Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

au ministère de la guerre. On savait que le manque de crédits budgétaires n'arrêterait pas les initiatives de ce général. Son programme réformiste devait être en partie exécuté, grâce à l'autorisation qu'il se proposait de demander aux Chambres de le poursuivre sans modifier le total des crédits votés. Tout était dans la joie; mais... mais, il se passe ceci : après quelques semaines d'existence à peine, le cabinet ultraconservateur de M. Maura, dont fait partie le général Linarès, est - croit-on- à la veille de se rompre le cou. Une nomination archimaladroite en est cause. M. Maura et ses collègues se sont avisés de choisir, pour le poste d'archevêque de Valence, un moine dominicain dont le nom est Nozaleda et qui est tristement connu en Espagne. Si l'on en croit des hommes dont le témoignage ne saurait être suspecté et qui ont eu l'occasion de constater les faits de leurs propres yeux, ce Nozaleda a été l'un des mauvais génies de notre malheureuse domination aux Philippines, surtout durant la cruelle période du dénouement. Le pire est qu'il est un mauvais patriote.

Ce moine était, en 1898, archevêque de Manille. Je ne vous dirai rien de sa conduite avant cette année terrible; elle fut celle de ses prédécesseurs et de tous les hommes à robe dans ces pays, lesquels, à force de tyranniser et de maltraiter les indigènes, finissaient par les rendre les ennemis les plus acharnés de la mère patrie. Mais, dès que Nozaleda vit ses compatriotes terrassés par une force supérieure, il leur tourna littéralement le dos et, sans se soucier des malheureux soldats, qui payaient de leur vie les dettes des autres, il s'en fut, d'un cœur léger, frayer avec les autorités américaines. Au bout de deux ans de ce commerce, il rentra en Espagne, probablement parce qu'il n'était plus utile à personne là-bas. Le gouvernement actuel est allé le chercher dans son obscure retraite pour le placer à la tête du diocèse de Valence.

D'un bout à l'autre de la péninsule, cette nomination fut accueillie par les plus véhémentes protestations, bientôt appuyées par la presse tout entière et, dès l'ouverture de la Chambre, après les vacances de fin d'année, un débat des plus intéressant fut soulevé, débat qui n'est pas encore près de se terminer au moment où je vous adresse cette correspondance. Il a servi à remettre sur le tapis des faits qui, il n'y a pas à en douter, n`appartiendront définitivement à l'histoire que lorsqu'une sanction aura été appliquée aux hommes qui faillirent à leur devoir pendant les jours néfastes où se perdirent les derniers restes de notre empire colonial. Ce débat nous a révélé des choses inconcevables, telles l'abdication, par les autorités militaires supérieures, aux Philippines, en les mains du moine Nozaleda, d'une grande partie de leurs attributions, le rôle louche joué par lui lors de la reddition de Manille et d'autres énormités qu'il est préférable de taire.

Voilà la situation actuelle et voilà pourquoi je me demande si le gé néral Linarès ne jouera pas de nouveau de malheur avec ses réformes si longtemps attendues.

En tous cas, puisse-t-il s'opposer à l'intention exprimée par M. Maura de faire entrer à Valence le trop fameux archevêque sous la protection de l'armée, pour peu que l'opinion continue à lui être hostile. Car vraiment il ne manquerait plus à nos soldats que de se voir convertis en gardes du corps de celui qui, au moment tragique et sinistre où la gloire de l'Espagne sombrait, n'a pensé qu'à lever la dextre pour bénir le drapeau étoilé...

CHRONIQUE DES ÉTATS-UNIS

(De notre correspondant particulier.)

[ocr errors]

Tendances qui se manifestent dans les

Le réarmement de

Les grandes manoeuvres de 1903.
différents Etats. La garde nationale d'Alabama.
l'artillerie de la milice.

[ocr errors]

Les manœuvres d'automne, en 1903, se sont terminées trop tard pour qu'il me fût possible de vous en parler dans ma dernière chronique. En effet, les deux séries d'exercices combinés pour l'armée et la milice, à West Point (Kentucky) et à Fort Riley (Kansas) ont eu lieu successivement, la première du 28 septembre au 16 octobre et l'autre du 16 au 27 octobre : l'ensemble était sous la direction du major général Bates, commandant la division militaire des Lacs.

Il va sans dire que ce n'est pas au point de vue stratégique que ces manœuvres peuvent nous intéresser; les effectifs sont trop restreints et les opérations ne sont, en somme, que des applications de détails du service en campagne, ne dépassant pas, à leur apogée, le combat d'une division contre un ennemi figuré. Les Army and National Militia Maneuvers n'ont d'importance pour nous qu'en ce qui concerne les observations qu'elles nous permettent de faire sur l'instruction des milices.

Suivant la ligne de conduite qui lui a été tracée par la loi du 21 janvier dernier, l'administration militaire fédérale s'efforce de donner chaque année plus d'occasions à la garde nationale de participer à des manœuvres combinées avec les réguliers. Sous ce rapport, 1903 présente un progrès évident sur l'exercice antérieur, ainsi qu'on peut s'en rendre compte par les chiffres suivants :

MANŒUVRES DE WEST POINT (Septembre-Octobre 1903).

Troupes non embrigadées: Compagnie d'instruction (Hospital Corps), compagnie B. Signal Corps (réguliers), ambulance (Indiana)1.

I brigade (mixte): re, 3°, 20° Infanterie (rég.), 1er Reg. Wisconsin.

Il brigade (milice): 1, 2, 3o Indiana.

1 Les unités de milice sont indiquées en italique.

IIIe brigade (milice): 1er, 2o, 3o Michigan, 1o bataillon indépendant, id. IVe brigade (milice): 2o, 3o Kentucky, 1o bataillon d'artillerie de Kentucky (servant comme infanterie).

Brigade de cavalerie (réguliers): 2o, 4o, 7o, 8o de cavalerie (17 escadrons). Artillerie divisionnaire (mixte): 14o et 21o batteries (reg.), batterie d'In

diana.

MANOEUVRES DE FORT RILEY (octobre 1903).

Troupes non embrigadées : 1 bataillon du génie (reg.), compagnie d'instruction (Hospital Corps), compagnie B. Signal Corps (reg.), comp. Signal Corps (Nebraska).

Ire brigade (régulière): 2o, 12, 21° Infanterie (reg.).

IIe brigade (mixte): 6o, 25° d'Infanterie (reg.), 55 Jowa.

III brigade (milice): Régiment de marche Arkansas, régiment de marche Missouri, 2o Infanterie Nebraska.

IVe brigade (milice): 1er et 2e Kansas.

Brigade de cavalerie (réguliers): 4, 8, 10° de cavalerie (24 escadrons). Artillerie divisionnaire (mixte): 29, 6, 19, 20, 25e batteries, 7° batterieà cheval, 28 batterie de montagne (réguliers), batteries A et B Kansas.

En 1902, la garde nationale n'avait été représentée aux manœuvres d'automne que par deux régiments, deux bataillons indépendants et deux batteries de campagne.

Le principal obstacle au développement de ces exercices est la pénurie de terrains. Aux Etats-Unis, en effet, il ne saurait être question, au moins pour le moment, d'opérer comme en Europe, c'est-à-dire en utilisant purement et simplement une région donnée, quitte à verser aux propriétaires des indemnités dans le cas de dégradations commises par les troupes. Ici, il serait contraire aux institutions civiques et politiques de faire pénétrer des troupes dans les propriétés privées, et à plus forte raison de cantonner dans les fermes et villages. On est donc généralement obligé de faire camper les corps convoqués sur le territoire de quelque poste militaire, que l'on agrandit temporairement au moyen de conventions passées avec les riverains. Cette année, la Reservation de Fort Riley s'est trouvée ainsi augmentée de 70 milles carrés, en échange d'une redevance, très modeste, de quinze centimes par acre (40 ares).

D'autre part, les distances sont tellement grandes qu'il est extrêmement difficile et coûteux de réunir à la fois dans des camps d'instruction l'armée et la milice parce que les agglomérations de réguliers sont généralement dans l'Ouest, tandis que les gardes nationales les plus importantes sont celles de l'Est et du Nord-Est.

Ce n'est donc qu'avec le temps qu'il sera possible d'obtenir quelque uniformité dans l'instruction des milices; mais étant donné que la nouvelle loi

organique de ces troupes date d'un an à peine, les progrès réalisés depuis sa promulgation sont d'un bon augure pour l'avenir.

Au cours des manœuvres, on a pu relever un certain nombre de fautes sur lesquelles il nous faut nous arrêter quelques moments. L'infanterie de la garde nationale pèche principalement par son peu d'aptitude à profiter des couverts; elle est, à part cela, active, alerte et pleine d'entrain. Quant à l'artillerie, elle est sans contredit de qualité inférieure les batteries de Kansas, par exemple, mal attelées et pauvrement équipées, furent si audessous de leur tâche qu'on dut répartir leurs hommes parmi les batteries régulières.

La discipline, bonne sur le champ de manoeuvres, laissait quelque peu à désirer au camp; il faudra de longues années pour que les miliciens, comme la population du reste, se fassent à l'idée que les exercices d'automne, tels que les entend la nouvelle loi, diffèrent complètement de ces sortes de picnics militaires auxquels se réduisaient, dans beaucoup d'Etats, les encampments annuels.

Est-il besoin de dire qu'il y eut pendant les opérations des invraisemblances choquantes? Cela est de l'essence même des manœuvres d'automne. Le record, en la matière, appartient certainement à ces vingt-cinq cavaliers à pied qui, pour franchir les lignes ennemies, se dissimulèrent purement et simplement parmi les voyageurs civils d'un tramway électrique. L'autorité militaire en rit avec bonhomie: il semble qu'il eût été préférable de sévir contre les auteurs d'une farce d'un goût aussi douteux.

Remarquons que les réguliers, eux, n'ont pas chômé pendant ces longues semaines d'exercices. Les marches de concentration elles-mêmes ont dû être exécutées comme en pays ennemi, en prenant toutes les précautions de sûreté nécessaires et en se couvrant chaque nuit par des avant-postes et des grand'gardes.

Les rapports qui émanent des divers Etats montrent, il faut le constater, une tendance à entrer dans la voie des réformes militaires. Le Connecticut a supprimé un de ses quatre régiments d'infanterie et réparti les compagnies de ce dernier entre les régiments 1, 2 et 3, afin de les mettre sur le pied de trois bataillons et douze compagnies requis par la loi. L'Ohio et la Pensylvanie, républiques voisines, sont en pourparlers pour l'établissement d'un camp d'instruction commun pour la milice des deux Etats. En Massachusetts, les manœuvres, quoique locales, ont présenté un intéret inaccoutumé il y a été fait, entre autres innovations, des expériences de concentration au moyen des nombreuses lignes de trolleys qui sillonnent cette région, et qui seraient un important facteur au moment d'une mobilisation. Même dans le sud, si longtemps considéré comme fort arriéré en organisation militaire, on voit poindre des symptômes encourageants.

A propos du Sud, j'ai justement sous les yeux le dernier rapport d'ins

pection de la milice d'Alabama et ce document donne sur la garde nationale de cet Etat des aperçus qui méritent d'attirer l'attention. Contrairement à ce qui a malheureusement lieu dans certaines républiques de l'Union, il est bien vu, en Alabama, d'appartenir à la milice; on ne rencontre pas là cette sourde opposition de la part de patrons égoïstes et cupides, empêchant leurs employés de s'enrôler; les hommes sont non des déclassés ou des oisifs, mais des commis, des fermiers; nombre de sous-officiers sont des étudiants qui pendant l'été participent aux exercices de leur régiment. Quant aux officiers, ils appartiennent à l'élite de la société. Il est à noter que quoiqu'ils soient élus par la troupe et qu'on n'exige d'eux aucune preuve officielle de capacité, ils se trouvent tout à fait à la hauteur de leur tâche, ce qui montre qu'on les choisit avec intelligence et sans se laisser influencer par des considérations étrangères au bien du service — ainsi que cela se voit trop souvent dans le Nord.

Un fait également digne de remarque, c'est que parfois les coutumes régimentaires suppléent à l'insuffisance des règlements. Cela est principalement visible en matière de recrutement: le législateur n'a point prohibé, en Alabama, l'admission d'hommes mariés dans la milice; mais les miliciens eux-mêmes, avec beaucoup de bon sens, ont généralement comblé cette lacune s'ils ne peuvent refuser ouvertement d'accepter dans leur compagnie ou escadron un homme marié, ils s'abstiennent de l'élire membre de leurs sociétés régimentaires: or c'est une condition préalable à l'enrôlement d'appartenir à une de ces sociétés.

Evidemment il serait imprudent de juger des tendances de toute la garde nationale des Etats-Unis par ce qui se passe dans une région donnée; toutefois, notre impartialité nous oblige à reconnaître que ce qui précède jette un jour favorable sur les « possibilités » de l'institution!

Dans le courant de cette chronique, j'ai eu l'occasion de parler de la condition généralement précaire de l'artillerie de la milice. On vient de prélever sur les deux millions de dollars qui constituent le budget fédéral de ces troupes une somme de 700 000 dollars, soit environ trois millions de franes pour le réarmement des batteries de la garde nationale des divers Etats. Le projet du gouvernement parait être d'acheter ou de fabriquer un certain nombre de canons de trois pouces à tir rapide pour cette partie de l'artillerie américaine. Le crédit serait suffisant pour doter la National Guard de quinze batteries à quatre pièces du nouveau matériel. Toutefois les autorités militaires n'approuvent pas unanimement les intentions du gouvernement fédéral. On se demande s'il est bien pratique de donner à la milice des engins aussi coûteux et compliqués. Il ne faut pas perdre de vue que l'entretien de batteries de campagne est une des plus lourdes tâches de l'administration militaire des différentes républiques de l'Union. Le difficile n'est pas de recruter les batteries: la garde nationale a moins de

« PreviousContinue »