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Dans un ordre du jour publié à Lyon, le général français, se permettait vis-à-vis de la Suisse, la menace suivante.

(( Nos turbulents voisins se convaincront bientôt « qu'il aurait mieux valu se soumettre à la demande << du gouvernement français plutôt que de répondre « par des déclarations blessant notre orgueil national. » Le 22 août, le grand conseil thurgovien, assemblé à Weinfelden, déclarait, à la suite d'une longue discussion, que le canton ne se rendrait pas à la demande du gouvernement français, tendant à l'expulsion de Louis-Napoléon Bonaparte. Cette déclaration était fondée sur ce que le prince était, depuis 1832, citoyen thurgovien, argument combattu par le duc de Montebello qui prétendait qu'il manquait à cette naturalisation la renonciation du prince à sa qualité de Français.

On décidait en outre que de quelque conspiration

le prince fût-il l'auteur il n'appartenait, dans l'é

tat actuel des choses, ni à la diète ni à la France, mais au seul état de Thurgovie dont il était ressortissant, le droit de sévir contre lui.

Cette décision avait été prise à la suite de la lecture d'une lettre datée d'Arenenberg, le 20 août, adressée par Louis-Napoléon au grand conseil et qui renfermait entre autres cette phrase:

« Le gouvernement français, qui maintient la loi « qui me considère comme mort civilement, n'a pas

« besoin de s'adresser à la Suisse pour savoir qu'il « n'y a qu'en Thurgovie où j'ai des droits de citoyen. « Quand il s'agit de me persécuter, il me reconnaît « alors seulement comme Français; à Strasbourg, il « faisait déclarer qu'il me regardait comme étranger. » Cinq jours après, le 27 août, j'informais la diète de la décision ci-dessus du grand conseil de Thurgovie.

En outre, je faisais observer que l'opinion que le prince émettait dans sa lettre sur sa qualité de citoyen thurgovien n'avait aucune importance; il s'agissait peu, dans l'espèce, des qualités que le prince se reconnaissait à lui-même, mais de celles que la loi lui conférait.

Je déclarais que mon canton opposait à la demande d'une renonciation à des droits de Français l'article 17 du code Napoléon qui prescrit que le Français perd ses droits comme tel par sa naturalisation en pays étranger, sans faire dépendre cette perte de la déclaration d'une renonciation spéciale. Pour la seconde fois, je repoussais comme erronés les renseignements qu'on se plaisait à répandre dans le public sur Arenenberg.

En terminant, je me référais à la décision antérieure prise par mon gouvernement et dont j'avais donné communication à la diète dans sa séance du 6 août.

Mais les menaces contenues dans les dépêches du ministre des affaires étrangères et la proclamation

du général Aymard ne restaient pas sans inquiéter les grands conseils cantonaux et sans augmenter l'irritation du peuple tout entier.

C'est dans les cantons de Vaud et de Genève surtout que cette irritation se manifestait le plus énergiquement.

Les déclarations de la légation suisse à Paris et les notes des représentants des cantons susmentionnés, soit de M. Rigaud, syndic et député du canton de Genève, et de M. le professeur Monnard, député du canton de Vaud, étaient accueillies au sein de la population suisse par une vive sympathie et avec un véritable enthousiasme.

Vaud et Genève s'empressèrent de mettre sur pied non seulement les contingents que leur imposait l'organisation militaire de cette époque, mais en grande partie aussi leurs troupes de réserve.

Le prince voyant la tournure que prenaient les affaires et ne voulant à aucun prix être la cause de malheurs pour sa patrie adoptive, prit la résolution de quitter Arenenberg. A cet effet, il adressa au grand conseil thurgovien la lettre que je reproduis ici in extenso:

Monsieur le landammann,

„Lorsque la note du duc de Montebello fut adressée à la „diète, je ne voulus point me soumettre aux exigences du „gouvernement français; car il m'importait de prouver, par ,mon refus de m'éloigner, que j'étais revenu en Suisse sans

"

,manquer à aucun engagement, que j'avais le droit d'y rester ,et que j'y trouverais aide et protection.

„La Suisse a montré depuis un mois, par ses protestations ,énergiques et maintenant par la décision des grands conseils ,qui se sont assemblés jusqu'ici, qu'elle était prête à faire les ,plus grands sacrifices pour maintenir sa dignité et son droit.

Elle a su faire son devoir comme nation indépendante; „je saurai faire le mien et rester fidèle à l'honneur. On „peut me persécuter, mais on ne pourra jamais m'avilir.

„Le gouvernement français ayant déclaré que le refus de ,la diète d'obtempérer à sa demande serait le signal d'une ,conflagration dont la Suisse pourrait être victime, il ne me „reste plus qu'à m'éloigner d'un pays où ma présence est le „sujet d'aussi injustes préventions, où elle serait le prétexte ,d'aussi grands malheurs.

„Je vous prie donc, monsieur le landammann, d'annoncer „au directoire fédéral que je partirai dès qu'il aura obtenu „des ambassadeurs des diverses puissances les passeports qui „me sont nécessaires pour me rendre dans un lieu où je trouverai un asile assuré.

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„En quittant aujourd'hui volontairement le seul pays où „j'avais trouvé en Europe appui et protection, en m'éloignant ,des lieux qui m'étaient devenus chers à tant de titres, j'espère prouver au peuple suisse que j'étais digne des marques ,d'estime et d'affection qu'il m'a prodiguées.

„Je n'oublierai jamais la noble conduite des cantons qui „se sont prononcés si courageusement en ma faveur ; et sur„tout le souvenir de la généreuse protection que m'a accordée „le canton de Thurgovie restera profondément gravé dans

„mon cœur.

„J'espère que cette séparation ne sera pas éternelle, et „qu'un jour viendra où je pourrai, sans compromettre les in„térêts de deux nations qui doivent rester unies, retrouver

„l'asile où vingt ans de séjour et des droits acquis m'avaient „créé une seconde patrie.

„Soyez, monsieur le landammann, l'interprète de mes „sentiments de reconnaissance envers les conseils, et croyez „que la pensée d'éviter des troubles à la Suisse peut seule „adoucir les regrets que j'éprouve à la quitter.

Recevez l'expression de ma haute estime et de mes sentiments distingués.

„Arenenberg, le 20 septembre 1838.

„LOUIS-NAPOLÉON.“

Le 1er octobre, la diète, étant de nouveau réunie pour entendre la lecture d'un rapport ayant trait au conflit, chargea le directoire de communiquer d'office la lettre du prince à la population et de faire les démarches nécessaires en vue d'obtenir le passeport qui permît à Louis-Napoléon de quitter la Suisse.

Quelques jours après, le 6, la diète adopta le texte de la note à adresser au duc de Montebello, et, le même jour, le prince obtint un passeport signé par deux diplomates accrédités en Suisse, les ministres du grand-duché de Bade et de Prusse, de même que par le consul général de Hollande.

La réponse de la diète à la note française était conçue en ces termes:

LES AVOYERS ET CONSEIL D'ÉTAT DU CANTON DE LUCERNE, DIRECTOIRE FÉDÉRAL, A S. E. M. LE DUC DE MONTEBEllo.

„S. E. M. le duc de Montebello, ambassadeur de S. M. le roi des Français, ayant, par son office du 1er août, demandé

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