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trous de montagne & dans le creux des rochers, dont ils ne fortent qu'à l'entrée de la nuit. Un d'entr'eux, & qui en eft comme le chef, pouffe une voix qui ressemble plus au cri d'un petit enfant qu'au jappement d'un chien; les autres Tchagals lui répondent ; & s'étant tous affemblez, ils descendent en filence des montagnes dans la plaine; & lorfqu'ils trouvent la caravane endormie, ils furetent dans le camp ; & fans faire aucun mal aux hommes, ils mangent ce qu'ils ont de provifions. Ils devoreroient de même les chiens s'ils en rencontroient, comme ils mangerent un veau que les Miffionaires d'Epahan nourriffoient dans leur jardin. Aiant fait ainfi leur ronde toute la nuit, à la pointe du jour au fignal que donne le chef, comme il l'a donné au commencement, toute la bande fe réunit & reprend le chemin des montagnes; la digreffion eft un peu longue, mais elle ne fera pas inutile

ceux qui font des voyages par terre en Orient. Je reprends donc le fil de l'hiftoire, & je vais retrouver le Miffionaire à Trebizonde, où je l'ai laissé.

Continuation du Voyage du Millionaire de Conftantinople à Erzerom.

LE Miffionaire, qui ne perdoit jamais de vûe le falut des ames, comme le but & la fin

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de les voyages, ne fut pas long-tems a Trebizonde fans s'apercevoir que les Armeniens, fur-tout ceux de Turquie, étoient de toutes les Nations d'Orient celle qui avoit le moins d'éloignement des Europeans, plus de docilité, plus d'envie de fe faire inftruire, & plus de difpofition à quitter le Schisme, qui depuis plufieurs fiecles, la féparoit de la vraie Eglife. A peine eurent-ils appris qu'un Vartabie ou Docteur franc, étoit arrivé chez eux, qu'ils vinrent le vifiter & lui marquer la joie qu'ils avoient de fon arrivée. Ils lui dirent & lui propoferent bien des choses; c'étoient des points de Religion fur lefquels ils fouhaitoient d'être inftruits, ainfi que le Miffionaire le comprit par quelques paroles qu'il entendoit à demi. Ce fut une vraie mortification pour lui de ne pouvoir les fatisfaire; ils fit du mieux qu'il put pour leur marquer d'une part la reconnoiffance qu'il avoit de leur charité, & les affürer de l'autre que Dieu ne manqueroit pas de leur envoier des Miffionaires qui fçauroient mieux leur langue, & qui leur donneroient les inftructions dont ils paroiffoient avoir un défir fi fincere. Dieu bénit en effet leur zele & leur bonne volonté, car l'an 1692. c'eft-à-dire peu d'années après, la Compagnie de Jefus leur envoia des hommes apoftoliques qui firent de très-grands fruits, & qui établirent à Trebizonde comme une

efpece de centre, où les différentes Miffions des Indes, de Perfe & d'Armenie puffent avoir correfpondance avec celles de Grece & de France. Ce fut avec bien de ladouleur que le Pere fut obligé de fe féparer de ces braves Chrétiens, pour fuivre la caravane qui partit le 15. de Décembre de l'an 1688. de Trebizonde pour Erzerom.

Le premier gîte fut au pied d'une montagne des plus hautes qui fe voit, & que les Turcs appellent Agatch bachi, c'est-àdire, la tête des arbres, foit parce qu'étant en haut on voit en bas comme dans un abîme des arbres qui femblent vouloir porter leur tête jufqu'au fommet, foit parce qu'elle eft toute couverte de forêts, dont certains cantons font remplis de lauriers de toute efpece qui lui couronnent la tête. On peut juger de la hauteur de cette montagne, parce qu'il faut marcher un jour & demi pour arriver jufqu'au fommet; auffi découvre-t-on de là toute l'étendue de la mer noire, & une plaine très-agréable femée de fleurs & même de tulipes qui valent bien celles de l'Europe. Ce n'eft pas la feule route qu'on puiffe prendre pour aller de Trebizonde à Erzerom, il y en a une autre encore, & c'eft de laiffer Agatch bachi fur la gauche, & d'aller par Ghumich kana, petite ville, dont le nom en langue Turquè fignifie maifon d'argent,

On pourroit également la nommer maison de cuivre & maison d'or, parce qu'elle eft fituée dans un pays de rochers qui eft plein de mines de cuivre, d'or & d'argent : les Turcs en pourroient faire un profit immense, s'ils y faifoient travailler, mais c'eft là leur génie, de négliger les richesses que la nature a renfermée dans le fein de leur dès qu'il faut de la peine pour les en tirer. Ils permettent aux Marchands étrangers d'y venir puifer & de s'enrichir par leur travail, à condition de paier au Grand Seigneur certains droits dont on eft convenu, felon la quantité & la qualité de métail qu'ils ont tiré des mines.

pays,

Après avoir paffé la montagne d'Agatch bachi, on continua le voyage par la petite ville de Beybourt, & le 24 de Décembre on campa à trois heures d'Erzerom, fur les rives de l'Euphrate, qu'on paffa à une journée de fa fource, & le lendemain, jour de Noël, le Miffionaire arriva heureusement àErzerom.

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Troifiéme Voyage d'Erzerom à
Chamaky.

Left bien doux à un Miffionaire qui a effuié fur terre & fur mer, dans un voyage de plus de quatorze cenț lieues, des fatigues

incroiables, de fe trouver dans une Maison de la Compagnie avec les freres: c'est ce que le Pere expérimenta à fon arrivée à Érzerom, où il trouva deux Jefuites pleins de l'affection la plus tendre: il avoue qu'un heure de tems paflée avec eux lui fit oublier tous les travaux ; l'un des deux étoit le Pere Roche, François de Nation, & premier Superieur des Miffions de Perfe & d'Armenie, homme vraiment apoftolique, cheri de tous, & des Mahometans prefque autant que des Chrétiens, par les fervices importans qu'il rendoit aux uns & aux autres. Ce qui lui donnoit le moien de les leur rendre étoit partie la connoiffance qu'il avoit de la Medecine, partie le zele infatigable avec lequel il travailloit à la réunion des Schifmatiques à l'Eglife, en quoi Dieu lui donna de fi grands fuccès, qu'en peu de tems fa Miffion d'Erzerom fut la plus floriffante qu'eût la Compagnie dans ces Terres étrangeres. Le faint homme ne tarda gueres à

être la victime du zele dont il brûloit; car une pefte violente ravageant le champ qu'il cultivoit, il fe livra tellement au fecours de ceux qui en étoient frappez, qu'il en fut atteint lui-même, & confomma fon facrifice par ce martyre de charité. Les Armeniens qui le révéroient comme leur Apôtre, voulurent avoir fon corps, qu'ils

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