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vient du milieu où il se tient. S'il montait dans la sphère de l'idéal, il ne sait pas comme son horizon s'agrandirait, comme sa vue s'étendrait et s'épurerait son regard.

Après le duel, de M. Sicard, c'est-à-dire, après que deux hommes, souvent amis la veille, se sont mis en face l'un de l'autre, l'épée à la main, en présence de quatre personnes qui assistent à cette scène de meurtre, comme à une cérémonie, et se sont appliqués, de toutes leurs forces et de tout leur esprit, à s'enlever la vie. L'un, subitement, est atteint, le sang coule abondamment de sa poitrine; on s'empresse, on le soutient pâle et chancelant, on va l'étendre dans cette voiture dont le cocher ému ouvre la portière et, un peu plus loin, l'autre, le vainqueur, presque aussi pâle et ému, tremblant et épouvanté de sa victoire, se détourne avec horreur et repentir aussi, espérons-le. C'est alors que l'on comprend l'insanité, la fureur du duel, que la vérité apparaît et qu'on se dit : « J'ai commis un crime, j'ai tué un homme! » Ces pensées viennent devant ce tableau, composé et exécuté avec sentiment et talent: c'est une œuvre d'art et un ouvrage moral.

On ne peut en dire autant du tableau intitulé : Désespéré, par M. Teissier, représentant un malheureux artiste qui s'est suicidé et est étendu là, sans vie, après avoir crevé sa toile, où il n'a pu réussir à fixer le rêve de sa pensée. On dit que ce tableau reproduit la scène de dénouement d'un livre de M. Zola. Je ne lis pas M. Zola; il m'a suffi d'avoir lu quelques pages de deux ou trois de ses romans pour que j'évite désormais de me salir l'esprit et les yeux. Ce tableau suffirait pour me consoler d'ignorer ses livres le trait qu'il représente n'est propre qu'à inspirer le découragement et la lâcheté. Moralement, d'ailleurs, et en fait, il est faux : le jeune homme qui se sent un vrai talent ne se tue pas.

:

Je signale, en passant, un autre triste tableau, la Folle, par Mile Robiquet : une pauvre jeune fille, le visage pâle, les yeux égarés, effrayant, par ses questions, de petits enfants qui la regardent, interdits, et rendant rêveur le spectateur, qu'il soit ignorant ou qui se demande, sans la trouver, l'explication de ce

savant,

mystère, la folie.

Entre tous ces tristes sujets, un des plus lugubres est certainement celui intitulé: les Tueuses d'enfants, par un peintre Autrichien,

M. Ambros, qui a composé son tableau d'après un texte de Diodore de Sicile. Il représente un grand mur nu, contre lequel sont rangées des femmes qui tiennent un enfant entre leurs bras; en face, la foule les contemple avec curiosité et horreur. Ce sont les mères qui ont tué leurs enfants, et c'était la punition que leur infligeait la loi en Egypte elle les condamnait à tenir leur enfant mort trois jours et trois nuits en public. On comprend ce qu'un tel sujet a de dramatique et on peut dire de philosophique. Quelles pensées, quels sentiments, quels souvenirs, quelle douleur, quels remords, ce supplice devait-il éveiller dans le cœur de cette mère non pas seulement rappelée à l'idée de son crime, mais serrant contre elle, contre son sein, la preuve de ce crime, la victime même, et quelle victime! son propre enfant, celui qu'elle a mis au monde, qu'elle a nourri et à qui elle a, de ses mains, ôté la vie qu'elle lui avait donnée! Et au supplice moral vient s'ajouter le supplice matériel: il n'est pas d'une heure, mais de plusieurs jours, pendant lesquels le corps de ce petit être se décompose, se désagrège, tombe en pourriture et en infection. On se demande comment la mère qui retient embrassé cet enfant qu'elle a étouffé, peut résister à une telle épreuve, comment elle ne tombe pas épuisée, anéantie de souffrance, d'épouvante et de désespoir. Aussi, dans le tableau du peintre Autrichien, plusieurs de ces misérables femmes sont-elles affaissées, agenouillées, étendues sur le sol, n'en pouvant plus, à demi mortes. Ce tableau, éclairé d'un chaud soleil d'Orient qui projette de grandes ombres, est d'un effet puissant, il vous arrête et vous fait réfléchir.

V

Il faut bien mentionner les tableaux qu'on peut appeler médicaux, l'un de M. Brouillet : une Expérience d'hypnotisme, à la Salpêtrière, grande toile où M. Charcot disserte froidement, compendieusement et doctoralement, sur le cas d'une pauvre femme à demi nue dont il va jouer, comme on joue du piano, en présence d'une assemblée de personnages du parti républicain, qu'on reconnaît, qu'on nomme, et qui sont venus à l'hôpital se donner cette distraction, voir torturer une malheureuse femme endormie; comme dit M. Diafoirus : « Cela fait toujours passer une heure ou deux. » Le public, lui, est moins amusé, et regarde d'un œil indifférent ces messieurs radicaux et le docteur aux cheveux rejetés en arrière, — coiffure

ordinaire des hommes de génie, comme l'on sait, et ne voit guère là qu'une réclame pour un savant, qui produit bien des phénomènes, mais qui ne sait pas les expliquer.

Même observation pour la scène d'opération du docteur Péan, qui, lui aussi, disserte longuement et non sans pédantisme : tout cet étalage chirurgical ne peut avoir d'attrait que pour les carabins; il répugne de croire que les vrais savants aiment à être ainsi mis en scène et comme sur les tréteaux.

Mais voici une histoire vraie et particulièrement poignante, qui nous est racontée dans deux grandes toiles, par M. de Payer (un Autrichien aussi), deux épisodes de l'Expédition de Franklin au pôle arctique. La première nous met en face de l'équipage perdu au milieu des glaces, sans espoir de retrouver la mer libre et s'efforçant de revenir, si c'est possible, à la côte, à pied, en traînant ce qui lui reste de vivres dans son dernier canot; et il faut voir ces malheureux marins attelés à leur pesant fardeau et le tirant à travers les blocs de glaces accumulés. Quels efforts! quel courage! L'un d'eux, en avant, vrai type d'Anglo-Saxon, figure carrée, aux traits fortement arrêtés, au front dur, aux lèvres serrées, le câble sur son épaule, courbé en deux, tire avec une vigueur qu'il semble que rien ne peut abattre et vaincre. Quand on a vu cette figure si ferme, si déterminée, on ne l'oublie pas; cet homme veut vivre, il ne pense à rien qu'à sauver sa vie et il y donne toutes les forces de son corps et de son âme; tout son être est concentré dans ce regard attaché à l'horizon où est le but et dont il a comme la vision. En regardant ces braves gens qui tentent avec tant d'énergie d'échapper à la mort qui les suit, on fait des vœux pour eux, et l'on espère, tant ils semblent encore forts et résolus, qu'ils s'en tireront et seront sauvés.

Non! ils seront vaincus, vaincus par le froid et par la faim, et c'est ce que nous montre le second tableau. Ici, plus d'efforts, plus de tentatives courageuses, désespérées tous sont morts, tous sont étendus, raidis par le froid, près du canot vide, échoué sur les glaces amoncelées! Tous, non! il en reste un encore, exténué, décharné, couché dans le canot, mais qui se redresse, d'un dernier effort, et, de sa voix à demi éteinte, et de son bras affaibli, tâche d'éloigner un ours blanc qui s'avance pour se repaître des corps de ses compagnons. Horreur! lui bientôt aussi, il tombera accablé et sans force sur ces cadavres entassés et expirera, dans la solitude

morne et silencieuse du champ de glace qui s'étend jusqu'à l'horizon. Victimes lamentables de l'insatiable curiosité de l'homme, qui ne veut pas s'arrêter qu'il n'ait connu tout son domaine! Ils ne seront pas les derniers, les pauvres matelots de Franklin; bien d'autres périront, disparaîtront, sans qu'on sache où ils sont tombés, à la recherche de ce passage du Nord-Ouest, qu'on trouvera un jour, mais qui est si souvent impraticable, que la découverte en deviendra inutile; et l'on reconnaîtra enfin que tous ces sacrifices ont été vains, et qu'il n'est pas permis d'immoler à d'hypothétiques spéculations de la science tant de vies d'hommes élevés avec tant de peine, tant d'âmes créées par Dieu pour le plus sublime but.

On a besoin, après des scènes si affreuses, qui vous serrent le cœur, de trouver quelque sujet simple et paisible qui vous accueille et vous sourie: voici le Curé, de M. Muesnier, lisant son bréviaire, le soir, au coucher du soleil, dans son jardin; un bon vieux curé de campagne et un vrai jardin de curé, où il n'y a pas grand'chose : deux ou trois carrés de légumes, et, çà et là, quelques fleurs qui ont poussé comme par hasard. Un moment, il interrompt sa lecture et jette un regard sur son petit jardin; et, dans ce vieux prêtre assis, et dans ce calme et doux regard, dans ces traits fatigués, cette figure ridée, on lit toute sa vie, ses travaux, ses pensées. Vous l'avez vu, vous le connaissez, ce vieux prêtre de village : c'est cet admirable curé de campagne, sur qui Lamartine a écrit une de ses pages les plus noblement inspirées et les plus vraies : l'apôtre, le père, le soutien, le consolateur de tout un pays, qui n'a jamais eu d'autre but, rêvé d'autre gloire que de rendre de simples cultivateurs bons chrétiens et de les mener à Dieu; qui s'est consacré tout à eux, donnant son temps, son peu d'argent, ses pensées, son âme, pauvre au milieu de ses pauvres, pendant toute une vie de sacrifices et de dévouement, et sans jamais se dire, sans se douter presque que ces sacrifices et ce dévouement, chaque jour renouvelés, soient des vertus! Voilà ce qu'on lit sur la figure usée de ce vieux prêtre, si bien représenté par M. Muesnier, et qui le fait vénérer.

VI

Je vous indiquerais bien, pour vous distraire, la Visite électorale, par M. Michelina, où l'on voit un infortuné candidat à la députa

tion, -au conseil municipal tout simplement peut-être, venant solliciter la voix d'un paysan, et qui, assis sur le bord de sa chaise, tandis qu'il flatte le chat du logis, est examiné d'un air sournois par l'homme et perfidement interrogé par la femme, oui, par la femme, futée et défiante, qui lui pose plus d'une question embarrassante, et qui ne le lâchera pas, et le tourne et le retourne, pour savoir ce qu'il veut au fond, ce monsieur, et finira par dire à son mari, quand il sera parti: «< Tiens, vois-tu, moi, je n'en donnerais pas deux liards de celui-là!... » Mais, vraiment, si la tenue et la mésaventure probable du candidat prêtent à rire, je ne sais s'il n'est pas plus attristant d'assister aux humiliations que cherchent, supportent et empochent tous ces piètres personnages sans esprit, sans talent, sans idées et sans pudeur, que l'opinion publique a dédaigneusement affublés du nom de politiciens!

me

Au moins, on sourit, et c'est un agréable tableau, cet Intérieur de ferme Bretonne, que visite Me la Marquise, par M. H. Mosler, et où tout le monde a l'air aimable, la fermière attentive et empressée, le vieux fermier qui ôte si respectueusement son chapeau devant M. le Marquis, la vieille mère qui rassure la petite fille pressée contre elle et éplorée à la vue de tout ce beau monde en robes à paniers et en habits dorés. Malgré un peu d'apprêt, c'est un tableau qu'on a plaisir à regarder, et qui fait aimer les honnêtes gens à qui l'on vous a présenté.

Enfin, si vous voulez un peu plus que sourire, jetez, avant de sortir, un coup d'œil, près de la porte, sur cette petite toile, un Drame à l'âge de pierre, par M. Jamin : l'habitant d'une de ces cavernes dites pré-historiques et auxquelles il faut plus ou moins croire, rentrant chez lui, et y trouvant installé, qui? un superbe lion, couché sur le sol, les pattes en avant comme un chat, la tête droite et qui le regarde en face, sans colère, il faut l'avouer, mais aussi sans paraître faire d'avances au maître du logis, pour l'inviter à entrer! Quelle que soit la perspective ouverte par une telle entrevue il faut s'attendre à tout on ne peut ne pas s'égayer un peu, en voyant la stupéfaction du pauvre troglodyte (c'est ainsi que les archéologues nomment nos ancêtres, sans en savoir plus que nous), ainsi évincé par un hôte auquel il est difficile de faire entendre raison. Il est réellement si stupéfait, à l'aspect du Seigneur à la grosse tête, comme l'appellent les Arabes, que l'on fait moins d'attention au danger qu'à sa mine piteuse et étonnée, et l'on a plus

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