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Suisse par la France, sur cette somme de passé 12,000,000 de francs, y compris l'intérêt, était rem boursé à la caisse fédérale.

L'assemblée nationale française exprima, par mon entremise, ses remerciements à la Suisse, et le gouvernement de la République le fit, de son côté, dans diverses circonstances, pour les soins dévoués donnés aux malheureux soldats de l'armée de Bourbaki, pendant son séjour dans notre patrie.

Avant de clôre ce chapitre, qu'il me soit permis une courte réflexion sur la position qu'a su garder la Suisse pendant cette époque mémorable.

La neutralité de la Suisse fera toujours honneur à notre pays, car la position des neutres a toujours été difficile. Le neutre doit défendre son droit et tenir la balance égale entre deux adversaires irrités l'un contre l'autre jusqu'à vouloir s'entretuer. Cette tâche excède presque les forces humaines. Depuis les anciens temps jusqu'à l'époque actuelle les combattants ont cherché à entraîner dans la lutte même les dieux immortels et à les attirer de leur côté. Il n'est pas surprenant dès lors qu'ils s'efforcent de mettre dans leurs intérêts les états neutres, spectateurs de la lutte, et de s'assurer de ce qu'on appelle leur neutralité « bienveillante » qui, de l'autre coté, est taxée de neutralité « malveillante ». La guerre franco-allemande de 1870/71 a montré, une fois de

plus, que les neutres, sans exception, s'attirent peu de reconnaissance.

La neutralité de la Suisse, dans cette guerre, était encore entourée de difficultés toutes particulières. Nos plus proches voisins se trouvaient en guerre l'un contre l'autre; après avoir perdu son caractère dynastique, cette lutte prit le caractère d'une guerre de races, entre deux peuples représentant justement les deux principales races dont la Suisse est composée; en outre, elle parut revêtir l'apparence d'une guerre de la république contre la monarchie, et elle prit même çà et là un caractère confessionnel. Il n'est pas surprenant que, dans de telles circonstances, bien des gens en Suisse aient trouvé que leur propre cause était en jeu, que les sympathies se soient prononcées avec beaucoup de vivacité suivant le point de vue auquel on se plaçait, et que, chez nous, les cris de joie du vainqueur n'aient trouvé parfois que de très faibles échos. La Suisse a été souvent exposée, à ce propos, à d'amers reproches, d'un côté comme de l'autre. L'Allemagne du Sud ne pouvait comprendre pourquoi les Suisses allemands n'accueillaient pas avec une joie égale à la sienne la défaite de la France, et Garibaldi s'exprimait assez durement sur le fait que la Suisse ne portait pas secours à la nation française. Nous savons respecter ces sentiments, mais on doit aussi être juste vis-à-vis de la Suisse. La Suisse a fait de cruelles expériences

jusqu'à ce qu'elle se soit familiarisée avec l'idée de ne plus se mêler des querelles du dehors; elle a choisi elle-même la politique de la neutralité longtemps avant que l'Europe eût jugé à propos de sanctionner cette politique. Justement parce qu'elle est partagée quant aux races, aux religions et aux intérêts, elle ne peut intervenir activement dans les guerres entre les autres états sans provoquer de profondes déchirures dans son propre sein et sans paralyser ses forces, tandis qu'elle est forte dans la guerre défensive, parce que tous les éléments qui la composent se réunissent contre l'ennemi du dehors. La politique de la neutralité n'est donc point une loi imposée à la Suisse par l'étranger: elle est bien plutôt la conséquence de sa constitution et son organisation intérieure.

C'est pourquoi la Suisse a, dans cette guerre, manifesté le caractère particulier de sa nationalité en restant neutre. Mais elle n'a pas été un simple spectateur oisif et curieux de cette grande lutte; par son intervention diplomatique pour l'adoption des articles additionnels à la convention de Genève, par l'envoi d'un grand nombre de ses médecins sur les champs de bataille, par le soin qu'elle a pris des blessés des deux nations belligérantes, et par les secours qu'elle a donnés simultanément aux Allemands expulsés et aux Strasbourgeois, elle a montré qu'elle prenait une part active aux souffrances de

ses voisins et elle a prouvé qu'elle savait remplir ses devoirs d'état neutre non seulement avec loyauté, mais encore avec humanité.

La Suisse neutre a eu, elle aussi, sa mission dans cette guerre. Il serait absurde de vouloir contester, au point de vue de la formation des états, l'importance du principe de la nationalité, basé sur la différence des races. Ce principe se fonde sur la nature même et se trouve par conséquent justifié. Mais il est certain, d'autre part, que les diverses races ne doivent pas nécessairement vivre ensemble dans un état d'antagonisme, mais qu'au contraire en se réunissant dans la liberté elles se complètent les unes par les autres, et qu'en définitive au dessus de la différence des races il y a la communauté de la nature humaine. Ces dernières vérités seront de plus en plus généralement reconnues à mesure que la civilisation fera des pas en avant. En attendant, la Suisse, dont cette union des races est le caractère essentiel, a le devoir de veiller au maintien de son principe et de le faire prévaloir d'une manière digne au milieu des guerres de races; partout où elle le peut, elle doit s'efforcer de frayer la route à des appréciations plus humaines sur le terrain du droit des gens. C'est dans ce sens que le conseil fédéral a compris la mission que la Suisse avait à remplir, et c'est à ce point de vue que le pays doit juger ses actes.

CHAPITRE XIV

LES RESSORTISSANTS DU ROYAUME DE BAVIÈRE ET DU GRAND-DUCHÉ DE BADE, RÉSIDANT EN FRANCE, SE METTENT SOUS LE PROTECTORAT DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE PENDANT LA GUERRE FRANCOALLEMANDE

Les sujets bavarois et badois habitant la France demandèrent, avec le consentement des gouvernements de ces pays, que la légation suisse se chargeât de les protéger pendant le temps que durerait la guerre franco-allemande. Le conseil fédéral m'ayant déclaré que les rapports de bon voisinage soutenus avec ces deux pays, étaient de nature à l'engager à adhérer à ce vou, je me rendis, le 21 juillet 1870, auprès de M. de Ring, sous-chef du cabinet du ministre des affaires étrangères, pour lui annoncer que mon intention était de soumettre, à M. de Gramont, cette question de protectorat.

M. de Ring me déclara immédiatement savoir que le ministre ne soulèverait, sous ce rapport, pas la

Kern, Souvenirs politiques.

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