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que Napoléon III et le général Trochu n'ont pas su se conformer à cette règle, chacun en ce qui le concerne; que les institutions du pays doivent s'appliquer à remédier aux inconvénients résultant de l'instabilité ministérielle; qu'il est nécessaire, en particulier, d'avoir un chef d'état-major indépendant des fluctuations de la politique et qui, après avoir préparé la guerre, resterait au ministère, comme un auxiliaire précieux et indispensable au gouvernement pour la haute direction et la coordination des opérations; que c'est bien ainsi que les choses sont réglées en fait chez nous, mais qu'il serait désirable qu'une loi sanctionnât cette situation; que nos revers de 1870 tiennent à ce que « nous avions négligé la préparation complète, minutieuse, incessante, qu'exigent les guerres actuelles »; que, en dépit de cette insuffisante préparation, ni l'armée ni la nation n'ont subi un <«<effondrement moral » comparable à celui de la Prusse au lendemain d'léna; que...

Mais j'aime mieux citer textuellement la conclusion. La voici :

Tout en se gardant d'oublier la leçon terrible de 1870, et les funestes conséquences de l'imprévoyance, les jeunes générations de la France peuvent envisager l'avenir avec confiance, et se préparer avec calme à remplir, à leur tour, leur devoir envers la patrie.

Tant que notre nation aura l'énergie de persévérer dans les grands efforts nécessaires pour tenir constamment en haleine les troupes, les états-majors, le haut commandement des armées, et aussi la haute direction de la guerre; tant qu'elle joindra la prévoyance, laborieuse, persistante, à ses vertus traditionnelles de cœur, d'entrain et d'élan irrésistible; tant qu'elle sera décidée à oublier ses divisions, et à se grouper autour du gouvernement, quel qu'il soit, qui tiendra le pouvoir en cas de guerre, la France sera devenue, et restera bien forte, bien apte à faire respecter ses droits et son honneur.

Dans la prochaine guerre, on ne verra plus, comme en 1870, où tout était prêt d'un côté, et rien de l'autre, les lacunes déconcertantes de préparation, l'inertie des chefs d'armée, l'affolement du gouvernement terrorisé par l'opposition...

Tout aura pu, aura dû être équilibré pour la préparation des troupes, comme pour celle du haut commandement et de la haute direction de la guerre, entre les nations en présence. L'issue des opérations dépendra, plus que jamais, des qualités morales, de l'endurance, de l'intrépidité des officiers et des soldats.

A cet égard-là, l'histoire de nos guerres passées, comme de celle de 1870, montre que la France a toujours su compter sur ses enfants. Leur énergie et leur dévouement ne lui ont jamais fait, et ne lui feront jamais défaut.

Eh bien, que dites-vous de ce petit morceau? Il me semble, à moi, que c'est terriblement vide. Rien de nouveau dans tout cela, et la façon dont c'est dit ne masque pas la pauvreté du fond. D'ailleurs, ses souvenirs de deux mois de batailles - du 14 août au 14 octobre tiennent en 72 pages qui, imprimées avec les mêmes caractères que cette Chronique, et dans le

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même format, se réduiraient à tout juste 41. Et voilà tout ce que trouve à dire, sur des événements aussi considérables, un homme que ses fonctions d'aide de camp du général de Berckheim avaient placé, selon ses propres expressions, entre les troupes et les états-majors », que les dites fonctions << l'avaient obligé à parcourir le champ d'action de son corps d'armée, à aller des uns aux autres », soit avec son « vaillant et brillant général soit seul », ce qui lui a « permis de bien voir. »

Donc, il a bien vu. Mais comme il a peu vu! Et combien peu intéressant, le peu qu'il a vu!...

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J'ai annoncé en mai 1903 (page 438) la publication d'une partie des Conférences faites à l'Ecole supérieure de guerre par le lieutenant-colonel F. Foch, aujourd'hui colonel. Je viens d'en recevoir la seconde série, en un gros volume de 500 pages, sous le titre général : « De la conduite de la guerre », et avec ce sous-titre : « La manœuvre pour la bataille 1.

Ce volume est écrit d'un style un peu moins apocalyptique que le précédent, et avec tout autant de chaleureuse conviction, par un soldat qui a, comme il sied, l'esprit combatif. Aussi l'ai-je lu avec un intérêt passionné. Certes, je préfèrerais que le style en fût plus pur, qu'on n'y vit point, par exemple, « entretenir en temps de paix le cerveau d'une armée, le tendre constamment vers la guerre, » entretenir un cerveau! tendre un cerveau! Mais, cette critique faite, je ne dissimulerai pas le plaisir que j'ai éprouvé à entrer dans les coulisses de la guerre. On nous a trop montré ce que le spectateur voit de la salle, ce qui est représenté sur la scène. Nous sommes saturés de batailles, si on peut dire. C'en est l'envers, cette fois, que nous montre l'auteur. C'est le travail qui se fait loin du feu de la rampe, derrière la toile de fond. Le colonel Foch a cherché, ce sont ses propres expressions, à revivre la vie des quartiers généraux. Et il cite, à ce propos, une phrase de York de Wartenbourg :

Celui qui veut comprendre la guerre doit s'exercer à comprendre ceux qui la font. C'est dans les quartiers généraux que se trouve la clé de l'histoire militaire.

Les lecteurs de la « Chronique française » de la Revue militaire suisse ne seront peut-être pas surpris de la satisfaction que m'a causée cette façon de concevoir le rôle du professeur, si naturelle qu'elle soit dans une chaire de l'Ecole de guerre. J'ai exprimé bien des fois le regret de voir accorder tant d'attention, aux grandes manœuvres, à ce qui se passe sur le terrain, au détriment de ce qui se passe dans les états-majors. De cela, on S'occupe frénétiquement; de ceci, on n'a cure. Or, cela ne rime à rien, tandis que ceci est plein d'enseignements. A pénétrer dans le cerveau d'un 1 Avec 13 cartes et croquis. Paris, Berger-Levrault, 1904. Prix: 10 francs.

Napoléon, quand il médite un plan de campagne, et à regarder par-dessus l'épaule d'un Berthier, pendant qu'il rédige des ordres, on apprend plus qu'à contempler les évolutions d'ún Ney ou les galopades d'un Murat.

Donc, le colonel Foch nous introduit dans l'intimité du maréchal de Moltke, et il démonte sous nos yeux, avec clarté, le mécanisme du commandement.

Il n'a pas de peine à nous prouver que l'organisation de ce mécanisme, en Allemagne, était fort défectueuse. Et il oppose la méthode du chef d'étatmajor du roi Guillaume à la méthode du grand Empereur. Celui-ci faisait des hypothèses dont la valeur dépendait de sa pénétration psychologique, de la connaissance qu'il avait de ses adversaires; mais, avant de se lancer au combat, avant d'y lancer ses troupes, avant de prendre une décision, il cherchait avant tout à vérifier l'exactitude de ses hypothèses.

La situation du maréchal de Moltke, et son tempérament aussi, peutêtre, ne lui permettaient pas d'agir ainsi : il est l'homme qui fait des hypothèses et qui, sur ces hypothèses, échafaude des plans d'opérations, sans savoir si la base sur laquelle il édifie est solide ou non. Il l'ignore, et, au surplus, il est condamné à l'ignorer, n'ayant pas le moyen de se renseigner. Il en résulte, dit notre auteur, « une direction systématique, lointaine, aveugle et dans l'irréel ».

J'en conviens, et je reconnais que la faute en a été à la situation du maréchal de Moltke et à son tempérament. Mais peut-être en est-elle encore plus aux circonstances. C'est ce que le colonel Foch ne paraît pas admettre. Prenant, en effet, ce qui a été fait le 17 août par le chef d'état-major du roi de Prusse, il y oppose ce qu'eût fait Napoléon.

On l'eût certainement vu, à la nouvelle de la bataille du 16, accourir sur le champ de bataille, s'y trouver en tout cas le 17, prendre en main la direction des affaires, parer aux dangers les plus pressants, voir par lui-même la situation, mander les deux commandants d'armée et leur donner ses instructions.

Le brouillard et le doute persistant (sic) sur les intentions de l'ennemi, dans la matinée du 17, il eût poussé aux nouvelles, dans les directions inté– ressantes... Il est probable que, avec son activité habituelle, son désir de se rendre compte par lui-même, il eût galopé à l'avant-garde du nord-ouest, vers Auboué, sauf à revenir ensuite à celle de la route de Metz. Dans une longue journée comme celle (s) du mois d'août, il eût ainsi éclairé la situation avant la nuit.

Eh oui, il eût peut-être fait ainsi. Mais peut-être aurait-il eu tort. Le rôle du général n'était plus à Austerlitz ce qu'il était à Fontenoy. Il se peut fort bien qu'il ne dût plus être à Sadowa ce qu'il était à Iéna. Quand la tâche prend un certain développement, on est contraint de recourir à la règle sage de la division du travail. Napoléon voulait tout savoir et tout voir. S'il vivait de nos jours, il se louerait des facilités que lui donneraient

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à cet égard le télégraphe, le téléphone, les automobiles. Mais qui sait s'il ne renoncerait tout de même pas à exercer une direction prochaine, immédiate et personnelle sur les événements? Qui sait s'il ne croirait pas devoir adopter la << stratégie sur hypothèses » à laquelle de Moltke s'est résigné. Est-ce de propos délibéré que celui-ci l'a fait? N'est-ce point plutôt par hasard, sous une secrète pression d'évènements capricieux? S'est-il dit : « La guerre d'aujourd'hui est trop vaste, les théâtres d'opérations sont trop étendus, les masses à mouvoir sont trop considérables pour que je puisse employer les procédés que Napoléon mettait en œuvre ? » S'est-il dit qu'il n'avait point le génie du maître? S'est-il dit tout simplement: « La position que j'occupe, le pouvoir presque exclusivement spirituel qui m'est dévolu, ne se prêtent pas à l'emploi de ces procédés; je suis un conseiller, et rien d'autre; je me trouve dans une absolue impossibilité d'agir, de parcourir les lignes d'avant-postes, de me promener sur le terrain ma place est à l'arrière, au grand quartier général, et nulle part ailleurs? » Oui! S'est-il dit tout cela? Ou bien tout cela s'est-il combiné, à son insu, pour donner comme résultante, en fin de compte, ce qui s'est produit? Peu importe, ce me semble, et l'important, en l'espèce, c'est le résultat. Eh bien, ce résultat, le colonel Foch l'a formulé en des termes excellents, à la fin de son second volume. Je ne saurais mieux faire que de transcrire son ultime conclusion: La voici :

Si Moltke n'a pas fait la victoire sur le champ de bataille, c'est l'armée, son ceuvre entière 1, qui l'a faite les causes des succès allemands de 1870 représentent bien dans leur ensemble une réserve de forces parcimonieusement accumulées par un gouvernement sage et prévoyant qu'il a merveilleusement eclairé et guidė. Par là, les vrais vainqueurs redeviennent définitivement le Roi et son chef d'état-major, montrant une fois de plus que, en l'absence d'une colossale personnalité, à la conception géniale, les organisations et la préparation du temps de paix fixent bien l'issue dans les foudroyantes rencontres de nos immenses armées: montrant en particulier le rôle considérable d'un chef d'état-major pendant la paix : non seulement entretenir matériellement l'armée, en assurer la concentration à la mobilisation, mais aussi la préparer et l'instruire pour les besoins de la guerre moderne, développer en particulier dans un corps d'état-major formé par lui à sa doctrine l'unité de vues seule capable de garantir dans l'exécution la convergence de tous les efforts. Quant au monarque, élevé à la rude école des guerres de l'indépendance, il ne voit la victoire que comme la récompense du dévouement de tous à la cause commune. Loin d'incarner l'Etat en sa personne, il s'en est fait le premier serviteur; souvent il a abandonné ses vues propres et abdiqué les prérogatives les plus précieuses de sa puissance royale aux mains de capables conseillers. Comme prix de son abnégation, il rapportera de la campagne de France la couronne d'empereur d'Allemagne, et conquerra peut-être dans l'histoire le titre de Grand.

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Voici un autre ouvrage appelé à faire sensation. C'est L'officier éducateur, par M. George Duruy.

On sait que M. George Duruy, fils de l'ancien ministre de l'Instruction publique sous Napoléon III, est un ancien élève de l'Ecole normale. Romancier de grand talent, il fut désigné pour occuper à l'Ecole polytechnique la chaire de littérature française. Il professait avec succès lorsque l'Affaire Dreyfus se produisit. Il prit ardemment parti dans la lutte. Le Figaro publia de lui des articles très courageux en faveur de la revision. A la suite de cette publication, ses élèves le huèrent, et son cours fut suspendu.

Les événements ont tourné. Ce qui était réprouvé est devenu licite: on fait bon visage aujourd'hui à ceux que l'on injuriait naguère. Pas à tous, sans doute, mais à certains. M. Duruy a la chance d'être au nombre de ceux-ci. On lui a accordé toutes les réparations possibles et imaginables. En mai 1899, les polytechniciens le « conspuaient », c'est le terme technique et M. de Freycinet, ministre de la guerre, le blâmait à la tribune. Hier, les polytechniciens l'acclamaient, et le général André, chef de l'armée, lui demandait de rédiger le programme de l'éducation morale à donner aux officiers, le chargeait de développer ce programme, lui ordonnait de publier ces développements.

Telle est l'origine du livre dont je me borne, faute de place à signaler la mise en vente, à la librairie Chapelot. C'est un ouvrage intéressant, écrit par un homme qui aime l'armée. Il est regrettable seulement qu'il n'ait pas vécu dans l'armée, car ses conseils auraient sans doute plus de poids s'il pouvait invoquer son expérience personnelle et s'il avait mis en pratique par lui-même, tot ce qu'il engage ses auditeurs à faire.

A défaut d'autorité, il a l'ampleur du verbe, l'éloquence, et, à ce titre, il mérite d'être lu.

Si la valeur d'un ouvrage se mesurait à son prix et à ses dimensions, je passerais sous silence Le Guide illustré du soldat, rédigé par le lieutenant Berthon, lequel est licencié ès sciences, s'il vous plaît. C'est un fascicule d'une centaine de petites pages (exactement 96), qui est édité par la maison Plon-Nourrit et Cie, où il ne coûte que quatre sous vingt centimes.

Mais, loin de tenir ce travail pour quantité négligeable, je considère qu'il est de mon devoir d'en louer l'idée, et non seulement l'idée, mais aussi l'exécution, encore que celle-ci, en certains points, laisse à désirer. Les couleurs des uniformes et celles des drapeaux étrangers ne sont pas toutes bien venues au tirage. Dans les figures des pages 4 et 7 (signes distinctifs des différents grades), on est dérouté par une succession illogique adoptée par le dessinateur.

En dépit de ces critiques, je considère la publication de cet opuscule

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