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Vous les accusez d'asservir la liberté religieuse, et vous avez mille fois raison. Mais vous, qu'avez-vous fait pour l'affranchir? qu'avez-vous fait pour le Dieu de vos pères ? qu'avez-vous fait de cette Eglise qu'il a prise pour épouse, qu'il vous a donnée pour mère? qu'avez-vous fait de ce zèle, de ce dévouement, de ce courage dont il a déposé les germes heureux dans votre cœur, et dont il estime l'offrande plus haut que tous les holocaustes d'ici-bas?

Trois ou quatre d'entre vous ont combattu pour tous : vous les avez regardés faire comme si ce n'était pas de vous qu'il s'agissait; et vous avez recommencé à blâmer, à censurer, à critiquer, en ayant soin de vous dérober, je ne dis pas seulement à tout danger, mais à toute peine, à toute gêne, à tout sacrifice.

De quel droit, par exemple, feriez-vous un reproche à M. Guizot de ne pas faire pour vous ce que vous ne savez pas faire pour vous-mêmes? Il n'est pas catholique comme vous et ne croit pas à l'Eglise, à ses droits, à ses immortelles destinées, comme vous; il n'est pas, selon une expression désormais parlementaire1, de ceux qu'on confesse, comme beaucoup d'entre vous; au fond, il ne s'est jamais engagé à rien qu'à étudier et à respecter les faits. Vous, au contraire, vous êtes tenus, strictement tenus et obligés de faire tout ce qui vous est humainement possible pour le bien de l'Eglise et du prochain, c'est-àdire de la société et de l'Etat; vous êtes strictement tenus de consacrer à cette œuvre tout ce qu'il a plu à Dieu, dans son infinie miséricorde, de vous donner de fortune, de loisir, de capacité; et qu'avez-vous fait pour remplir cette obligation?

Quoi! ces hommes politiques, les uns protestants, les autres rationalistes, seraient tenus d'être justes, vigilants, dévoués, persévérants pour vous, de braver les préjugés, de compromettre leur influence, de jouer leur existence politique pour votre bien!

Discours de M. Dupin aîné, 19 mars 1844.

Et vous chrétiens, vous catholiques, vous ne seriez obligés à rien !

A eux d'avoir du courage pour vous, de lutter contre les passions, les préjugés, les difficultés de tout genre pour votre avantage. A vous de les regarder faire, de juger les coups et de ne vous exposer à rien !

Mais ce serait la plus sanglante des injustices, si ce n'était la plus ridicule des illusions.

Oui, cela est vrai, le gouvernement est tenu d'observer la Charte, de veiller aux droits et à la liberté de chacun; mais vous êtes tenus bien plus strictement encore de l'y exciter, de l'y contraindre, de peser sur lui de tout le poids que devraient vous donner votre nombre, votre conviction et votre courage.

Où sont les insensés qui croiraient au dévouement volontaire, au désintéressement chevaleresque des gouvernements de nos jours? En dehors de la foi catholique, ces vertus-là ne sont guère possibles. Chez les gouvernements catholiques euxmêmes, quand il y en avait, combien de fois se sont-elles rencontrées ?

On connaît et on admire ces grandes et salutaires réformes que vient de conquérir l'Angleterre. Mais serait-ce par hasard le pur amour de la justice qui a porté sir Robert Peel à émanciper les catholiques en 1829, à abolir la législation des céréales en 1846? Tout le monde sait qu'il n'en est rien. Sir Robert Peel a commencé par combattre de toutes ses forces, pendant vingt et trente ans de sa vie, les mesures qu'il a fait triomphalement passer depuis ; et pourquoi les a-t-il fait triompher? Uniquement parce que, d'une part, les catholiques irlandais, après un siècle de torpeur, sont devenus la grande difficulté de l'Angleterre1; parce que, de l'autre, les ligueurs ont payé de leurs poches plusieurs millions avec lesquels ils ont fondé d'innombrables journaux, entretenu un mouvement colossal, et

Expression de sir Robert Peel, lorsqu'il a repris le pouvoir en 1840. * Partisans de la ligue contre les lois des céréales: Anticornlaw league.

XV.

battu en brèche, par les seules armes de la discussion, l'édifice de l'oligarchie agricole. Oh! alors, sir Robert Peel a trouvé sans peine dans l'arsenal de la justice et de la raison d'admirables arguments en faveur de la liberté religieuse, de la liberté des échanges, en un mot de tout ce qu'il avait combattu jusquelà à l'aide de la routine et des préjugés, et aux applaudissement des hommes à préjugés et des hommes de routine.

Tous les ministres éminents, y compris M. Guizot, feront de même quand ils y seront contraints. M. Guizot, qui nous combattait sans réserve en 1844, a déjà fait bien du chemin pour en venir où il est en 1846. Que dis-je, M. Guizot? mais M. Thiers, lui-même, redevenu ministre, fera le même progrès, si vous savez l'y contraindre. N'a-t-il pas dit bien haut, dans un de ses discours de cette année: Je suis le très-humble serviteur des faits? C'est assez dire qu'il sera le vôtre, si vous le voulez et quand vous le voudrez.

Soyez seulement un fait au lieu d'être une ombre, un bruit ou une ruine.

Mais à tout cela l'électeur catholique, le citoyen catholique, tel que l'a façonné l'éducation politique et religieuse de notre temps, a une réponse toute faite, ou plutôt une foule de réponvoici :

ses que

« Nous ne sommes pas en Angleterre, mais en France; ce qui se fait de l'autre côté du détroit ne peut pas se faire ici. Je ne vais pas aux élections parce que je ne me suis pas fait porter sur la liste électorale; et je n'ai pas voulu être sur la liste parce que cela m'aurait fait aller au jury. D'ailleurs, qu'irais-je faire au milieu de tous ces gens de mauvaise compagnie qui vendent ou qui achètent des consciences? Précisément au moment où F'on va faire les élections, j'ai à prendre les bains de mer avec ma femme et mes enfants. On le sait bien : je ne me mêle de rien; je ne suis pour rien dans tout ce qui se fait ; je ne m'occupe que de mes petites affaires; je ne sais pas ce qu'on me veut. Ces agitateurs catholiques commencent à m'ennuyer con

sidérablement. Tout cela ne mènera à rien. Tant que M. Guizot sera ministre, la corruption débordera ; je ne veux pas être sa dupe. D'ailleurs, le mal se guérira par son propre excès. Advienne que pourra. Et puis, si après tout ce gouvernement se consolide, il faudra bien une carrière pour mes enfants; et le gouvernement est le maître de cette carrière. Si Henri V revenait, tout s'arrangerait; mais, en attendant, si je fais de la peine à mon sous-préfet, mon fils pourrait bien être refusé au baccalauréat. Quant à moi, je reste dans mon coin; je m'occupe d'améliorer mes terres, d'augmenter ma fortune, de préparer la dot de mes enfants. On me parle sans cesse des devoirs du père de famille : les voilà, ces devoirs; je les remplis de mon mieux. Encore une fois, que me veut-on? Je fais mes Pâques; je fais maigre le vendredi et le samedi ; je ne donne aucun scandale; je me renferme dans les devoirs de mon état. »

Cela dit, le cœur froid, l'esprit distrait et la bourse soigneusement fermée, l'électeur catholique déplie d'une main dédaigneuse quelque journal plus ou moins religieux qu'il laisse tomber bientôt, parce que les feuilletons n'en sont pas assez amusants pour distraire son oisiveté.

Insensés! qui ne voient pas que cette odieuse nonchalance les condamne à vivre en France comme vivent les voyageurs anglais à Boulogne, en Touraine ou ailleurs, sans autre droit que celui de leur richesse; jouissant de la douceur du climat, du soleil, des routes, des eaux, de la sécurité matérielle qui les entoure, mais étrangers à tous les droits, indifférents à tous les devoirs qui constituent la patrie.

Vous avez cependant un besoin impérieux des garanties sociales, dont vous abandonnez la direction et l'emploi à des mains étrangères et quelquefois hostiles. Ah! si vous viviez comme les solitaires d'Égypte, dans des cavernes, sans autre nourriture que des dattes, on concevrait ce fier dédain du milieu social où vous êtes placés. Mais il vous faut au contraire toutes les ressources et tous les raffinements de la société civilisée de nos jours: des gendarmes pour veiller sur vos person

nes et vos biens; des tribunaux pour défendre votre droit de propriétaire contre ceux qui aimeraient fort à partager avec vous; des chemins de fer pour vous transporter comme le vent de votre maison de ville à votre maison de campagne; des tarifs de douane pour protéger le placement des produits de vos terres ou de vos usines. Il vous faut absolument tout cela, et mille choses encore, qui composent le mécanisme compliqué de notre organisation sociale et sont l'objet de la préoccupation quotidienne des pouvoirs publics. Et vous croyez qu'il vous est permis en conscience de jouir en paix de tous ces bienfaits, par cela seul que vous payez exactement vos contributions (ce qui vous serait du reste imposé par la force)? Vous croyez qu'une fois la quittance du percepteur reçue vous êtes libres de consacrer exclusivement votre activité et votre intelligence à tapisser un appartement ou à construire un équipage ? et que vous êtes dispensés de payer en outre à la société, quels que soient ses chefs, pour prix de tant de biens et de tant de soins, le tribut de votre capacité, de votre dévouement, de votre vigilance, et, s'il le faut, de vos fatigues et de vos dangers?

Hélas! oui; ils le croient et ils agissent en conséquence.

Ah! s'il fallait à ces Français trop nombreux qui tiennent une si piteuse conduite; à ce restant de vieille noblesse qui met sa gloire à rivaliser de luxe avec nos parvenus de la banque, sans y réussir; à cette jeunesse étiolée qui n'a de viril que la barbe; à tous ces lâches catholiques, à tous ces indignes Français qui voient sans honte trahir la religion et la patrie; s'il leur fallait un drapeau pour le métier qu'ils font, à coup sûr il faudrait leur donner pour enseigne ce sudarium dont parle l'Évangile, cet ignoble fourreau dans lequel le serviteur inutile et paresseux ne sut qu'enfouir les trésors que son maître lui avait confiés pour les faire valoir. De ore tuo te judico, serve nequam... Et · inutilem servum ejicite in tenebras exteriores; illic erit fletus et stridor dentium.

« Je me renferme dans les devoirs de mon état! » Voilà encore ce qu'on entend dire chaque jour à d'excellents catholi

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