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effet, le minimum des peines correctionnelles est six jours de prison et seize francs d'amende. Celles de simple police ne dépassent pas cinq jours de prison et quinze francs d'amende, et, en général, la loi ne prononce pas une peine appartenant à la fois à ces deux catégories. L'infraction prévue par l'art. 14 est de la compétence des tribunaux correctionnels, puisque le maximum de la condamnation peut être de quinze jours de prison et cinquante francs d'amende, mais le minimum descend jusqu'aux peines de simple police. La loi ne s'est pas conformée, en cela, aux règles du droit pénal; c'est seulement quand les tribunaux correctionnels sont autorisés à admettre les circonstances atténuantes qu'ils peuvent prononcer une condamnation inférieure à six jours de prison et 16 fr. d'amende, mais il faut que l'application de l'art. 463, du Code pénal ait été formellement autorisée, ce qui n'existe pas ici. Nous sommes loin de blâmer l'innovation introduite par cet article 14, nous regrettons même que, dans les articles précédents, la loi de 1822, puisqu'elle n'a pas autorisé l'application de l'art. 463, n'ait pas cru devoir abaisser davantage le minimum des peines prononcées et laisser au juge une plus grande latitude. L'extrême sévérité d'une loi en rend souvent l'application difficile et procure l'impunité aux coupables.

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492. L'avortement volontaire a été considéré, dans tous les temps, comme un crime des plus graves, dénotant, chez son auteur, une profonde immoralité : grave scelus est partús abactio. Cependant, bien que l'infanticide et l'avortement aient, en général, le même mobile, notre loi pénale fait une grande différence pour la répression de ces deux crimes. L'infanticide est puni de mort par l'art. 302 du Code pénal, tandis que l'article 317, qui prévoit l'avortement, est ainsi conçu :

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Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violences, ⚫ ou par tout autre moyen, aura procuré l'avortement d'une femme « enceinte, soit qu'elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclua sion.

« La même peine sera prononcée contre la femme qui se sera proa curé l'avortement à elle-même, ou qui aura consenti à faire usage « des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet, si l'avorte«ment s'en est suivi.

« Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que « les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens, « seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps, dans le • cas où l'avortement aurait eu lieu... »

DUBRAG.

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Nous n'avons pas à nous occuper ici de la culpabilité de la femme qui s'est prêtée aux manœuvres abortives pratiquées sur sa personne, pas plus que des moyens de découvrir les preuves du crime (1); nous examinerons seulement l'intervention du médecin, du chirurgien, du pharmacien, de la sage-femme, et l'aggravation qui résulte de leur qualité.

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493. La seule question importante qu'ait soulevée cet article, en ce qui concerne les médecins et pharmaciens, est celle de la tentative. Quand un médecin ou un pharmacien a pratiqué des manœuvres abortives sur une femme, mais que l'avortement ne s'en est pas suivi, la peine est-elle encourue ? La Cour de cassation juge l'affirmative.

Aux termes de l'article 2 du Code pénal:

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« Toute tentative de crime qui aura été manifestée par un com<< mencement d'exécution, si elle n'a été suspendue ou si elle n'a « manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la « volonté de son auteur, est considérée comme le crime même. »

Et l'article 3 ajoute :

« Les tentatives de délits ne sont considérées comme délits que • dans les cas déterminés par une disposition spéciale de la loi. »

Il suit de là que toute tentative de crime est punie comme le crime lui-même et qu'il n'y a pas d'exception, à la différence des tentatives de délits, qui ne sont punies qu'autant que chaque loi réprimant l'infraction l'a formellement exprimé.

De ce principe posé ainsi d'une façon absolue par le Code pénal, la jurisprudence a conclu que la tentative d'avortement devait être punie comme le crime lui-même. C'est ce qu'a jugé la Cour de cassation par plusieurs arrêts dans lesquels elle n'a pas invoqué d'autres motifs, et plusieurs de ces décisions ont été rendues contre des médecins.

Il est donc admis, par la Cour suprême que la tentative existe, en matière d'avortement. Une distinction est faite en ce qui concerne la femme, en raison des termes du même alinéa de l'article 317, les manœuvres que cette femme a employées ou auxquelles elle a consenti n'étant punies, quant à elle, qu'autant que l'avortement s'en est suivi.

Pour la tentative commise par les tiers, la Cour de cassation la

(1) V. les monographies de Tardieu et de Brillaud-Laujardière sur l'avorte ment provoqué, et les traités de médecine légale de Briand et Chaudé, Casper, Hofmann, Legrand du Saulle, cités suprà, p. 203.

fait tomber sous l'application des articles 317 et 2 du Code pénal. En ce qui concerne les médecins, il semblerait naturel de les faire bénéficier de la même exception que la femme, puisque le troisième alinéa porte que les médecins, chirurgiens, etc., qui auront procuré les moyens de l'avortement, seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps, dans le cas où l'avortement aurait eu lieu. L'article punit la femme, si l'avortement s'en est suivi. C'est bien la même chose.

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494. Mais voici comment la jurisprudence a interprété le troisième alinéa : si l'avortement a eu lieu, le crime est complet, l'aggravation de peine sera appliquée au médecin ; si l'avortement n'a pas été consommé, ce n'est plus qu'une simple tentative, et alors l'aggravation disparaît, le médecin n'est plus passible que de la peine simple de la réclusion.

Le premier arrêt que nous connaissions sur la matière fut rendu dans les circonstances suivantes :

Par arrêt de la chambre des mises en accusation, du 14 août 1817, Marie-Jeanne Besnard, veuve Sévin, et Pierre Martoury avaient été renvoyés devant la Cour d'assises comme accusés, la veuve Sévin du crime d'infanticide, et Martoury de complicité de ce même crime. Bien que l'arrêt de renvoi et l'acte d'accusation ne portassent sur aucun autre chef, le président des assises posa au jury les questions suivantes :

1o Marie Jeanne Besnard, veuve Sévin, est-elle coupable d'avoir, au commencement de novembre 1816, commis volontairement et avec préméditation un homicide sur un enfant du sexe féminin dont elle venait d'accoucher?

2o Pierre Martoury est-il coupable de s'être rendu complice de cet homicide?

3o Pierre Martoury est-il coupable d'avoir tenté de procurer l'avortement de la femme Sévin par une violence exercée sur elle?

Sur la première question relative à la veuve Sévin, la réponse du jury fut affirmative. Sur la deuxième question, relative à Martoury (complicité d'infanticide), la réponse fut : non, l'accusé n'est pas coupable. Enfin, sur la troisième question, concernant la tentative d'avortement, le jury répondit : oui, l'accusé est coupable.

La veuve Sévin fut condamnée, le 3 septembre 1817, pour infanticide, aux travaux forcés à perpétuité, et Martoury, pour complicité d'avortement, à sept années de réclusion.

Martoury forma un pourvoi en cassation, en se fondant sur la fausse application de l'art. 317 du Code pénal; contravention à

l'article 2 du même Code; violation des articles 241 et 271 du Code d'instruction criminelle.

En ce qui concerne les deux premiers moyens, la Cour jugea

ainsi :

«Attendu que la disposition de l'art. 2 du Code pénal, conçu en termes généraux, ne peut être restreinte que dans le cas et pour les crimes à l'égard desquels la loi a exclu son application, soit en termes formels, soit par des dispositions inconciliables avec cette application;

« Qu'il n'y a point, dans le Code pénal, de disposition qui porte expressément que la tentative du crime d'avortement ne sera point considérée et punie comme si le crime avait été consommé;

« Que, relativement aux dispositions de ce Code qui pouvaient affranchir la tentative de ce crime de l'application du susdit art. 2, parce qu'elles seraient inconciliables avec cette application, l'art. 317, qui a prévu et puni le crime d'avortement, doit être entendu et exécuté dans le sens qui résulte clairement de son texte;

<< Que cet article se compose de trois dispositions distinctes et indépendantes les unes des autres ; que la première punit de la réclusion quiconque aura procuré, par quelque moyen que ce soit, l'avortement d'une femme enceinte, qu'elle y ait consenti ou non; que, dans cette disposition, aucune expression n'exclut implicitement l'application du susdit art. 2 du Code pénal sur la tentative;

«Que la deuxième est relative à la femme qui se procure à ellemême l'avortement ou qui consent à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet; qu'à son égard, pour qu'il y ait lieu à la peine de la réclusion, il faut que l'avortement ait été effectué; que cette condition laxative modifie évidemment la loi générale en faveur de la femme enceinte qui tente de commettre sur elle-même le crime d'avortement, et lui rend inapplicable l'art. 2 du Code pénal; que le législateur a eu des motifs graves pour traiter avec indulgence les personnes du sexe enceintes, lorsque le crime n'a pas été consommé ;

Que la troisième disposition a pour objet les pharmaciens et les officiers de santé qui font usage de leur art pour procurer des avortements; que si les moyens par eux indiqués ou employés ont été sans effet, la loi n'aggrave pas pour eux la peine; ils restent dans la classe commune de ceux qui tentent de procurer les avortements, et comme eux ils ne sont punis que de la réclusion, d'après la première disposition de l'art. 317, combiné avec l'art. 2 du Code pénal;

« Que si, au contraire, par l'effet des moyens par eux indiqués ou administrés, l'avortement a été opéré, le législateur déploie contre eux une plus grande sévérité et les punit de la peine plus rigoureuse des travaux forcés à temps; qu'en jugeant donc que la peine de la réclusion devrait être prononcée contre un individu reconnu coupable d'une tentative d'avortement sur une femme enceinte, la Cour d'assises du département de Seine-et-Marne a fait une juste application de la première disposition des articles 2 et 317 du Code pénal;

« D'après ces motifs, Rejette, etc... (1). »

Cet arrêt à peine rendu fut l'objet des critiques unanimes des jurisconsultes (2). Bourguignon exprimait l'espoir que la Cour de cassation changerait sa jurisprudence; elle y a au contraire persisté (3). Nous ne pouvons que joindre nos modestes protestations à celles de tant d'auteurs éminents.

Laissons de côté l'immoralité du fait, personne ne la conteste; mais cette considération est insuffisante pour motiver une répression que, selon nous, la loi n'autorise pas et n'a pas voulu autoriser. C'est dans l'article 317, dans son texte, dans son esprit, dans les motifs qui l'ont dicté, qu'il faut chercher les raisons de décider.

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L'article 317 punit seulement l'individu qui a procuré l'avortement; il s'agit donc d'un avortement consommé. Mais, dit-on, l'article 2 est général et s'applique indistinctement à tous les crimes; l'article 302 punit l'assassinat, le parricide, l'infanticide, l'empoisonnement, quand ces crimes ont été consommés, et pourtant on n'a jamais refusé de faire à la tentative de ces mêmes crimes l'application de l'art. 2 du Code pénal, pas plus qu'aux vols qualifiés, aux incendies volontaires, etc.

Cela est vrai, et si notre article 317 était conçu en termes généraux comme ceux qui prévoient et punissent tous ces crimes, il serait puéril de discuter l'assimilation; mais il n'en est pas ainsi. La loi, dans l'article 317, a entendu exclure la tentative de toute criminalité, puisqu'elle a pris soin de l'exprimer formellement dans les deuxième et troisième alinéas. Pour nous, il est clair que la femme est punie pour avoir employé ou permis de pratiquer sur sa personne des manœuvres abortives, si l'avortement s'en est suivi; les médecins, chirurgiens, pharmaciens sont punis pour avoir donné leur concours à ces manœuvres, dans le cas où l'avortement

(1) Cassation, 16 octobre 1817. P. chron.

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2. ChauRauter, Dr. crim. T. 2,

(2) Bourguignon, Jurisprud. des Codes orim. T. 3, p. 291, no veau et Hélie, Théor. du C. pén. T. 4, n° 1218. p. 30. Hans, Observ. sur le projet de C. pén. belge. T. 2, p. 225. Trébutien, Cours de dr. crim. T. 1er, p. 101. Legraverend, Législ. crim. T. 1er, chap. 2, 121 et 122. Carnot, Comm. sur le C. pén., sur l'art. 317, no 3. Le Selfyer, Dr. crim. T. 1er, n. 31. Chauveau, Code pén. progressif, p. 283. Boitard, Leçons sur le Code pén., p. 57. Boyron, Code pén. expliqué, sur l'art. 2. Morin, Rép. de dr. crim., v° Avortement, n° 10. Duverger, Manuel des juges d'instr. T. 1er, no 15. Harel, Revue de dr. fr., année 1849, p. 210. Contrà, Favard de Langlade, Rép.,

Orfila, Méd. lég. T. 1er, p. 483.

vo A vortement. - Devergie, Méd. lég. T. ler, p. 666. - Sébire et Carteret, Encyclop. de dr., vo Avortement, n. 15. Massabiau, Man. du proc. du roi. T. 2, no 1263.

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