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XLIX Année

N° 3

Mars 1904

LA GUERRE RUSSO-JAPONAISE

Nous avons le plaisir d'annoncer à nos lecteurs que M. le colonel d'état-major R. WEBER, chef de l'arme du génie, a bien voulu assurer la Revue militaire suisse de sa collaboration, et qu'à partir de la livraison d'avril il traitera, mois après mois, les opérations de la campagne russo-japonaise.

Voilà longtemps que M. le colonel Weber a abordé l'étude des questions militaires connexes aux événements de Mandchourie. Il est particulièrement bien documenté et préparé pour retracer et commenter les opérations de guerre dont l'ExtrêmeOrient est actuellement le théâtre. Ce sera une bonne fortune pour la Revue militaire suisse et ses lecteurs que de profiter des travaux d'un aussi savant écrivain militaire et d'un officier aussi compétent.

RÉORGANISATION MILITAIRE

La revision de notre organisation militaire est à l'ordre du jour. Sous peu le Conseil fédéral présentera aux Chambres fédérales son projet de réorganisation.

Le but de cet article est de fournir aux lecteurs de la Revue militaire suisse une base pour l'appréciation de ce projet.

Nous vivons sous le régime de l'organisation militaire de 1874, mais celle-ci a subi, dans ces trente années, de si nombreuses modifications que ses auteurs auraient peine à la reconnaître. Il y a dans la loi quantité de choses que l'on ne fait pas et en dehors de la loi quantité de choses que l'on fait. A ce point de vue déjà, une refonte s'impose par simple mesure d'ordre.

1904

II

Comme le Vetterli, comme le canon de 8,4, l'organisation de 1874 a fait son temps; elle doit céder la place à du plus moderne.

Avant 1874, l'organisation, l'instruction et l'administration des troupes étaient essentiellement l'affaire des cantons, sous le contrôle fédéral. La loi de 1874 fit passer presque tout cela dans le domaine fédéral. Bien des voix compétentes s'élevèrent pour protester, et aujourd'hui encore bien des gens pensent que l'ancien système avait aussi ses mérites; personne cependant n'oserait proposer d'y revenir. Personne non plus ne propose d'aller plus avant et de centraliser davantage. Les articles militaires de la constitution de 1874 furent un compromis entre fédéralistes et centralisateurs; ils marquent la limite des concessions réciproques que Confédération et Cantons étaient alors disposés à se faire. L'essai de revision de 1895 a montré que les opinions n'avaient guère changé et que notre peuple n'avait pas envie de centraliser davantage son armée.

Il ne saurait donc être question de changer, soit dans un sens, soit dans l'autre, les articles constitutionnels qui sont à la base de notre organisation militaire. Il s'agit par contre d'élever sur cette base un nouvel édifice et non pas simplement de replâtrer l'ancien. Cela dit, entrons dans notre sujet.

Sous le terme un peu vague « organisation militaire » on comprend essentiellement trois choses: l'organisation proprement dite, c'est-à-dire le groupement des individus en unités tactiques et stratégiques; l'instruction et le commandement, ou ce qui revient au même l'administration. Nous commencerons par ce dernier point qui est, à notre avis, le plus important.

Commandement et administration.

Quelle que soit la valeur intrinsèque d'un instrument, l'essentiel est de savoir s'en servir. Quelque bien organisée que soit notre armée, elle ne vaudra que par la manière dont elle sera administrée en temps de paix et commandée en temps de guerre. Or, actuellement, aucun citoyen clairvoyant ne peut se dissimuler que notre armée n'est pas administrée comme elle devrait l'être. Il y a longtemps qu'on le sait, seulement on en a méconnu la raison. Il y a dix ans, dans les milieux militaires, on vovait le mal dans le dualisme entre les administrations fédérales et can

tonales et on cherchait le remède dans la centralisation à outrance. Le peuple n'a pas partagé cet avis; les événements lui ont donné raison et ont montré que c'est dans l'administration fédérale elle-même qu'il faut chercher la faute ou plutôt les fautes. Dans les armées permanentes, le commandement, l'administration et l'instruction ne font qu'un. Celui qui administre et instruit en temps de paix, commande en temps de guerre. Chez nous il n'en est pas ainsi; le commandant, même celui de division et de corps d'armée, n'a que fort peu de chose à dire soit dans l'instruction, soit dans l'administration; l'instructeur, par contre, est exclu du commandement; et l'administrateur n'est ni commandant, ni instructeur. Il y a non seulement dualisme, mais trialisme. Nous avons un triple personnel pour exercer des fonctions qui, chez nos voisins, sont fusionnées. De là des conflits fréquents, des empiétements continuels de l'un sur le domaine de l'autre et, comme résultat final, une armée mal administrée en temps de paix et, probablement, mal commandée en temps de guerre.

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Voilà le diagnostic, cherchons le remède. A première vue il est tout indiqué: faisons comme nos voisins; donnons à nos commandants d'unités stratégiques la haute main dans l'instruction et l'administration de leurs corps de troupe.

Voilà qui est vite dit, mais si l'on ne veut pas se payer de mots, il faut chercher à se rendre compte des modifications que cette mesure apporterait à la loi.

Tout d'abord, il semble difficile d'admettre qu'une tête même des mieux organisées, puisse mener de front une carrière civile et la direction d'une division ou d'un corps d'armée. Il faudra donc que les commandants des grandes unités soient des fonctionnaires permanents; il faudra qu'une partie des officiers de leur état-major le soient également.

D'autre part, un grand nombre de fonctionnaires actuels verront leurs compétences diminuées, peut-être même annulées. Lesquels faudra-t-il supprimer, lesquels devront continuer à exister, soit à côté soit sous les ordres du divisionnaire ou commandant de corps?

Pour ce qui concerne les armes spéciales, il est évident qu'il n'y aura pas de grands changements. Soit par le fait même de la spécialité, soit à cause des faibles effectifs, ces armes ne peuvent se passer d'une direction centrale. Les chefs d'arme de l'ar

tillerie, de la cavalerie et du génie continueront donc à exister à côté du commandement, mais le contact avec ce dernier devra être plus intime qu'il n'a été jusqu'ici.

Pour l'infanterie, la question se présente un peu différemment. On peu raisonnablement supposer que le Conseil fédéral ne confiera des divisions ou des corps d'armée qu'à des gens compétents pour ce qui concerne l'arme principale, l'infanterie. On peut supposer qu'ils sauront diriger son instruction et son administration sans qu'on leur envoie de Berne des plans d'instruction et des ordres généraux de service. S'il en résulte quelques légères différences d'une division à l'autre, ce ne sera peutêtre pas un mal, au contraire; d'ailleurs, même avec le système actuel, ces différences sont inévitables.

Il n'y aura donc plus besoin de chef d'arme, ni d'instructeur en chef de l'infanterie. Un simple bureau subordonné à la chancellerie du département suffira. Dans chaque division ou corps d'armée, le personnel d'instruction et d'administration sera placé sous les ordres directs du commandant. Ce dernier jouera surtout le rôle d'inspecteur; il dirigera l'instruction par l'intermédiaire de son instructeur d'arrondissement; l'administration par celui de son chef d'état-major. Peut-être ne sera-t-il pas absolument nécessaire que lui-même soit fonctionnaire permanent; peut-être pourra-t-il se contenter d'une semi-permanence et continuer à vaquer à ses occupations civiles. C'est l'opinion qui semble avoir cours en haut lieu, et ce sera probablement là le moyen terme qui permettra de concilier les vues divergentes.

En effet, on a fait de nombreuses objections à l'institution du haut commandement permanent. Le département militaire ne lui est pas favorable et la majorité des divisionnaires et commandants de corps semble être de son avis.

Il est de fait que cette mesure rencontrerait des difficultés d'exécution qui ne seraient cependant pas insurmontables. On s'est demandé, par exemple, ce que deviendrait un divisionnaire qui, après avoir brisé sa carrière civile, pour se vouer exclusivement au militaire, se verrait, au bout de quelques années, forcé de se démettre de son commandement. La question est certainement délicate, mais elle n'est pas insoluble. Il est permis d'espérer qu'un jour viendra où la Confédération donnera un démenti au proverbe de l'ingratitude des républiques et se décidera à accorder à ceux qui auront usé leur santé à son service

quelque chose de plus palpable que des remerciements pour les services rendus.

On a aussi exprimé la crainte que les hautes fonctions permanentes ne soient accaparées par les instructeurs permanents. Cette crainte ne nous semble pas justifiée. Si un divisionnaire vient à manquer, dans l'ordre normal des choses, le brigadier le plus ancien lui succédera, à moins qu'il ne préfère garder sa situation civile. Comme à présent, on ne nommera un instructeur qu'exceptionnellement.

Une objection plus grave est celle-ci. Le divisionnaire non permanent courra le risque de voir l'hydre bureaucratique relever peu à peu ses têtes et lui reprendre une à une les compétences qu'elle lui a cédées; le divisionnaire permanent, par contre, sera exposé au danger plus terrible encore de devenir lui-même un bureaucrate et de voir sa selle se transformer petit à petit en fauteuil. D'un côté, Charybde; de l'autre, Scylla.

Comme on le voit, la question est complexe, et le juste milieu difficile à trouver. L'essentiel est de tenir ferme au principe posé plus haut donner aux commandants la haute main dans l'instruction et l'administration de leurs unités.

Avant de passer à un autre chapitre, encore un mot sur les armes spéciales. Nous avons dit que leurs chefs devraient continuer à exister comme par le passé. Il y a cependant au sein même de ces armes un dualisme nuisible qu'il faut supprimer. De tous temps et dans toutes les armes, il y a eu conflit plus ou moins aigu entre le chef de l'arme et l'instructeur en chef. Il est difficile d'admettre que tous ceux qui ont occupé ces hautes fonctions aient été de détestables grincheux ou de vils intrigants. Le mal réside donc dans l'institution elle-même et le remède indiqué est la fusion des deux fonctions.

Instruction et organisation.

Le degré d'instruction de notre armée est insuffisant. Depuis le simple soldat jusqu'au commandant de corps, chacun chez nous, est moins rompu au métier que dans les armées per

manentes de nos voisins.

Il va sans dire que le milicien, quel que soit son grade, n'atteindra jamais cette routine du métier qui distingue le soldat et l'officier des armées permanentes.

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