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l'honneur dont il avait été l'objet; on a même porté contre lui de graves accusations, qu'il a eu le tort de ne pas faire soumettre à un conseil d'enquête, le seul procédé qui lui fût offert pour se disculper devant l'opinion publique.

Aujourd'hui, le président Roosevelt l'a fait agréer par le Sénat pour remplir une des deux vacances de général de division faites par la retraite des généraux Miles et Davis. Ceci comble la mesure et soulève dans l'armée une légitime irritation. M. Wood, en effet, n'a que deux ans et demi de grade de brigadier, et six années ne sont pas écoulées depuis qu'il était médecin régimentaire!

Il faut le dire, le Sénat lui-même, tout habitué qu'il est à de pareils tours de passe-passe, a hésité un instant devant cette énormité. Ce qu'il y a de plus lamentable dans l'affaire, c'est que d'après l'ordre naturel des choses, M. Wood, en 1909, deviendra le plus ancien major-général et sera tout désigné pour le rang de lieutenant-général, et qu'on se trouvera ainsi avoir un chirurgien militaire à la tête de l'armée spectacle peu fait, on le comprendra, pour plaire aux officiers de carrière vieillis sous le harnais. Mais le vent est décidément aux tours de faveur, car voici que le président a nommé général de brigade le capitaine L. Mills, du 1er de cavalerie, qui était directeur de l'école de West-Point avec le rang provisoire de colonel. M. Mills est un soldat qui a fait ses preuves et dont les hautes capacités sont reconnues par tous; toutefois il est impossible de nier que, dans son arme, il passe sur le dos de 28 capitaines, 51 majors, 17 lieutenantscolonels et 15 colonels, et que, sur l'ensemble du corps d'officiers, il saute par-dessus 687 de ses camarades de différents grades. Il est indéniable également que malgré ses qualités tout à fait remarquables, ce capitaine n'aurait point obtenu un tel avancement sans l'amitié du président Roosevelt.

L'étonnement de l'armée, devant ces promotions étranges, a été d'autant plus grand qu'elles ont coïncidé avec une pompeuse déclaration du président affirmant que désormais «< on ne permettra à aucune pression politique, sociale ou personnelle d'exercer la moindre influence sur les questions d'avancement ou d'affectation. »

De tous côtés on voit s'élever des protestations contre le principe qui permet de choisir les généraux parmi les officiers d'un grade quelconque. Les réformateurs les plus modestes demandent que ce choix ne puisse se faire que parmi les colonels ayant au moins trente ans de service.

Pour dire vrai, notre système d'avancement, dans son ensemble, devrait être remanié. C'est l'impossibilité où se trouve l'administration de récompenser par un avancement au choix régulier les officiers jusqu'aux colonels inclusivement, qui est la cause de ces promotions de subalternes au grade de général, dont on se plaint tant aujourd'hui.

L'école de trompettes, estafettes et ordonnances, établie récemment à F Riley (Kansas) a pleinement répondu à ce qu'on attendait d'elle. Elle se compose actuellement de 24 élèves, divisés en deux classes et qui non seulement reçoivent l'instruction musicale, mais en outre sont exercés à remplir proprement leurs fonctions de porteurs d'ordres écrits ou verbaux.

CHRONIQUE FRANÇAISE
(De notre correspondant particulier.)

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La réorganisation de l'artillerie. Disparition de deux généraux. Les prochaines grandes manœuvres. Bibliographie.

Il y a deux mois (page 460), je disais, parlant du nouveau chef de cabinet du ministre de la guerre : « Je ne goûte qu'à moitié le dessein qu'il poursuit << de supprimer, en temps de paix, l'artillerie de corps, pour ne plus laisser << subsister que les régiments divisionnaires, sauf à modifier cette organisa<<<tion au moment de la mobilisation. » Je ne sais pas si c'est très français de poursuivre un dessein » et si ce l'est davantage de l'« atteindre >>. Toujours est-il que le colonel Valabrègue en est venu à ses fins. Nous n'avons plus d'artillerie de corps constituée. Chaque corps d'armée possède deux divisions d'infanterie de chacune desquelles un régiment d'artillerie fait partie intégrante. Libre au commandant du corps d'armée de prélever làdessus le nombre de batteries dont il pense avoir besoin un jour donné. Il est maître d'employer à sa guise les troupes placées sous ses ordres. Et, par conséquent, il peut reconstituer quand bon lui semblera cette artillerie de corps qui vient d'être supprimée, ou qui a l'air de l'avoir été, puisqu'elle existe encore virtuellement !...

Après tout, cette solution qui me choque est peut-être la bonne. Elle a seulement le tort de différer de celle que j'ai préconisée naguère, et qui consistait à faire quatre demi-régiments, dont chacun à six batteries. Qui sait si, tout en différant de ce système, celui qui vient d'être adopté ne s'en rapproche pas ?...

J'ai été habitué à considérer l'artillerie de corps comme un organe essentiel du commandement. J'ai encore dans l'oreille, en quelque sorte, ce mot du général commandant la garde prussienne, lorsqu'il apprenait que les affaires se gâtaient : « Allons, vite! Mes bottes, et mon artillerie de corps! » Le Prince de Hohenlohe, qui rapporte ce souvenir, en ajoute un autre, non moins caractéristique. Il paraît que les officiers allemands trouvaient le temps très long, pendant le siège de Paris, et que, pour tromper leur impatience, ils jouaient d'interminables parties de whist. Or, ils appelaient les

atouts leurs batteries de corps. Si, après cela, on renonce à celles-ci, il faut, n'est-il pas vrai? qu'on ait d'excellentes raisons à invoquer.

Une de celles qu'on donne, c'est que l'artillerie de corps n'est pas suffisamment exercée, les corps d'armée ne participant aux grandes manœuvres que tous les quatre ans.

Et ceci, certes, est exact. Mais qu'en conclure, sinon que l'instruction du corps d'armée laisse à désirer, ce qui est regrettable pour son artillerie. j'en conviens, mais ce qui l'est bien plus encore, convenez-en, pour ses autres organes, à commencer par son état-major? Mieux vaudrait supprimer la cause du mal que supprimer le malade.

A quoi bon insister? A me faire traiter de routinier, peut-être. Les principes passent. Faisons comme eux passons.

Les généraux passent, eux aussi. Voici le général Langlois qui disparait du cadre de l'activité. Mais il n'est pas de ceux qui s'endorment dans l'inaction : il a une bonne plume, dont il n'est pas douteux qu'il soit disposé à se servir.

Ce sera tout plaisir pour ses lecteurs. Il écrit avec facilité sur des sujets intéressants. Son Artillerie en liaison avec les autres armes est un excellent livre. N'eût-il d'autre mérite que d'avoir suscité la création de notre merveilleux canon de 75 qu'il aurait droit à notre profonde reconnaissance. Qu'importe après cela si le chapitre des boucliers renferme une faute de raisonnement ou de calcul dans l'évaluation de la vulnérabilité, ainsi que le prétend un mathématicien de mes amis? Le général Langlois a été un professeur d'artillerie de premier ordre et il a fait faire à son arme des progrès remarquables.

Est-ce à dire que tout soit parfait dans ce qu'il a tenté? En particulier, ses tirs en pleins champs sont-ils à l'abri de toute critique? J'ai vu nombre d'officiers qui, ayant pris part à ces écoles à feu de circonstance, regrettaient vivement leurs polygones habituels, quand ces polygones, du moins, n'étaient pas de simples couloirs, mais quand c'étaient de vastes terrains, comme ceux du camp de Châlons ou du camp de Mailly, où on peut tirer dans plusieurs directions et où on a l'immense avantage d'être chez soi. On n'y est pas gêné par la pensée qu'on gêne autrui. Lorsqu'on envoie des obus dans des propriétés, il faut prendre des précautions pour ne pas incommoder le propriétaire il en faut bien davantage encore pour ne pas égarer ses projectiles chez le voisin. Ce sont là des considérations que le champ de bataille pour de vrai ne connaît pas, et que ne connaît pas davantage l'étendue désertique des steppes. C'est de la Russie que nous vient la pratique des tirs en pleins champs. Et on sait que, dans ce vaste pays, d'une

part, les espaces incultes abondent, et, d'autre part, on ne se met guère en peine des doléances des moujiks.

Quoi qu'il en soit de l'application- nous allons voir l'artillerie du 19° corps à l'œuvre, ces jours-ci, tout près de Paris, — l'idée était louable de secouer la routine de nos artilleurs et de les faire sortir de ces champs de tir qu'ils connaissent dans les coins, comme on dit, et dans les recoins, sur le bout du doigt. Encore une fois, le général Langlois a bien mérité de son arme.

Son camarade de Négrier quitte aussi l'activité. A la veille de passer dans le cadre de réserve, il a cru habile de faire un coup d'éclat, en demandant à être relevé de ses fonctions d'inspecteur d'armée, sous prétexte que l'armée est désorganisée. Comme le lui a dit M. Charles Malo, il a mis bien du temps pour s'en apercevoir, car elle n'est pas plus désorganisée aujourd'hui que hier, et hier elle ne l'était pas plus qu'avant-hier. Il semble que en livrant au public, par l'intermédiaire d'un journal nationaliste, sa retentissante protestation, le triste héros du Tonkin ait cédé à un mouvement de dépit. Il aurait voulu être considéré comme ayant commandé en chef devant l'ennemi, paraît-il, et, à ce titre, il espérait être maintenu sans limite d'âge.

A la vérité, il y a quelque chose d'exorbitant, je l'ai dit, à attribuer des prérogatives exceptionnelles à un général qui, placé à la tête d'un corps expéditionnaire, s'est promené avec ce corps dans les plaines du Céleste Empire. Ni le général Saussier, ni le général Duchêne, et encore moins, le général Voyron ne semblent avoir acquis des droits incontestables à une faveur qui devrait être réservée à des cas tout à fait spéciaux. Du moins, pouvaient-ils invoquer des prétextes valables et il ne fallait pas torturer les textes outre mesure pour leur attribuer l'honneur d'avoir commandé en chef devant l'ennemi.

Le général de Négrier a commandé la destruction de la porte de Chine. Il a commandé la retraite à l'affaire de Bang-Bo.

Il n'y a pas à contester qu'il était populaire dans le corps expéditionnaire et même, d'une façon générale, dans l'armée. Mais il n'y a pas à contester qu'il a fait tout ce qu'il fallait pour le devenir. Il a toujours aimé à avoir l'air de s'intéresser au soldat. Il entre à l'hôpital, s'approche du lit d'un malade et demande à celui-ci : « Es-tu bien soigné ? » — « Oui, mon général. » — « Tu ne manques de rien? >> — « Oh! pour ça, mon général, je ne mange pas à ma suffisance. » — « Vous entendez, docteur. Vous aurez trente jours d'arrêts pour négligence dans votre service. Je n'admets pas qu'on prive mes hommes, mes bons petits troupiers.» Et, er sortant de la salle, le général dit au médecin-chef qu'il vient de punir: « Il va de soi que vous ne ferez pas vos arrêts. Je sais avec quel zèle vous vous occupez de votre hôpital, et je vous proposerai pour l'avancement. Ce que je viens de faire, c'est uniquement pour manifester la sollicitude du commandement pour les be

soins du soldat. » Il est vrai que, en même temps, le procédé égoïste livre à la suspicion générale le savoir et la conscience du service de santé.

L'an dernier, sur le pont de Bourganeuf, c'était le service administratif qui «< écopait. » L'intendant général était « attrapé » par le directeur des manœuvres qui estomaquait la galerie devant qui (et pour qui) la farce était jouée. Les militaires, eux, savaient à quoi s'en tenir et n'attachaient pas d'importance à cette véhémente sortie. Ils se contentaient de murmurer la première partie de l'exclamation de Pie VII à Fontainebleau

Comédie aussi, cette haine qu'affecte contre la presse le général de Négrier qui est assoiffé de réclame et qui... fait partie de la presse. Il a beau dédaigner les journalistes, il s'est fait journaliste, espérant que le bon public accueillerait plus volontiers que ses pairs les idées qu'il a faites siennes, bien que les comprenant médiocrement et les appliquant mal. Il a écarté les reporters de son quartier général, l'an passé; mais ç'a été pour aller causer avec eux sur le terrain, et c'est ainsi qu'il a pris comme confident le rédacteur militaire de l'Eclair, qui est encore un journal nationaliste, soit dit en passant.

Le défenseur du général de Négrier, car il en a, déclare qu'il est crâne au feu. Ils ajoutent qu'il l'a été même en écrivant sous le voile de l'anonyme et sans avoir obtenu l'autorisation ministérielle des articles contraires à l'orthodoxie militaire dans un organe clérical. (C'est de la Revue des Deux mondes, que je parle.) C'est beau d'avoir fait ce coup-là, disent-ils, car c'était un coup à se faire mettre en disponibilité. Ils admirent aussi qu'il monte à cheval au Bois de Boulogne dans une tenue antiréglementaire. Ils admirent enfin que, arrivé aux étoiles sans avoir jamais rien fait, il se soit mis à étudier, à partir de ce moment-là, découvrant Baruch, comme le bon La Fontaine, essayant de comprendre sur le tard les règles qu'il avait appliquées, ou qu'il avait cru appliquer, sur le terrain. Ils admirent aussi la docilité avec laquelle, tout galonné qu'il soit, il a consenti à se mettre à la remorque d'un simple commandant d'artillerie, aujourd'hui lieutenantcolonel, qui l'a endoctriné et qui a obtenu ainsi pour ses théories, sorties de la graine d'épinards, l'appui d'une plume blanche et d'une double rangée de feuilles de chêne.

Chose singulière, ces défenseurs du général de Négrier reconnaissent la fausseté des doctrines dont il s'est fait le champion, et, en même temps qu'ils proclament sa haute valeur morale, depuis son loyalisme politique. jusqu'à son humilité, ils avouent qu'ils n'ont qu'une confiance médiocre dans la rectitude de son esprit et qu'ils désapprouvent ses conceptions.

Or, pour ma part, je suis porté à croire qu'il y a beaucoup de vrai dans les idées qu'il a publiées, et, si je m'explique qu'elles puissent s'allier à l'étroitesse d'esprit, à la myopie intellectuelle que je viens d'essayer de caractériser, c'est parce que je sais que ces idées ne sont pas de lui et

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