pas pu transmettre à des tiers. Le code le dit pour l'hypothèque : - Ceux qui n'ont sur l'immeuble qu'un droit sujet à rescision ne peuvent consentir qu'une hypothèque soumise à la même rescision (art. 2125). Ce qui est vrai de l'hypothèque est vrai de tout acte de disposition: celui qui n'a pas de droit sur une chose n'en peut transmettre à d'autres.

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L'article 2125 met la rescision sur la même ligne que la résolution, il faut donc appliquer par analogie ce que nous avons dit des effets de la condition résolutoire(t. XVII, n° 80 et 81). Qu'un acte soit rescindé ou résolu, dans tous les cas le possesseur est censé n'avoir jamais été propriétaire; donc tous les actes qu'il a faits doivent tomber, sans qu'il y ait à distinguer entre les actes d'administration et les actes de disposition. Nous renvoyons à ce qui a été dit de la condition résolutoire.

73. Quelle est l'action que le demandeur en nullité a contre les tiers? Il ne peut pas agir directement contre les tiers; l'action en nullité naît d'un contrat et ne peut étre intentée que contre la partie contractante; le tiers possesseur est étranger au contrat; donc celui qui agit en nullité ne peut pas demander contre le tiers l'annulation d'un contrat. Il faut, avant tout, que le demandeur obtienne l'annulation de l'acte en vertu duquel les droits. ont été concédés. Une fois le contrat annulé, il peut revendiquer contre le tiers possesseur. Mais comme il ne peut opposer aux tiers le jugement d'annulation, il devrait de nouveau faire annuler l'acte contre le tiers. Pour em

pêcher que le tiers ne se prévale contre lui du principe de la chose jugée, le demandeur en nullité peut mettre le tiers détenteur en cause et conclure contre lui à la restitution de la chose en cas d'annulation. Le jugement qui intervient étant rendu contre le tiers, le demandeur évitera un nouveau procès (1).

Nous ne faisons que résumer les principes que nous avons exposés en traitant de la résolution. Il y a une autre théorie empruntée à la tradition romaine, celle des actions in rem scriptæ ou, comme on dit, des actions personnelles-réelles (2). Nous avons combattu cette théorie, vrai barbarisme, à notre avis, une action ne pouvant pas tout ensemble être réelle et personnelle (3). Elle est d'ail leurs tout à fait inutile; les principes très-simples que nous venons d'exposer suffisent pour résoudre la difficulté, si difficulté il y a.

74. La jurisprudence a consacré le principe qui donne effet à l'annulation à l'égard des tiers (4); mais elle confond parfois les actes nuls et les actes inexistants. Il faut relever ces erreurs de doctrine. Notre science est une science exacte et ne souffre pas de demi-vérité. Le tuteur d'un interdit demande la nullité des actes faits par l'interdit avant l'interdiction, à une époque où la cause de l'interdiction existait notoirement. Est-ce une demande en nullité proprement dite? Cela dépend de la preuve faite par le demandeur. Dans l'espèce, la cour dit que la personne, depuis interdite, n'avait plus l'intelligence de ses actions; elle était donc incapable de consentir et, par suite, les actes par elle faits étaient inexistants. Dans cette hypothèse, le tuteur pouvait agir directement en revendication contre les tiers. On ne procéda pas ainsi. C'est en vertu du jugement d'annulation que le tuteur réclama les biens qui avaient été revendus sur licitation judiciaire. Peu importait la forme de la vente; les premiers acquéreurs ne pouvaient pas plus liciter que vendre. Peu

(1) Duranton, t. XII, p. 682, nos 564-566.

(2) Larombière, t. IV, p. 34, no 14 (Ed. B., t. II, p. 422).
(3) Voyez le tome XVII de mes Principes, p. 164, no 149.
(4) Cassation, 19 février 1856 (Dalloz, 1856, 1, 86).

importait encore la bonne foi des tiers acquéreurs; la bonne foi des tiers ne pouvait pas donner aux vendeurs un droit de propriété qu'ils n'avaient point. Peu importait enfin que l'ancien propriétaire, depuis interdit, eût assisté à l'adjudication; car les biens avaient été licités, non comme lui appartenant, mais comme appartenant à ses acquéreurs. On aurait pu dire qu'en assistant à la licitation, il avait confirmé la vente. La cour répond qu'il n'a pas pu confirmer des actes absolument nuls. Ce motil implique que les actes étaient plus que nuls, qu'ils étaient inexistants comme ayant été consentis par un individu incapable de consentir; ce qui viciait tout ce qui avait été fait (1).

75. Ces principes reçoivent-ils leur application à la nullité prononcée pour cause de dol? La question a fait l'objet d'une vive controverse. Elle se trouve très-bien résumée dans deux arrêts rendus par l'ancienne cour de Bruxelles siégeant comme chambre de cassation; le premier reproduisant la théorie romaine, le second consacrant les principes consacrés par notre code.

Le premier arrêt a été rendu sur les conclusions de Daniels, un de nos meilleurs jurisconsultes. Nous n'avons qu'un défaut à lui reprocher, c'est que nourri dans le droit romain, il consultait les compilations de Justinien de préférence au code Napoléon. C'est un exemple remarquable de l'influence que la tradition conserve sur les meilleurs esprits; il prouve aussi qu'il faut se défier de la tradition romaine qui, quoi qu'on en dise, n'est point la nôtre. La cour pose en principe que les restitutions en entier sont des actions personnelles, puisqu'elles ont toujours pour premier et principal objet de rompre un contrat ou une obligation. Nous arrêtons la cour et nous lui demandons ce que c'est qu'une restitution en entier; le mot ne se trouve pas dans notre code; il est vrai que les articles 1311 et 1312 emploient les expressions restitution, restituer, mais nulle part il n'est question d'une restitution en entier. La critique paraît puérile; elle a cependant

(1) Angers, 13 février 1846 (Dalloz, 1846, 2, 74).

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