Page images
PDF
EPUB

de la colonne de faire diligence 1; je pris l'avance pour voir ce qui se passait aux Quatre-Bras, où le corps du général Reille me paraissait engagé. Au delà de Frasne, je m'arrêtai avec les généraux de la garde, où je fus rejoint par le général Labédoyère, qui me fit voir une note au crayon qu'il portait au maréchal Ney et qui enjoignait à ce maréchal de diriger mon corps d'armée sur Ligny 2. Le général Labédoyère me prévint qu'il avait déjà donné l'ordre pour ce mouvement, en faisant changer de direction à ma colonne, et m'indiqua où je pourrais la rejoindre. Je pris aussitôt cette route et envoyai au maréchai mon chef d'état-major, le général Delcambre, pour le prévenir de ma nouvelle destination. M. le maréchal Ney me le renvoya en me prescrivant impérativement de revenir sur les QuatreBras, où il était, fortement engagé, comptant sur la coopération de mon corps d'armée. Je devais donc supposer qu'il y avait urgence, puisque le maréchal prenait sur lui de me rappeler, quoiqu'il eût reçu la note dont j'ai parlé plus haut.

« J'ordonnai, en conséquence, à la colonne de faire contremarche; mais malgré toute la diligence qu'on a pu mettre dans ce mouvement, ma colonne n'a pu paraître en arrière des Quatre-Bras qu'à l'approche de la nuit.

1. Est-il besoin de rappeler que cette colonne n'apparut un instant qu'à six heures du soir sur le champ de bataille de Ligny, et n'arriva qu'à huit heures et demie en vue des Quatre-Bras. Si elle était partie de Gosselies entre onze heures et midi, elle aurait mis huit heures à faire trois lieues; les assertions du général sont donc évidemment inexactes.

2. Il est probable que le nom du général Labédoyère a été substitué ici à dessein à celui du colonel Forbin-Janson, porteur de la lettre dictée par l'Empereur sur le champ de bataille de Ligny et qui contenait ces mots significatifs : « Dites-lui bien que le sort de la France est entre ses mains. » C'est sans doute de cette lettre que le général d'Erlon avait pris communication. Ce qui rend cette supposition encore plus vraisemblable, comme je l'ai dit dans le texte, page 136, c'est que dans cette lettre le major général invite le maréchal Ney à diriger son détachement sur les hauteurs de Bry et de Saint-Amand, et que ce sont là précisément les points de direction donnés par le comte d'Erlon au général Durutte, qui marchait en tête de sa colonne. Le reste est de pure invention, imaginé par le chef du 1er corps, pour rejeter sur le général Labédoyère, qui n'était plus là pour lui répondre, la responsabilité de ses faux mouvements. (Voir la Notice du général Durutte sur le mouvement de la 4 division du 1er corps. Documents du duc d'Elchingen).

[ocr errors]

« Le général Labédoyère avait-il mission pour faire changer la direction de ma colonne avant que d'avoir vu M. le maréchal? Je ne le pense pas; mais, dans tous les cas, cette seule circonstance a été cause de toutes les marches et contre-marches qui ont paralysé mon corps d'armée pendant la journée du 16. « D. COMTE D'ERLON. »

Nous renvoyons à ce qui a été dit dans le texte relativement à toutes les assertions hasardées contenues dans cette lettre; nous dirons seulement encore une fois qu'en voulant justifier le maréchal Ney, elle offre de toute sa conduite la critique la plus péremptoire. Ce n'est ni à onze heures ni à midi, c'était à six heures du matin qu'il devait faire prendre les armes à ses deux corps d'armée et les tenir réunis dans les environs de Frasne, où était son quartier général, pour être prêts à agir simultanément au premier signal de Napoléon, s'il ne se croyait pas en mesure de rien entreprendre auparavant. Après avoir donné l'ordre au comte d'Erlon de se porter à Frasne et aux Quatre-Bras à onze heures du matin, il devait surveiller ses mouvements de manière à empêcher qu'il ne s'égarât, en marches et contre-marches, jusqu'à huit heures et demie du soir. Voilà les véritables fautes du maréchal Ney, et dont rien ne peut le disculper; elles furent les premières causes des désastres du reste de la campagne.

CHAPITRE

III

JOURNÉE DU 17 JUIN 1815

Nuit du 16 au 17 juin. Ordres envoyés au maréchal Ney. - Napoléon visite le champ de bataille de Ligny. Rentrée d'une reconnaissance envoyée aux Quatre-Bras. Napoléon prend la résolution de marcher contre l'armée anglaise. Le maréchal Grouchy, à la tête d'une colonne de 36 à 40,000 hommes, est détaché à la poursuite de l'armée prussienne. - Instructions verbales que Napoléon donne à ce maréchal. - Le 6 corps, commandé par le comte de Lobau, la garde, les cuirassiers Milhaud, et toutes les réserves de l'armée, sont dirigés sur Marbais. - Napoléon apprend en y arrivant que Wellington a évacué les Quatre-Bras et se retire sur Bruxelles. - L'armée poursuit son mouvement. Entrevue de Napoléon et du maréchal Ney sur le champ de bataille des Quatre-Bras. L'Empereur ordonne de poursuivre, l'épée dans les reins, l'arrière-garde de l'armée anglaise. - Il se porte lui-même à la tête de la colonne. - Paroles remarquables qu'il adresse aux canonniers de sa garde. · Arrivé à la hauteur de Planchenoit, il trouve l'armée anglo-hollandaise rangée en bataille sur la lisière de la forêt de Soigne. La nuit qui approche le force à remettre l'attaque au lendemain. Regrets énergiques qu'il exprime

[ocr errors]
[ocr errors]

[ocr errors]

à cette occasion. Opérations de l'aile droite pendant la journée du 17. Fausses dispositions prises par le maréchal Grouchy. — Lettre remarquable que lui adresse Napoléon avant de quitter le champ de bataille de Ligny. Désobéissance flagrante, lenteur et mauvais vouloir du général Vandamme. Après de continuels retards, la colonne de Grouchy arrive à Gembloux à neuf heures du soir. - Elle n'a fait que deux lieues dans cette première journée. — La nuit oblige le maréchal à s'y arrêter. - Conséquences funestes de cette résolution.

Il était nuit close quand le canon avait cessé de se

faire entendre à Ligny, à la fin de la journée du 16. Napoléon, après la bataille, était rentré à Fleurus, où il avait établi son quartier général. Toujours actif et infatigable, il s'était occupé sur-le-champ des moyens de tirer le parti le plus avantageux du succès que la fortune venait d'accorder à ses armes. Si les résultats de la victoire de Ligny n'avaient qu'imparfaitement rempli son attente, cette journée avait du moins réalisé la partie la plus importante de son plan de campagne, si habilement conçu. Elle avait empêché la réunion des deux armées coalisées; le mouvement de notre aile gauche sur les Quatre-Bras avait obligé les généraux alliés à diviser leurs forces et à accepter le combat séparément, seul moyen qu'eût Napoléon pour triompher de leur supériorité numérique ; ils allaient désormais se trouver séparés par la Dyle et par les obstacles de toute nature qui défendent ses approches, et il ne s'agissait plus que d'opérer avec assez de promptitude pour les empêcher de se rejoindre. C'était sur l'armée anglaise qu'il était résolu maintenant de faire peser tout son effort; mais avant d'arrêter ses dernières résolutions, il avait besoin d'être instruit d'une manière exacte de la position, des mouvements et des projets de ses adversaires. Il n'avait point encore reçu de nouvelles de ce qui s'était passé à son aile gauche, et il attendait avec impatience le rapport du maréchal Ney. Enfin, vers le milieu de la nuit, le général Flahaut, qui n'avait quitté les Quatre-Bras qu'après le dernier coup de canon tiré sur ce point, rentra au quartier général, et lui raconta tous les détails de ce combat glorieux pour nos armes, mais dont les résultats, comme ceux de la

bataille de Ligny, étaient restés si loin de ses espérances. Il apprit enfin que cette importante position, qni n'avait point été occupée par le maréchal Ney dans la soirée du 15 quand cette occupation aurait été si facile, ne l'avait pas été davantage dans la matinée du 16, et que malgré un combat acharné où Ney avait déployé toute sa valeur accoutumée, elle était encore au pouvoir de l'ennemi. Toujours prompt à prendre son parti, il avait fait aussitôt écrire au chef de son aile gauche pour lui prescrire ce qu'il aurait à faire dans l'une ou l'autre des deux circonstances qui pouvaient se présenter, c'est-à-dire soit que Wellington, instruit de la défaite de Blücher, s'empressât d'évacuer la position des Quatre-Bras, pour se remettre en ligne avec lui, soit qu'il se décidât, et c'est ce qui pouvait arriver de plus favorable aux desseins de Napoléon, à se maintenir opiniâtrement dans cette position pour conserver l'important débouché qui fermait à la fois les routes de Bruxelles et de Nivelles.

Il est nécessaire de reproduire ici ce document parce qu'il fait connaître quels étaient, au commencement de la journée du 17, les projets de l'Empereur, projets qui furent ensuite complétement changés par les circonstances imprévues qui se présentèrent; il contient d'ailleurs l'expression spontanée du jugement qu'il portait sur la conduite du maréchal Ney, jugement qu'on pourrait croire avoir été influencé dans les écrits postérieurs par les événements qui suivirent ou par les ressentiments du malheur 1.

1. C'est ici le lieu d'observer que Napoléon a toujours été plutôt in

« PreviousContinue »