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CHRONIQUE FRANÇAISE

(De notre correspondant particulier.)

Au Ministère de la Guerre. L'honneur d'un officier. Au Comité de l'infanterie. L'instruction des troupes : les grandes manœuvres. ques publications.

Quel

Le général André a quitté sa villégiature d'Arcachon, et il est venu reprendre la direction des affaires de son département. Sa santé est meilleure qu'on ne le disait. Il s'est guéri très vite de la congestion pulmonaire dont il souffrait au commencement de mars.

Pendant son séjour au bord de la mer, il a eu à s'occuper du colonel Marchand, encombrant personnage qui se croit quelqu'un parce que les circonstances ont fait de lui quelque chose. C'est un officier vigoureux, énergique; mais il ne paraît décidément pas au niveau du rôle que l'incident de Fachoda lui a taillé... et que la politique a cherché à exploiter. Poursuivi par on ne sait quelles ambitions et quelle monomanie, il ne cesse de se plaindre de n'avoir pas la place qui convient au héros qu'il est, et il verse ses doléances dans les journaux sans y être autorisé. On sait que les publications non autorisées sont considérées par nos règlements comme des actes d'indiscipline. Le Ministre a donc profité de l'occasion pour infliger au colonel Marchand trente jours d'arrêts, à l'issue desquels le héros rendra son sabre. L'opinion publique a accepté sans protestation qu'on frappât sévèrement celui qui naguère était son favori. Il s'est mis dans son tort tant pis pour lui. Et voilà comme les réputations se font et se défont. Elles se refont de même, et il n'est pas impossible que la politique remette sur la scène celui qu'elle vient de faire tomber dans le troisième dessous. Sa carrière n'est pas encore finie.

D'autres actes d'indiscipline se sont produits. Pour se dérober à l'obligation de faire respecter la loi sur les congrégations, certains officiers dont cette loi blessent les sentiments religieux ont invoqué des prétextes que le Conseil de guerre n'a pas reconnus valables. En conséquence, ils ont été condamnés. Mais, comme ils ont interjeté appel et que le jugement a été cassé, pour vice de forme, nous aurons une occasion de revenir sur ce qu'on a appelé l'incident de Ploermel.

Puisque j'en suis à parler du cabinet du Ministre, je vais vous dire un mot d'une brochure où il en est beaucoup question et qui n'est pas sans intérêt, encore qu'on la lise peu, car elle n'est pas, je crois, dans le commerce. Mais elle circule dans Paris et elle ne saurait être négligée, à cause

de ce qu'il y a d'émouvant dans le sujet qu'elle traite et qu'indique son titre : L'honneur d'un officier, à cause aussi du nom de l'auteur, lequel n'est ni plus ni moins que M. Bunau-Varilla, directeur du Matin, s'il vous plaît.

Il s'agit de M. Charles Humbert, ci-devant capitaine au 26e bataillon de chasseurs à pied et officier d'ordonnance du général André, ministre de

la guerre.

J'ai raconté, en son temps, comment celui-ci avait appelé celui-là à faire partie de son entourage. Je rappelle la chose en deux mots.

Dans un rapport sur le budget de la guerre, M. Camille Pelletan avait signalé en son temps la disgrâce qui avait frappé le lieutenant Humbert, coupable d'avoir dénoncé à ses chefs des prévarications commises par le sergent-major de sa compagnie. L'enquête faite par le commandant du bataillon avait démontré la connivence de ce sous-officier avec son capitaine. C'était donc ce dernier, en fin de compte, dont les agissements se trouvaient dévoilés par le fait du lieutenant Humbert, son inférieur. On ne le pardonna pas à celui-ci : on lui infligea des punitions; on ne lui épargna aucune avanie; on le mit en quarantaine. Et c'est pour réparer, autant qu'il dépendait de lui, cette iniquité, que le général André, arrivant au pouvoir, prit dans son cabinet le lieutenant Humbert et le nomma capitaine au bout de très peu de temps.

L'auteur réel de cet avancement se trouvait être M. Pelletan, député et journaliste. Sans son rapport, les faits que je viens de rapporter seraient restés inconnus : il les mit au jour, et c'est ce qui détermina le revirement de fortune de son protégé.

omme le représentant en

Celui-ci en fut-il grisé? Se considéra-t-il quelque sorte attitré de la probité intransigeante, ayant été quelque temps un martyr, victime de sa vertu? Est-ce la reconnaissance bien naturelle envers son bienfaiteur et son « patron » qui le lança dans la politique? Toujours est-il que « lorsque le Matin voulut contribuer à soustraire l'armée aux agitations créées par les nationalistes, en rendant pleine sécurité aux officiers républicains, ce fut au capitaine Humbert, puis, par son entremise, au général Percin, son chef direct, que je m'adressais, dit M. BunauVarilla, afin d'obtenir du cabinet toutes les communications militaires intéressantes. »

Car, soi dit en passant, le général André, qui s'était posé en ennemi farouche de la presse, qui affirmait qu'il ne voulait pas la connaître, eh bien! tout comme les autres, il s'occupe d'elle, se préoccupe de ce qu'elle dit, et tâche de lui plaire. Il parait qu'il ne s'est résigné qu'à contre-cœur, sur l'injonction formelle de M. Waldeck-Rousseau. Mais il semble y avoir pris goût, depuis, et, dans la plaquette que j'ai sous les yeux, on voit que les journalistes (pourvu qu'ils soient influents, bien entendu!) ont auprès de

1904

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lui leurs grandes entrées, et leurs petites.. Ils vont le trouver et causent longuement avec lui (page 3). Il les fait demander lorsqu'il constate des erreurs dans leurs articles (page 16). Bref, il n'est pas l'homme indifférent et imparidum, comme dit Horace, qu'on se figurait1.

Mais ceci est une digression étrangère au sujet que j'ai à traiter. Jy reviens.

Nous avons laissé le capitaine Humbert servant d'agent de liaison du cabinet avec la presse. Il « s'appliqua de son mieux en toute occasion, à faire en sorte que ses camarades du service ou de la réserve trouvassent dans les colonnes du Matin tous les renseignements utiles, dont la publication, d'autre part, n'offrait aucun inconvénient ».

Cette situation le mettait en rapport avec le monde politique et je me suis laissé dire qu'il en profita pour se plaindre plus d'une fois de la tiédeur républicaine de son ministre. Pour des raisons diverses, que ce n'est point le lieu d'exposer, celui-ci trompa plus d'une fois les espérances de ses amis par des actes qui démentaient ce qu'ils croyaient savoir de ses opinions politiques. Il se montra plus modéré que son entourage immédiat, sinon même en certain cas réactionnaire. Des officiers qui passaient pour ses conseillers n'étaient pas sans en souffrir. On était porté à les accuser de manquer de ferveur ou d'influence. Aussi n'est-il pas étonnant qu'ils aient cherché à se dérober à cette responsabilité en répudiant toute solidarité avec leur chef.

<< Humbert se croit plus ministre que moi », disait le général André. Aussi voulut-il se débarrasser de ce collaborateur qu'il avait fini par trouver gênant. Les intrigues qui avaient précédé la formation du ministère Combes lui en fournirent l'occasion ou le prétexte. Maintenu à la tête de son département, il annonça au capitaine Humbert qu'il allait l'envoyer quelque part, en province, loin de ce Paris où il connaissait trop de monde, où il était trop influent. Mais la raison, la vraie raison? « Vous voulez une explication: eh bien! sa tête me déplaît, là! Nasus mihi displicuit suus! >

M. Bunau-Varilla ne trouva pas le motif suffisant; M. Combes, non plus. M. Pelletan avait, dans le nouveau cabinet, le portefeuille de la marine: il prit parti pour son protégé contre son collègue et ancien ami, lequel dut céder en fin de compte.

Mais les circonstances lui fournirent une revanche.

Le général Faure Biguet, gouverneur militaire de Paris, vint se plaindre au ministre d'être contrecarré par le cabinet dans l'exercice de son autorité.

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↑ On s'explique, après ceci, les facilités qu'il a données au Matin, à la grande surprise de bien des gens, pour organiser le grand concours de marche militaire qui doit avoir lien dans quelques jours et dont on peut dire que, au point de vue professionnel, la nécessité ne se faisait pas impérieusement sentir.

Il avait appris qu'un soldat, élève du Conservatoire, ne faisait aucun service à son régiment, et que, par contre, il jouait tous les soirs dans un théâtre. Il lui fit défense de continuer et pour le soustraire à la tentation l'envoya à Versailles. Le « cabinet » prescrivit le retour de ce soldat dans un régiment de Paris. Le général Faure Biguet s'inclina... sans s'incliner: il envoya le dit soldat à la portion principale du dit régiment, laquelle est en province. Nouvelle intervention du « cabinet »: le militaire en question restera à Paris, sera dispensé de tout service et viendra tous les jours au ministère à titre de secrétaire auxiliaire.

Cette fois, la moutarde monta au nez du gouverneur militaire de Paris. Il alla trouver le général André et lui demanda une explication.

L'examen des papiers qu'il avait apportés montra que la résistance à ses ordres était le fait du capitaine Humbert, et celui-ci fut mis en demeure de rejoindre un régiment. Il refusa, donna sa démission et... fut nommé percepteur à Vincennes. Ce que voyant, le ministre, à son tour, donna sa démission. Ce fut même M. Bunau-Varilla qui se chargea de l'« étrange commission » de la transmettre au président du Conseil.

M. Combes la refusa et annula la nomination à Vincennes de l'ex-capitaine Humbert, lequel fut envoyé à Caen. Il est, depuis, revenu dans la banlieue de Paris, où il est encore actuellement.

Mais, entre temps, deux incidents ont eu lieu, qui, à des titres différents. méritent d'être mentionnés.

C'est, d'une part, l'attitude du général Percin qui couvrit son subordonné, affirmant que celui-ci n'avait fait qu'obéir à ses instructions, lui manifestant, dans sa disgrâce, une inaltérable estime et une affection fidèle, reprochant au général André d'abandonner un officier qui s'était dévoué corps et âme à sa politique et à sa personne. (Il est bien entendu qu'ici encore, je cite textuellement.)

D'autre part, on raconta au ministre, quand son officier d'ordonnance eut quitté l'uniforme pour devenir fonctionnaire des finances, qu'il avait, comme sous-officier, été soupçonné d'un vol sur les fonds de l'ordinaire. Naturellement, l'infortuné percepteur ne se douta pas de cette accusation. Le général André se contenta de dire, à plusieurs reprises: « Quand les gens sont partis, les langes se délient, et on en apprend quelquefois de belles». Il fallut un hasard pour que l'intéressé fût mis au courant, Et alors il n'eut pas de peine à prouver qu'il avait été victime d'une confusion: c'était un de ses homonymes qui s'était rendu coupable du détournement en question, ou qui, du moins, en avait été accusé. Accusé fort à tort, sans doute, car il est inscrit au tableau d'avancement pour le grade de chef de bataillon.

C'est pour dissiper toute trace de cette légende calomnieuse, que M. Bunau-Varilla a pris la plume. Je n'hésite pas à m'associer à sa protestation; car, si je crois n'avoir pas eu personnellement à me louer du capitaine Hum

bert, je ne saurais admettre qu'on l'écrase sous des on-dit terribles et que n'appuie aucune preuve. J'ai toujours réclamé le grand jour pour les attaques du genre de celles dont il est l'objet : je ne cesserai de le réclamer.

Le général Percin n'est toujours pas remplacé dans ses fonctions de chef de cabinet. En novembre dernier (page 859), je disais qu'il les conserverait jusqu'à achèvement des «< tableaux ». J'ajoutais que sa succession était peut-être réservée à un colonel breveté dont les deux ans de stage régimentaire finissent ce mois-ci. Je ne sais si mes pronostics se réaliseront sur ce point; mais il est certain que le général Percin, tout en ayant quitté son appartement de la rue Saint-Dominique et tout en ayant pris le commandement effectif de la 7 division, continue à diriger le cabinet militaire du ministre. Au surplus, la publication intégrale des tableaux n'est pas terminée il reste encore à faire paraître celui de la médaille militaire.

:

En même temps que de l'élaboration de ce tableau et de la direction du cabinet et du commandement de sa division, le général Percin s'occupe activement des questions vitales de l'infanterie entre autres, du tir et du havresac. Il vient de faire changer l'orientation donnée à l'enseignement du tir, en appelant à la tête de l'Ecole normale du camp de Châlons un officier imbu de ses théories, théories que je ne tarderais pas à vous exposer mais le moment n'est pas encore tout à fait venu pour que je vous en parle.

Il est également prématuré de donner des précisions sur la solution du problème du havresac. Tout ce que j'en peux dire, c'est que cette solution, si elle est adoptée, sera singulièrement hardie et neuve.

L'épithète de << neuve, » qui vient sous ma plume, me remet en mémoire un mot de Giboyer dans la comédie d'Emile Augier. Quelqu'un faisant l'éloge d'un prédicateur en ces termes : « Il a eu sur la charité des idées si touchantes, si nouvelles! » Giboyer murmure: A-t-il dit qu'il ne faut pas la faire ? »

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Eh bien, certains officiers pensent que la manière la plus radicale d'alléger le havresac, c'est de le supprimer. Voilà qui s'appelle n'y pas aller par quatre chemins. Toujours est-il que ce problème soulève d'ardentes discussions. Le Comité technique de l'infanterie a eu à examiner de nombreuses proposition, très diverses. Et la presse est pleine de controverses sur le même sujet. Je signale en particulier l'étude originale que le capitaine Chalençon a consacrée au chargement du soldat dans le Journal des sciences militaires (janvier et avril 1904).

Sous couleur de refondre son Bulletin officiel et d'en disposer méthodi

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