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IMPRIMERIE ADMINISTRATIVE DE PAUL DUPONT

41, Rue J.-J.-Rousseau (Hôtel des Fermes).

ARCHIVES

PARLEMENTAIRES

DE 1787 A 1860

RECUEIL COMPLET

DES

DÉBATS LÉGISLATIFS & POLITIQUES DES CHAMBRES FRANCAISES

IMPRIMÉ PAR ORDRE DU CORPS LÉGISLATIF

SOUS LA DIRECTION DE

MM. J. MAVIDAL ET E. LAURENT

SOUS-BIBLIOTHÉCAIRES DU CORPS LÉGISLATIF.

DEUXIÈME SÉRIE (1800 à 1860)

TOME XIV

DU 3 DÉCEMBRE 1814 AU 9 JUILLET 1815

D
OMNINTABOR

PARIS

LIBRAIRIE ADMINISTRATIVE DE PAUL DUPONT

RUE J.-J.-ROUSSEAU, 41 (HÔTEL DES FERMES).

1869

10-10-1990

PREMIÈRE RESTAURATION.

ANNÉE 1814-1815.

ANNEXE

A la séance de la Chambre des pairs du 3 décembre 1814.

Nota. Par suite de la clôture de la discussion du projet de loi relatif aux biens non vendus des émigrés, divers orateurs se trouvèrent dans l'impossibilité de prononcer des discours préparés pour la circonstance. Nous donnons ci-dessous les opinions qui ont été imprimées par ordre de la Chambre des pairs et qui sont mentionnées dans la table des procès-verbaux de 1814.

Ces opinions sont celles de M. le duc de La Force; M. le comte Cornudet; M. le duc de Choiseul; M. le duc de Brissac et M. le duc de Rohan.

M. le duc de La Force. Messieurs, la loi qui est soumise à votre examen a été longuement et savamment discutée dans la Chambre des députés des départements. Plusieurs amendements ont été proposés; ils étaient dictés par les principes de la plus pure morale, et j'ose le dire, par ceux de la plus stricte équité. Ils ont été écartés par de grands mots, parmi lesquels figurait celui du bien public, mot dont se sont toujours servi ceux qui, ne voulant point donner de raisons qui n'eussent peut-être paru que des sophismes, trouvaient plus simple de s'envelopper du manteau du patriotisme, tandis que le foud de leur cœur ne renfermait que des germes d'ambition qu'ils voulaient satisfaire aux dépens de ce même public dont ils paraissaient étre les plus ardents avocats.

Je m'interdirais d'émettre mon opinion, s'il devait, par le fait des amendements proposés, rentrer en ma possession la plus légère portion des biens considérables dont les troubles révolutionnaires m'ont privé; mais je le déclare, je ne possédais point de rentes de la catégorie de celles qu'un des amendements voulait qu'elles fussent restituées. Je n'avais point de revenus assis sur les canaux, et nul hospice ne s'est enrichi de mes dépouilles : c'est donc dégagé de tout intérêt personnel que j'ose élever la voix pour conjurer les membres composant cette respectable assemblée de descendre dans le fond de leur cœur, et de prononcer avec cette noble franchise qui faisait la base du caractère des anciens pairs de France, que nous représentons.

Quel était le but des amendements proposés? De rendre à des familles malheureuses tout ce qui n'était point aliéné par des contrats que les

T. XIV.

lois regardent comme sacrés. De quel motif se sert on pour s'y opposer? L'intérêt d'un grand nombre. Eh! depuis quand, Messieurs, a-t-on pu consacrer en principe que l'intérêt d'une masse plus considérable de citoyens, telle peu juste que fût leur cause, devait faire pencher la balance? Dans quel abiine affreux nous entraînerait un pareil code de législation? Il ne manquait plus que de dire que le salut de la patrie en dépendait. Patrie! mot sacré et révéré, qui n'a jamais retenti avec plus de force dans aucun cœur français que dans le mien, que de fois ton auguste nom n'a-t-il pas été profané!

La Chambre des députés, ce corps dont je me fais honneur d'avoir fait partie, était au moment de suivre l'impulsion, j'ose le dire, de sa conscience, lorsqu'une voix s'élève et fait une réflexion dictée certainement par un bon motif, mais qui a eu des suites bien funestes. Il invoque la présence du ministre des finances. Que pouvait le ministre ? Répondre | Donnez-moi les moyens d'être juste, et je les adopterai avec empressement. La précipitation avec laquelle la discussion a été fermée n'a pas permis de faire une réflexion qui se présentait bien naturellement c'était que l'on pouvait ajourner à deux ans, à trois ans s'il le fallait, les restitutions; et certes, l'extinction des traitements viagers aurait, avant cette époque, fourni abondamment au déficit opéré par lesdites restitutions. Voilà donc le plus grand obstacle levé, le seul que l'on pouvait raisonnablement mettre en avant. Que restet-il donc, Messieurs? Le tableau déchirant pour des cœurs vraiment français, d'un nombre considérable de familles, recommandables par leur dévouement à la cause royale, à laquelle, par un bienfait de la Providence, la nation française entière est rattachée; de voir, dis-je, ces mêmes familles plongées dans la plus affreuse détresse. Et qui de nous pourrait voir d'un oil sec ces infortunés, obligés, pour subsister, de solliciter leur admission dans ces mêmes maisons enrichies de ces mêmes biens dont la violence leur a ravi la propriété ?

Un motif bien puissant doit nous engager à

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admettre les amendements proposés par la Chambre des députés: c'est que nous soulagerons d'un fardeau bien pénible le coeur paternel de notre monarque chéri, en améliorant le sort d'une partie bien intéressante de sa grande famille.

Je vote donc pour que les biens invendus, de telle nature qu'ils soient, et à telles branches d'ad inistration qu'ils aient été appliqués, soient restitués à leurs anciens propriétaires ou ayants cause, sauf a retarder la jouissance des revenus des susdites propriétés pendant deux ans, ou trois ans s'il était nécessaire.

M. le comte Cornudet (1). Messieurs, telle est l'importance de la discussion qui nous occupe, qu'elle semble appeler nominativement à la tribune les autres membres qui s'y sont présentés dans les autres discussions étendues qui ont eu lieu depuis l'ouverture de la session.

C'est dans ce sentiment que je viens offrir à la Chambre mes réflexions. Puissent-elles être jugées par elle digne de l'attention qu'elle y aura prêtée! Messieurs, la loi proposée, soumise à votre délibération, est une suite naturelle de la restauration de la monarchie française, dans l'auguste famille des Bourbons.

En rappelant Louis sur le trône de ses ancêtres, la patrie a embrassé ses enfants qui s'étaient éloignés d'elle pendant ses déchirements.

L'expression de cette loi est toutefois néces

saire.

Des lois de guerre ont été portées contre les biens des Français absents, qui n'avaient pas obéi à la sommation de la patrie, de rentrer dans son sein; de la patrie! peut-elle être hors de lanation?

Ces lois ne sont pas, comme on l'a dit, cette confiscation que la Charte, article 66, abjure comme peine du Code criminel.

Dans ses dissensions politiques parvenues jusqu'à la dernière exaltation, une partie de la nation abandonne le territoire. Va-t-elle s'établir paisiblement sur une autre terre, elle forme un autre peuple et perd tout droit au premier sol, par une abdication volontaire.

Poussée par l'ardeur d'une vengeance juste ou injuste, va-t-elle accroître les bataillons des gouvernements voisins, pour combattre et soumettre la nation avec laquelle elle a fait scission; elle remet ses droits de copropriété du sol au sort de la guerre, que les traités, titres de l'existence des Etats et de sa forme, fixent d'une manière irrécusable.

Quel gouvernement prépondérant de l'Europe n'a pas reconnu celui qui, sous diverses dénominations, a été établi en France jusqu'à la Restauration? Car cette ligue qui s'est formée depuis les traités de Bale, de San-Lorenzo, de Naples, de Campo-Formio, de Lunéville, d'Amiens, de Presbourg, de Tilsitt, de Vienne, contre qui étaitelle, en effet, conjurée? Contre l'oppresseur de l'Europe. Sa déchéance du rang suprême où il avait été élevé, prononcée dans cette enceinte et reçue par les puissances alliées comme gage de la paix, en est le témoignage éclatant, en même temps qu'elle met en haute évidence leur reconnaissance de l'exercice subséquent des droits de la nation, dans le rappel de ses anciens princes. C'est, comme frappés de la résolution de leur droit de propriété, soumis à l'hommage de la souveraineté sociale, que la loi a réuni au do

(1) La Chambre ayant fermé la discussion après avoir entendu M. le maréchal duc de Tarente, cette opinion n'a pas été prononcée. (Note de M. le comte Cornudet.)

a

maine de l'Etat les biens des Français qui avaient abandonné le territoire; qu'elle les à mis à la disposition du gouvernement pour pourvoir à la dépense nationale, et à sa propre couservation qui s'y lait.

Cette législation, qui n'est pas propre à nos discordes, que l'on retrouve à diverses époques de l'histoire, qui se retrouvera dans tous les changements politiques, dont la force sera la dernière raison; cette législation doit cesser avec le retour que la patrie reconnaît de ces Français qui, avec plus ou moins de constance, ont entouré le Roi dans son éloignement de la nation, de leur dévouement et de leurs espérances.

Tel est le but de la loi proposée. Mais quel doit en être l'effet? Il ne peut être absolu, saus injure pour la nation.

Ces dispositions ne peuvent pas s'étendre aux aliénations qui ont eu lieu. La Charte les consacre formellement, article; 9 et quelle propriété plus parfaite pourrait, dans aucun temps, étre offerte à la foi des acquéreurs? Où se trouverait une garantie civile, si la loi elle-même, qui est la volonté sociale, n'en était pas une!

La loi proposée doit se renfermer dans le délaissement des biens demeurés libres aux mains de l'Etat. Nous reconnaissons tous cette limite, ne pouvant être franchie par la législature.

Mais en reconnaissant cette limite, l'on reproche au projet de loi de ne pas comprendre la remise de tout ce qui serait à remettre dans l'espace de la barrière.

L'article 8. dit-on, excepte mal à propos de la remise les biens dont il a été disposé en faveur des hospices et maisons de charité, en remplacement de leurs biens aliénés, ou qui ont été. donnés en payement des sommes qui leur étaient dues par l'Etat.

Ce remplacement, cette donation en payement, affirme-t-on, ne peuvent être considérés, dans la réalité, que comine un simple ordre d'administration, intervenu pour assurer avec plus de régularité le service public.

Le projet de loi n'ordonne pas la remise des rentes et créances constituées sur l'Etat, dont on convient d'ailleurs que la reconstitution ne devrait avoir lieu qu'au tiers, en conformité de l'arrêté du mois de vendémiaire an VI.

Les canaux de navigation ne sont sortis des mains de l'Etat que par des formes qui ne sont qu'une illusion. L'article 10 du projet de loi doit être retranché, ou au moins sensiblement modifié.

Ce sont là les reproches principaux que le fond du projet de loi éprouve, et que je m'attacherai principalement à discuter.

Les secours que les malheurs et l'indigence trouvent dans les hôpitaux, dans les maisons de charité, que sont-ils, Messieurs? L'acquittement de la dette de l'humanité, de la dette de l'homme envers l'homme, et non du citoyen envers le citoyen. Le corps politique ne doit que des moyens de travail; he confondons pas la diverse

nature des devoirs.

Les établissements d'humanité sont donc essentiellement des établissements purs communaux; ils participent sans doute à la protection publique comme tout ce qui existe dans l'Etat, mais cette protection est une tutelle, et non une dominité.

Il est pieux de donner aux hôpitaux, aux maisons de refuge de l'infortune; il est réprouvé de donner au gouvernement, au prince : quel serait le juste motif de ce don?

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