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contre l'acheteur ou la masse de ses créanciers ; car on pourroit dire à Jean:

>> Êtes-vous créancier de la chose, ou de la personne?

» Si c'est de la chose, la perte doit être pour vous; si c'est de la personne, vous ne devez conserver aucun droit sur la chose, qui ne vous appartient pas plus qu'à nous, créanciers dans la même classe et pour les mêmes causes.

» Sur cette facture qu'il a reçue, sur le connoissement ou la lettre de voiture qui constatent l'expédition, et qui investissent l'acheteur des risques, et par conséquent de la disposition de la chose, l'acheteur peut en opérer la vente. Cette vente n'est-elle pas légitime? Fout-elle être contestée? Si le tiers acheteur de bonne foi en a payé le prix, peut-on le déposséder en faveur du premier vendeur, lui qui a payé sur la foi d'un contrat positif et de titres qui lui donnent des droits incontestables? Peut-on le constituer créancier d'un failli dont il n'a pas voulu suivre la foi, auquel il n'a jamais fait de crédit, parce que le vendeur qui a suivi cette foi, qui s'est dessaisi de la chose, qui en a transmis la propriété, n'a pas été payé?

» Ces cas peuvent souvent arriver. On sait que les connoissemens sont quelquefois à ordre, au

porteur; on sait à quelle complication de procédure ils peuvent donner lieu; et nous avouons qu'il est difficile de les prévoir d'une manière assez positive pour que la loi ne soit pas elle même nn nouveau motif de procès, de discussions et d'incidens.

être

» Celui qui expédie des marchandises pour être payé sans jour ni terme, ne doit-il pas admis à la revendication?

» Nous pensons que, dans l'hypothèse que notre principe auroit reçu la sanction législa tive, ces cas ne se présenteront jamais,

» Ici le vendeur n'a pas de confiance dans l'acheteur, puisqu'il ne lui accorde aucun terme; ou il exigera une caution, ou il fera une expédition conditionnelle, la facture en portera l'expression; le connoissement ou la lettre de voiture contiendront une clause dans laquelle les conditions seront rappelées, ou, mieux encore que tout cela, le vendeur n'expédiéra que par l'entremise d'un tiers chargé, en faisant la livraison, d'en exiger le payement.

» Il nous semble qu'une loi n'est bonne qu'autant qu'elle est parfaitement juste; qu'une loi surla re vendication ne peut être absolue, qu'elle ne peut être fondée que sur des motifs d'exception, qu'elle ne peut avoir qu'une application éventuelle,

et que l'équité, qui doit former son principal caractère, ne peut s'allier avec les chances du hasard nous croyons qu'elle ne peut disposer contre les intentions de ceux qu'elle régit; qu'elle n'est pas faite pour accorder des faveurs, mais pour régler la justice.

que

» Il est constant que celui qui vend à crédit, n'a jamais la pensée de conserver un privilége sur la chose dont il se dessaisit ; que cette prétention ne peut être l'effet d'un accident fortuit; nous dirons plus, elle est injuste, car elle dénature les véritables caractères d'un contrat de vente en matière de commerce; elle favorise sans motifs un créancier contre son intention primitive; elle dispose en sa faveur d'une chose qui ne lui appartient plus; elle favorise les collusions, les fraudes, au préjudice d'autres créanciers aussi légitimes, et qui sont au même rang.

>> Dans un malheur commun, tout doit être commun; c'est, comme nous l'avons dit, un naufrage dont les débris appartiennent à tous les intéressés sans exception.

>> S'ils ont tous couru les mêmes risques, pourquoi celui d'entre eux dont les effets sont sauvés, prétendroit-il à une faveur? Est-ce par ses soins qu'ils sont sauvés? A-t-il mieux prévu la tempête que tous les autres ? N'a-t-il pas,

comme eux, confié ses intérêts à la même personne? Doit-il être seul dédommagé dans cette perte commune, s'il n'a rien fait pour la prévenir, pour l'empêcher? Ou plutôt, s'il l'avoit pu prévoir, auroit-il couru ce danger?

Est-il juste, nous a-t-on dit, que celui qui a livré sa marchandise à un débiteur failli, et qui la retrouve entière, ne puisse la reprendre ? C'est son bien, c'est sa chose, elle doit lui être rendue.

» Celui dont la marchandise se trouve vendue on dénaturée, celui qui a prêté son argent, sont-ils moins malheureux? Leur intérêt est-il moins respectable aux yeux du législateur ? Est-ce parce que la marchandise se trouve là, que la créance du vendeur a changé de natare? Ne pourroit-on lui dire elle ne s'y trouve que parce qu'elle étoit de mauvaise qualité, tandis qu'un autre créancier de même date, et plus souvent encore d'une date postérieure, dont la marchandise est vendue ou engagée parce qu'elle étoit de meilleure qualité, n'aura aucun privilége et sera ́ plus maltraité.

» Si, au lieu de la totalité de l'objet revendiqué, il ne s'en trouvoit qu'une foible partie, se borneroit-on à une action sur la chose? Non:

on ne parleroit que des droits sur la personne, et l'on se constitueroit créancier du prix.

» Lorsque les usages s'accordent avec la justice, ils sont toujours constans et invariables; mais lorsqu'ils sont fondés sur des préférences ou des faveurs, ils varient à l'infini, parce que les prétentions ont toujours quelques motifs spécieux qui leur donnent une apparence de justice.

» Tel est le droit de revendication; il est permis, dans certains lieux, jusque sur les derniers lambeaux de la marchandise qui en fait l'objet; il s'étend, pour la matière première, jusqu'aux étoffes fabriquées; dans d'autres, il est moins absolu, il ne porte que sur les objets entiers et non entamés; ailleurs, il n'est admis que pour ce qui est sous balle et sous corde ou en futailles, enfin il n'est nulle part le même.

» Nous avons cru devoir persister dans le principe adopté par la commission, sans nous dissimuler néanmoins combien cette persévérance de notre part pouvoit paroître téméraire aux yeux de quelques personnes; mais nous avouons que plus nous avons discuté cette question, plus nous nous sommes convaincus de l'impossibilité d'admettre des reven

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