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nature des motifs qui ont engagé le gouvernement français à suspendre cette ratification; je crois de mon devoir de ne rien dire et de ne rien faire de nature à soulever la moindre difficulté... J'espère que le temps viendra bientôt où les causes, auxquelles je ne fais pas aujourd'hui plus ample allusion, cesseront d'exister, et alors le traité recevra la conclusion que vous désirez. Sir Robert Peel s'exprima avec les mêmes ménagements, à la Chambre des communes. M. Guizot se déclara satisfait : « La rédaction du protocole, écrivait-il à M. de Sainte-Aulaire, le 27 février, est bonne, et la situation aussi bonne que le permettent les embarras qu'on nous a faits....... Je compte sur le temps et sur l'esprit de conciliation. Nous n'avons qu'à nous louer du langage tenu à Londres dans le parlement; il a été plein de mesure et de tact. Je craignais une discussion qui vint aggraver ici l'irritation et mes embarras. Je puis, au contraire, me prévaloir d'un bon exemple. J'en suis charmé. » On était, sans doute, encore loin du but; mais on venait de franchir, sans accident, un premier défilé.

VIII

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En ajournant la ratification à une date indéterminée, M. Guizot s'était flatté que l'opinion, bientôt apaisée ou distraite, se montrerait moins rebelle à accepter la convention tant soit peu mitigée. Mais les semaines s'écoulaient, et rien ne venait réaliser cet espoir tout au contraire, un observateur clairvoyant et de sang-froid écrivait, en avril 1842 : « Les esprits se montent de plus en plus sur la question du droit de visite... On a rarement vu un entraînement aussi unanime et qui, dans son exagération, ait autant l'apparence d'un mouvement national'. » Dans tous les journaux de la gauche et de la droite légitimiste, ce n'était qu'un cri contre l'Angleterre et contre le

1 Journal inédit du baron de Viel-Castel.

cabinet qui livrait à cette dernière les intérêts et l'honneur de la France. Certaines feuilles conservatrices, comme la Presse, ne se montraient pas moins véhémentes contre la convention. Le Journal des Débats, à peu près seul, se mettait en travers de ce mouvement; encore n'osait-il pas défendre trop ouvertement une cause si impopulaire. On racontait au public, avec indignation, les prétendus outrages commis par les croiseurs britanniques contre nos bâtiments de commerce. Le plus souvent, les faits étaient faux ou ridiculement exagérés; mais l'état de l'opinion ne permettait guère de faire accueillir une rectification. Dans les deux Chambres, l'opposition, secondée quelquefois par M. Molé et par ses amis, saisissait toutes les occasions de recommencer le débat et de remettre M. Guizot sur la sellette 1. Le ministre faisait tète, avec un talent admiré de ceux mêmes qu'il ne parvenait pas à convaincre. Sans retirer ce qu'il avait dit du fond même de la question, il s'exprimait sur la ratification en termes qui lui paraissaient devoir satisfaire la Chambre : « Quand le moment de la ratification est arrivé, disait-il le 28 février, la couronne, d'après les conseils de son cabinet, et du ministre des affaires étrangères en particulier, a chargé son ambassadeur à Londres de déclarer qu'elle ne croyait pas devoir ratifier maintenant le traité; elle a dit de plus qu'elle ne pouvait faire connaître à quelle époque elle croirait pouvoir le ratifier: enfin, elle a fait des réserves et proposé des modifications au traité. » Si nettes que fussent ces paroles, l'opposition ne s'en contentait pas affectant d'y soupçonner une équivoque et de redouter une collusion avec l'Angleterre, elle harcelait le ministre, le pressait d'interrogations malveillantes, le contraignait à renouveler ses déclarations, à les préciser, à s'engager plus avant dans le sens d'un refus de ratification, à atténuer la réserve qu'à l'origine il avait faite du droit de la couronne 2.

1 Discussion du 28 février, des 12 et 20 mai 1842, à la Chambre des députés; du 11 avril et du 18 mai, à la Chambre des pairs.

2 Le 11 avril 1842, à la Chambre des pairs, M. Guizot insistait sur ce qu'il avait déclaré à l'Angleterre « ne prendre aucun engagement, ni direct ni indirect,

Telle était la singulière difficulté de la tâche du ministre qu'en s'occupant de contenter son parlement, il risquait de blesser les puissances avec lesquelles il négociait. Il lui fallait toutes les qualités de souplesse, de sûreté et de mesure, qu'avait acquises sa parole, pour se mouvoir en équilibre entre ces exigences contradictoires. Son langage n'était pas moins surveillé à Londres qu'à Paris : seulement, c'était à un point de vue absolument opposé. On venait d'en avoir la preuve dans un incident étranger au droit de visite. Le 19 janvier 1842, au cours de la discussion de l'adresse, M. Guizot, répondant à ceux qui lui reprochaient d'avoir « abaissé » la politique française, avait rappelé l'énergie victorieuse avec laquelle, à ce moment même, était conduite la guerre d'Afrique; il ajoutait qu'en Europe personne n'avait plus la pensée de contester notre établissement algérien, et il citait à l'appui une dépêche de M. de Sainte-Aulaire, en date du 4 octobre 1841. D'après cette dépêche, notre ambassadeur à Londres ayant eu occasion de déclarer à lord Aberdeen que « la sûreté de nos pos

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de ratifier purement et simplement le traité à aucune époque quelconque ". Le 17 mai, dans la même assemblée, après avoir rappelé que « la ratification actuelle avait été positivement refusée », il ajoutait « Maintenant on a dit, non pas dans cette enceinte, mais ailleurs : C'est la présence des Chambres qui a empêché, qui empêche encore la ratification du traité; quand les Chambres seront éloignées, le traité sera ratifié. Messieurs, je serais tenté de prendre ces paroles pour une injure à mon bon sens... Ce n'est point votre présence matérielle, c'est votre opinion, c'est votre sentiment, c'est votre vœu connu qui influe sur le gouvernement et qui influera tout aussi bien après votre départ qu'aujourd'hui. » Le 20 mai, à la Chambre des députés, le ministre reconnaissait qu'il s'agissait non seulement de modifier la convention de 1841, mais de revenir sur le principe du droit de visite : Ne croyez pas, disait-il, quand le débat s'est élevé, quand j'ai vu devant moi l'opinion des Chambres et du pays, que j'aie méconnu sa gravité : j'ai bien vu qu'il y avait là autre chose encore que le traité de 1841; que les conventions de 1831 et de 1333 allaient aussi être mises en question. » Toutefois, il veillait à ne pas se laisser entraîner trop loin; il disait dans le même discours : " On m'a demandé Avez-vous l'intention de ratifier le traité tel qu'il est? J'ai répondu catégoriquement: Non, et je renouvelle ma réponse. Maintenant on me dit : Ratifierez-vous jamais un traité quelconque, quelle que soit la situation, quelles que soient les modifications qu'on pourrait y apporter? Comment voulez-vous que je réponde? C'est absolument impossible... Il y a là une multitude d'éléments que le temps peut féconder, dont le temps peut faire sortir quelque chose de raisonnable, quelque chose d'utile et d'honorable pour le pays, et en même temps quelque chose de favorable à l'abolition, à la répression de la traite. Voilà ce que nous voulons, ce que nous pouvons attendre, ce qu'il est de notre devoir d'attendre. »

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sessions d'Afrique était pour nous un intérêt de premier ordre », le secrétaire d'État lui avait dit : « Je suis bien aise de m'expliquer nettement avec vous sur ce sujet; j'étais ministre en 1830, et, si je me reportais à cette époque, je trouverais beaucoup de choses à dire; mais je prends les affaires en 1841 et telles que me les a laissées le précédent ministère : je regarde donc votre position à Alger comme un fait accompli contre lequel je n'ai plus à élever aucune objection. » Un tel langage était d'autant plus remarquable de la part de lord Aberdeen, que, dans l'opposition, il avait pris l'habitude de faire, chaque année, une motion pour protester contre notre conquête africaine. Aussi, après avoir lu à la Chambre la dépêche de M. de Sainte-Aulaire, M. Guizot s'écriait-il fièrement : « Est-ce là, messieurs, un symptôme de notre abaissement? >> L'opposition n'avait rien à répondre. Mais à peine le discours fut-il connu outre-Manche qu'il y souleva une tempête. Les journaux de lord Palmerston provoquèrent l'indignation nationale contre le ministre britannique qui osait sanctionner l'usurpation française en Afrique. Interpellé à ce sujet, le 4 mars 1842, sir Robert Peel contesta, non la loyauté, mais l'exactitude du rapport fait par M. de Sainte-Aulaire; et lord Aberdeen luimême fit, le 7 mars, à la Chambre des lords, la déclaration suivante : « Je n'ai jamais dit que je n'avais pas d'objection à faire contre l'établissement des Français à Alger, mais que je n'avais pas d'observation à présenter à ce propos, et que mon intention était de garder le silence. J'ai compris qu'après dix années toute objection serait aujourd'hui déplacée. De ce que je n'exprime aucune objection, il ne s'ensuit pas que je n'aie l'idée d'aucune. » La distinction était un peu subtile et trahissait quelque embarras; mais, en France, les journaux d'opposition Y virent surtout la gêne qui pouvait en résulter pour le gouvernement français; ils firent grand bruit de ce qu'ils appelaient un démenti outrageant, et proclamèrent que nos ministres étaient trop humbles pour oser le relever. Si délicat que fût le sujet, M. Guizot jugea nécessaire de s'en expliquer sans retard à la tribune, et il saisit l'occasion du débat sur les

fonds secrets, le 10 mars 1842. Avec un heureux mélange de fermeté et d'adresse, il sut à la fois donner satisfaction au sentiment français et cependant ne pas prolonger de tribune à tribune une controverse internationale qui se fût vite envenimée. « Que lord Aberdeen, dit-il tout d'abord, ait déclaré qu'il n'avait pas d'objections ou d'observations à faire, j'avoue que la différence des deux mots me touche peu. » Puis il ajouta : « Il y a déjà dix ans, messieurs, le premier peut-être, j'ai dit à cette tribune : La France a conquis Alger, la France gardera sa conquête. Les paroles que j'ai dites, il y a dix ans, je les répète aujourd'hui; tout le monde les répète ou est bien près de les répéter. Mais vous ne pouvez vous étonner qu'il ait fallu du temps pour en venir là; vous ne pouvez empêcher que les conquêtes aient besoin de temps... Eh bien, les paroles de lord Aberdeen à l'ambassadeur du Roi n'ont pas été autre chose que la reconnaissance de la sanction progressivement donnée par le temps à notre établissement en Algérie; paroles prononcées à bonne intention, dans un esprit de bonne intelligence et de paix, pour n'être pas obligé de reprendre, au bout de dix ans, les mêmes réclamations, les mêmes contestations qui, en 1830, avaient été si vives. Ce sont ces explications spontanément données qui m'ont été loyalement transmises par l'ambassadeur du Roi à Londres. Qu'il y ait dans les termes telle ou telle variante, peu importe. Entre hommes sérieux et sensés, c'est du fond des choses qu'il s'agit. Je ne viens pas élever ici une discussion de mots; je constate un grand fait, c'est que la France a conquis Alger, et que déjà douze ans de possession ont amené l'homme d'État qui avait élevé contre cette occupation les objections les plus graves, les réclamations les plus vives, à prendre, en rentrant aux affaires, une attitude toute différente et à garder sur cette question le même silence qu'avait aussi gardé son prédécesseur. Quand un temps encore plus long se sera écoulé,... vous verrez le cabinet anglais, comme les autres cabinets, comme la Porte ellemême, faire des pas nouveaux, et la sanction la plus complète, l'aveu de tout le monde viendra consommer notre établisse

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