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marchait directement sur Charleroi pour y franchir la Sambre.

Un chemin de traverse, coupé de bois, de ravins, et en assez mauvais état d'entretien, conduit de Beaumont à cette ville; la distance entre ces deux points est de sept lieues à peu près, c'est ce chemin que suivait Napoléon à la tête de sa garde et de ses réserves. Il hâtait, avec son activité ordinaire, la marche de l'armée; après avoir parcouru rapidement plusieurs lieues sans rencontrer d'obstacle, il s'arrêta quelques instants au hameau de Jamignon, situé aux trois quarts de la route, pour laisser respirer ses troupes, et adressa de là quelques nouvelles instructions aux deux généraux de son aile gauche pour les informer de sa marche et stimuler leur zèle 1. Il reprit ensuite sa course rapide, pour prévenir l'ennemi et ne pas lui laisser le temps de se reconnaître et de se mettre en défense.

Le général Pajol, avec deux divisions de cavalerie légère, marchait en tête de la colonne et éclairait la route; il arriva de bonne heure devant Charleroi et s'en rendit maître après avoir culbuté par une charge brillante deux régiments prussiens qui avaient tenté de lui en disputer l'entrée. Ces troupes appartenaient au premier corps prussien, commandé par le général Ziethen, qui avait son quartier général à Charleroi. Surpris par la brusque irruption de l'armée française, il s'était hâté d'évacuer la ville, et, conformément aux instructions qu'avaient reçues tous les chefs de corps

1. Voir aux pièces justificatives les ordres adressés aux généraux Reille et d'Erlon du bivouac de Jamignon.

de l'armée prussienne, de prendre pour point de concentration en cas d'attaque le village de Fleurus, il s'était retiré vers ce point sur deux colonnes suivant chacune une direction différente. En effet, on trouve en sortant de Charleroi deux grandes chaussées, l'une à gauche se dirige sur Bruxelles en passant par Gosselies, Frasne, Genappe et la forêt de Soigne; l'autre à droite se dirige sur Namur, en passant par Gilly, où la route se bifurque en deux branches: celle de droite conduit à Namur en longeant les bords de la Sambre, celle de gauche à Fleurus en traversant les bois de Frichenaye et de Lambusart. C'est cette dernière voie que suivait le général Ziethen avec la principale partie de son corps, le reste de ses troupes chassées de Charleroi s'était porté sur Gosselies, en suivant la chaussée de Bruxelles, pour recueillir les détachements qu'il avait dans cette direction. Le général Pajol, maître des ponts de la Sambre, se mit aussitôt à la poursuite du corps principal qui avait pris la route de Fleurus, et détacha le 1er hussards, commandé par le général de brigade Clary, pour presser l'arrière-garde de la colonne qui avait pris la route de Gosselies et ramasser les traînards.

L'Empereur arriva sur ses entrefaites avec une partie de sa garde; il était onze heures et demie environ, le général Pajol l'avait précédé d'une demiheure. Il approuva les dispositions prises par ce général, mais il trouva que le régiment des hussards Clary ne suffisait pas pour la poursuite du corps prussien qui avait pris la direction de Bruxelles; il détacha pour l'appuyer la division de cavalerie légère de la garde,

commandée par le général Lefebvre-Desnouettes, avec deux batteries d'artillerie légère, et il envoya derrière elle un régiment d'infanterie avec deux pièces de canon prendre position à moitié distance à peu près entre Charleroi et Gosselies. Rassuré de ce côté contre tout retour offensif de l'ennemi, l'Empereur se porta de sa personne, avec toutes les troupes qu'il avait sous la main, sur la route de Namur pour suivre la colonne prussienne qui se retirait de ce côté. Il plaça la division de la jeune garde, commandée par le général Duhesme, derrière la cavalerie de Pajol pour la soutenir; mais avant d'entreprendre rien de sérieux, ne voulant pas engager dans ces premiers combats les troupes de la garde, il fallait attendre l'arrivée du 3° corps commandé par le général Vandamme, qui aurait dû être rendu à Charleroi depuis plusieurs heures et qui était encore en arrière.

Napoléon profita de ce repos forcé pour envoyer de nouvelles instructions aux deux généraux de son aile gauche, dont tous les mouvements devaient se lier avec les siens, pour les informer de l'occupation de Charleroi, de la retraite du corps de Ziethen, et de ce qu'ils auraient à faire en conséquence de ce premier succès. Il avait d'abord eu l'intention de porter ses trois colonnes sur Charleroi pour y franchir la Sambre avec toute son armée; mais dès qu'il s'était vu maître, presque sans coup férir, de cet important débouché, il avait changé ses premières dispositions, pour éviter à ses deux ailes un détour inutile et la perte d'un temps précieux. Le général Gérard à la droite avait reçu l'ordre de se diriger sur le pont du Châtelet, et il avait

ordonné au général Reille, qui marchait en tête de la colonne de gauche, de passer la Sambre à Marchienne, de se porter ensuite rapidement sur Gosselies, par la traverse et sans passer par Charleroi, et d'en déloger la colonne de Ziethen qui avait pris cette direction et qui paraissait vouloir s'y arrêter. Il devait ensuite continuer sa route en suivant la chaussée de Bruxelles, en poussant vigoureusement tout ce qui se trouverait devant lui, sans s'occuper de ce qui se passerait sur la droite et en se contentant de faire suivre par des détachements les corps prussiens qui quitteraient la chaussée de Bruxelles pour prendre cette direction. Le comte d'Erlon, qui commandait le 1er corps, recevait en même temps l'ordre de presser sa marche, de franchir la Sambre à Marchienne et de se diriger ensuite sur Gosselies, pour appuyer le comte Reille et être toujours à portée de le seconder dans toutes ses opérations'.

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Cette marche de l'aile gauche de l'armée française, dirigée en droite ligne de Marchienne-au-Pont sur Gosselies, dévoilait déjà à des yeux exercés une partie du plan de campagne de Napoléon; en effet, en jetant rapidement sur la chaussée de Bruxelles et avant que le

1. Voir à l'Appendice les pièces justificatives.

2. Forces des corps composant l'aile gauche dans la journée du 15 juin :

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bruit de son invasion fût parvenu jusqu'à Wellington, cette colonne forte de quarante à quarante-cinq mille hommes, il avait évidemment pour objet de devancer l'armée anglaise sur la route de Namur et de lui fermer toute communication avec l'armée prussienne, tandis qu'avec le reste de ses forces il allait se porter au milieu de ses cantonnements. Napoléon savait d'ailleurs par les renseignements particuliers qu'il avait recueillis, que d'après les distances qu'auraient à franchir les troupes de différentes armes de l'armée anglaise pour se réunir, par suite de la faute que Wellington avait commise de les établir dans des cantonnements séparés par de trop grands intervalles, il faudrait au moins deux jours, comme nous l'avons dit précédemment, pour que cette armée fût rassemblée et prête à entrer en ligne; il comptait donc avoir les journées entières du 16 et du 17 à sa disposition pour agir en toute liberté contre Blücher, et il ne s'agissait que de savoir en profiter pour se débarrasser d'abord de ce rude

adversaire.

Cependant le maréchal Grouchy, qui avait, dans cette première organisation de l'armée à son entrée en campagne, le commandement en chef de toute la cavalerie, et qui avait campé dans les environs de Beaumont, n'avait point tardé à arriver avec toutes les réserves de cette arme ; c'est lui que Napoléon voulait charger de la poursuite des colonnes prussiennes qu'il avait devant lui; mais pour attaquer le village de Gilly, où l'ennemi en retraite s'était arrêté et où il s'était fortement retranché, il fallait de l'infanterie, et le général Vandamme, auquel cette attaque était réservée, ne paraissait pas.

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