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CHAPITRE XVIII

NÉGOCIATIONS RELATIVES AU TRAITÉ DE COMMERCE FRANCO-SUISSE DE 1882 ET DE SES ANNEXES

Les fonctions les plus importantes qui incombèrent à la légation pendant les deux dernières années de mon ministère, furent les négociations, commencées en 1880 entre la Suisse et la France, pour la revision du traité de commerce de 1864.

L'existence de stipulations commerciales constitue, entre les deux pays, une tradition dont l'origine remonte au XVe siècle.

N'ayant pas la prétention de faire l'historique des traités et des rapports commerciaux existant entre la Suisse et la France depuis cette époque reculée, je me bornerai à citer le fait que, lorsque la France, après la chute du premier empire, sortit du régime du blocus continental, la restauration, et plus tard le gouvernement de Louis-Philippe, n'adoptèrent pas un régime douanier libéral; le pouvoir parlementaire

était soumis à l'influence d'un certain nombre de grands industriels, auxquels il semblait tout naturel d'obtenir de l'état le prélèvement de véritables impôts perçus à leur profit sous le prétexte de protéger le travail national.

C'est seulement sous le second empire, alors que le chef de l'état s'était réservé pour lui seul le droit de conclure des traités, que la France est entrée dans ce qu'on a appelé la voie du libre échange relatif“. Le traité anglo-français de 1860 a fait naître le traité franco-suisse de 1864, qui a étendu à notre pays les avantages obtenus par l'Angleterre, assuré à nos industries d'exportation d'importants débouchés et rendu de grands services aux deux parties contractantes, puisqu'il a parfois doublé ou à peu près le chiffre des échanges entre les deux pays.

Cependant, le traité du 30 juin 1864 n'était pas sans imperfections; le tarif à l'entrée en France était resté un des plus élevés de l'Europe, et celui à l'entrée en Suisse avait le très-grave inconvénient de nous lier pour toutes les marchandises sans aucune exception, ce qui empêchait la Confédération de se procurer des recettes même sur les articles n'intéressant en aucune façon la France, et ce qui nous privait de toute liberté d'action pour négocier avec d'autres gouvernements.

Si donc je me plais à rendre justice aux progrès réalisés en 1864, vis-à-vis de l'état de choses anté

rieur, je dois constater qu'une revision de ce traité était indispensable, aussi bien dans l'intérêt de nos finances que dans celui de nos exportations.

La nécessité de reviser ce traité s'était généralement fait sentir, tant en Suisse qu'en France, déjà à l'occasion de la première prolongation de cet acte international.

En Suisse, le tarif douanier voté par l'assemblée fédérale en première lecture, le 28 juin 1878, en fait foi.

Afin de permettre au conseil fédéral de faire usage de ce nouveau tarif dans les négociations futures, l'assemblée fédérale prit, le même jour, un arrêté déclaré d'urgence, par lequel le conseil fédéral était autorisé, sous réserve de l'approbation des chambres, << à frapper d'une taxe additionnelle correspondante, « les produits provenant d'états qui ne traitent pas << la Suisse sur le pied de la nation la plus favorisée, «ou dont le tarif général impose des droits parti<«< culièrement élevés sur les produits suisses ».

Du côté de la France, en 1876, le conseil supérieur du commerce fut convoqué pour préparer un tarif général sur la base du tarif conventionnel.

Le 9 février 1877, le ministère Jules Simon déposa à la chambre des députés un premier projet de tarif général des douanes; la dissolution de la chambre après le 16 mai empêcha de l'examiner.

Le 21 janvier 1878, le ministère Waddington

présenta un nouveau projet qui majorait de 24 pour 100 la plupart des produits fabriqués.

En mars de la même année, la commission de la chambre chargée de l'examen de ce projet, et qui eut pour présidents successifs MM. Jules Ferry, Tirard et Malézieux, décida une enquête dont les résultats furent publiés, au moins en partie. Au cours de la discussion à la chambre des députés, M. Tirard, devenu ministre du commerce, déposa, le 12 février 1880, un troisième projet de tarif général qui est devenu la dernière base officielle des délibérations parlementaires en France. La chambre des députés termina l'examen du tarif en juin 1880, le sénat en février 1881, et, après le règlement de quelques divergences entre les deux chambres, le nouveau tarif général français fut promulgué le 7 mai suivant.

Tel est, d'une manière succinte, l'ensemble des mesures préliminaires prises, tant en Suisse qu'en France, pendant le temps qui précéda l'ouverture des négociations.

Avant de m'étendre sur les travaux qui eurent lieu à l'occasion du traité de commerce franco-suisse de 1882, il me sera certainement permis de rappeler ici le fait que j'avais déjà eu l'honneur de négocier celui de 1864, dont la durée fut fixée à douze ans, et qui fut prolongé, d'année en année, jusqu'en 1880.

A cette époque, il se produisit dans la plupart des pays avec lesquels la Suisse entretient des rap

ports douaniers, un mouvement plus ou moins marqué dans le sens du protectionnisme. Cette circonstance rendit très-difficile la situation de notre pays, et l'on comprend que beaucoup de personnes, même parmi celles qui avaient été jusqu'alors les plus attachées au principe du libre échange, se demandaient, avec une certaine inquiétude, si la Suisse pouvait, sans s'exposer à compromettre gravement l'avenir de son industrie, demeurer seule fidèle à ce principe et continuer à l'appliquer dans la même mesure que précédemment, alors qu'elle ne serait plus au bénéfice de la réciprocité.

Ce fut là une question des plus délicates et qui ne manqua pas d'être traitée par M. le conseiller fédéral N. Droz dans le discours qu'il prononça au sein du conseil national, le 22 avril 1882, discours sur lequel je me permettrai de revenir.

Dans le courant du mois de mai 1881, le gouvernement de la République française fit savoir au conseil fédéral qu'il était prêt à entrer en négociations avec lui pour la conclusion d'un nouveau traité de commerce et que son intention était de le mettre en vigueur dans un délai de six mois. A la fin de mai, le ministère français des affaires étrangères me fit savoir qu'il désirait entamer en première ligne des pourparlers avec le gouvernement britannique, et proposa la date du 1er septembre 1881 pour ouvrir les conférences franco-suisses.

Kern, Souvenirs politiques.

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