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LE

CANON A TIR RAPIDE

EN AUTRICHE ET EN ALLEMAGNE

Dans notre examen comparatif de la question de l'artillerie à tir rapide en Europe, paru dans notre livraison de janvier, nous avons signalé l'imminence d'une décision en Hollande.

Cette décision est intervenue. La Hollande s'est arrêtée au matériel Krupp, que nos lecteurs connaissent.

La nouvelle organisation de l'artillerie attelée hollandaise comportera quatre régiments de deux groupes de trois batteries à six pièces et douze caissons. Pour chaque régiment, une batterie de dépôt à six pièces et douze caissons. Enfin, l'artillerie à cheval comportera deux batteries de même composition.

Le ministre de la guerre a expliqué que l'on faisait provisoirement abstraction de batteries réduites, à quatre ou à trois pièces, aucune expérience décisive ne pouvant être invoquée en leur faveur. Si, ultérieurement, cette diminution du nombre des pièces de la batterie est reconnue avantageuse, il sera facile d'y procéder.

La Hollande a été amenée à adopter le recul sur affût, non seulement par les nécessités de la défense nationale, mais parce qu'un large emploi de ses batteries actuelles, datant de 1878, avait entraîné leur usure excessive. D'une façon ou d'une autre, il fallait les remplacer. La Hollande profite des circonstances pour se mettre au bénéfice des derniers progrès techniques.

Les premières études remontent à 1895. Toutefois, c'est en 1900 seulement que des essais furent sérieusement entrepris, selon un programme nettement déterminé. Celui-ci demandait

que les expériences portassent sur la qualité de l'appareil de fermeture, la charge, les moyens de pointage, le fonctionnement des freins, la munition, les qualités balistiques des modèles présentés.

Trois constructeurs prirent part au concours Schneider, Cockerill et Krupp. Les essais eurent lieu à Scheveningue, à Oldebroek et à Immetjeshorn. 1625 coups furent tirés, dont 741 par le canon Cockerill, 669 par le canon Krupp, 215 par le canon Schneider. Les représentants des trois maisons assistèrent aux épreuves. Outre les tirs, il y eut une courte épreuve de marche.

La munition Krupp fut jugée la meilleure.

La commission ne crut pas pouvoir prononcer en faveur du canon ni de l'affût de Schneider et Cie, ses reproches s'adressant soit au frein hydro-pneumatique, soit à la fermeture, soit au déplacement latéral sur l'affût.

Les constructions de Krupp et de Cockerill furent déclarées très bonnes, avec toutefois une supériorité de la première.

Dans l'hiver 1901-1902, une nouvelle série d'épreuves eurent lieu, auxquelles participèrent, avec de nouveaux canons, les maisons Schneider et Krupp, et la Reinische Metallwaren und Maschinenfabrik, à Dusseldorf (Ehrhardt). Chaque maison concourut avec deux modèles. En outre, Krupp présenta son canon à bêche élastique. Il arma plus tard de boucliers l'un des deux premiers modèles.

L'épreuve devait consister en un tir, puis en une marche et des manœuvres sur un parcours de 800 kilomètres au moins en terrain varié; le tout encore suivi d'un court essai de tir.

Cette épreuve conduisit à l'élimination des systèmes Schneider et Ehrhardt et du type Krupp à bêche élastique, ce dernier par les motifs qui ont conduit la Suisse à la même résolution et que nos lecteurs connaissent, les autres par crainte de la complication de leur construction.

Les essais continuèrent avec le type Krupp à long recul, armé de boucliers. Ils comportèrent une marche de 500 km. sur sol dur; le tir par une bouche à feu de 1058 projectiles, puis une nouvelle marche de 500 km. sur sol dur. Cette expérience eut lieu en automne 1902. La commission se déclara alors édifiée et formula ses conclusions en faveur du matériel ainsi éprouvé. Elle les basa sur les considérations suivantes :

1. Extrême stabilité au tir permettant un grand nombre de coups pointés en un court espace de temps (aux essais de Scheveningue, 20 coups en 56 secondes);

2. Service aisé de la bouche à feu et simplicité de l'appareil

de fermeture;

3. Très bon mécanisme de pointage;

4. Protection favorable de la glissière sur laquelle recule la bouche à feu;

5. Munition excellente.

L'exposé des motifs ajoute que les qualités balistiques des pièces présentées par les diverses fabriques ne diffèrent pas essentiellement. S'il n'y avait eu d'autres éléments à considérer, le choix eût été malaisé. Mais le problème à résoudre n'est pas seulement celui des qualités de la bouche à feu; il embrasse une série de facteurs dont la réunion est nécessaire pour faire d'un canon une pièce à tir rapide. Doivent être observés l'affut avec le mécanisme du recul, l'appareil de fermeture, la manutention de la munition, etc. C'est en tenant compte de toutes ces exigences que la commission a donné le pas au matériel Krupp sur tous ceux qui ont participé aux concours.

On voit, par ce court résumé de l'exposé des motifs du ministre de la guerre des Pays-Bas, combien les appréciations de la commission d'artillerie hollandaise concordent avec celles de notre commission suisse.

En Allemagne, la question est moins avancée. Elle semble se compliquer de la concurrence acharnée que se font l'usine d'Essen et la Reinische Metallwaren und Maschinenfabrik.

En Allemagne plus encore qu'en Hollande, les deux grandes maisons sont aux prises. Qui l'emportera? Notre chroniqueur allemand, dans sa lettre de ce mois-ci, incline à croire que ni l'une ni l'autre ne doit espérer le succès final. L'Etat se réserverait la construction du nouveau canon, combinant une bouche à feu qui tiendrait à la fois du modèle Krupp et d'un modèle établi par les ateliers d'Etat de Spandau.

la

Comme Essen et Dusseldorf ont chacune leurs partisans dans presse civile et militaire, il a été fort difficile de se rendre un compte exact de ce qui se passait. La lumière est en train de

se produire grâce à de récentes déclarations du ministre de la guerre et aux commentaires, affirmations et démentis auxquels elles ont donné lieu.

Les derniers renseignements officiels avaient été fournis au Reichstag par le prédécesseur du ministre actuel. Il avait été d'ailleurs fort réservé. Il s'était borné à constater que les essais poursuivis jusqu'alors avec les modèles Ehrhardt et Krupp avaient démontré l'incontestable supériorité du recul sur l'affût, mais que par motif d'économie on ne pensait pas adopter une pièce entièrement neuve; on caressait l'espoir d'une transformation du modèle 96 en un canon à long recul obtenu par une modification de l'affût. La bouche à feu et les munitions actuelles devaient être maintenues. Le ministre n'avait rien divulgué de la marche des essais ni de la façon dont s'étaient comportés les deux types de canon présentés.

C'est cette lacune qui vient d'être comblée par les déclarations auxquelles nous faisons allusion ci-dessus, dont nous parle également notre chroniqueur et que le général von Einem a faites à la commission du budget le 16 février passé.

Les premiers essais tentés par l'administration de l'armée avec un canon à recul sur affût datent de 1899. Ce canon était présenté par Ehrhardt, mais il fut reconnu comme impropre à la guerre. Quelques perfectionnements lui furent apportés, et dans l'hiver 1900-1901 de nouveaux essais furent entrepris, cette fois-ci avec deux canons demandés à l'usine Ehrhardt et deux canons sortis de l'usine Krupp.

A la suite de ces expériences, il fut convenu que l'épreuve serait continuée, mais avec des batteries complètes. En 1901, les deux usines livrèrent chacune une batterie, au polygone de Juterborg et l'on procéda à des essais à outrance. Ceux-ci étaient assez avancés l'année suivante pour permettre soit à la commission d'expériences (Artillerie-Prufungs-Kommission), soit à l'Ecole de tir de formuler un jugement. L'immobilité au tir des canons Ehrhardt ayant été estimée insuffisante pour empêcher le dépointage, les essais ne devaient plus continuer qu'avec le matériel Krupp. Ainsi fut-il procédé. Sept batteries furent commandées à Essen et livrées assez tôt pour pouvoir être remises à la troupe dans les mois de mai et juin 1903.

Ces batteries ne furent pas ménagées; elles participèrent entre autres, comme on sait, aux manœuvres impériales, et donnèrent

satisfaction sous tous les rapports. Elles furent ensuite présentées encore une fois à la commission d'artillerie qui ne releva que de légers défauts et continuèrent à fonctionner pendant l'hiver à l'Ecole de tir. Elles furent déclarées propres à la guerre sous tous les rapports.

C'est pendant que se poursuivaient ces essais répétés que les ateliers de Spandau construisirent un autre canon, dont nous ignorons le modèle, mais dont une batterie, paraît-il, a déjà été essayée par la troupe. Cette pièce doit servir de base à l'établissement d'un modèle définitif qui doit être présenté à l'empereur au printemps, et qui serait une combinaison non pas des deux types Ehrhardt et Krupp, comme la presse quotidienne allemande l'a dit à tort, mais une combinaison du premier type de Spandau, spécialement en ce qui concerne l'affût, et du type Krupp. En résumé, comme elle l'avait déjà fait pour son canon dèle 96, l'Allemagne mettrait à profit pour la construction de sa nouvelle pièce toutes les expériences récoltées au cours des essais.

mo

La nouvelle pièce sera munie de boucliers; néanmoins son poids ne doit pas dépasser celui du canon modèle 96.

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