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DROIT ROMAIN

DE L'HYPOTHÈQUE CONVENTIONNELLE OU TACITE

DU BAILLEUR D'IMMEUBLES

CHAPITRE PREMIER.

I.

UTILITÉ DES SURETÉS RÉELLES.

Dans les premiers siècles de Rome, le créancier ne pouvait exercer une action directe sur les biens de son débiteur, et les voies d'exécution sur la personne étaient les seules qui lui fussent ouvertes. Le défaut de payement à l'échéance donnait au créancier le droit de s'emparer du débiteur, de le retenir en prison, de le réduire à une sorte d'esclavage; et telle était la force du contrat que le créancier pouvait procéder à cette exécution de son autorité privée.

Les patriciens se laissèrent aller à de tels excès que Tite-Live put dire avec beaucoup de vérité que leurs maisons devenaient, dans les temps de misère, de véritables prisons qui regorgeaient de débiteurs : « Gregatim quotidie de foro adductos dici et repleri vinctis no

biles domos: et ubicumque patricius habitet ibi carcerem privatum esse.» Une loi fut même jugée nécessaire pour réprimer les abus du patriciat; elle fixa le poids des fers à quinze livres et la nourriture de chaque détenu à une livre de farine par jour.

La plèbe gémissait ainsi sous le poids de l'oppression, quand un acte odieux du créancier Papirius vint mettre le comble à l'indignation. Les tribuns organisèrent une émeute dont la loi Pœtilia fut le prix. Désormais, le débiteur ne put engager sa personne, et cette loi fut en quelque sorte, pour les plébéiens, une ère de liberté : « velut aliud initium libertatis factum est. »

L'engagement des personnes devint de jour en jour moins fréquent, et les droits des créanciers sur le patrimoine de leur débiteur prirent plus d'extension. Déjà, sous le système des actions de la loi, existait au profit de l'Etat ce qu'on appelle la bonorum sectio. On procédait à cette vente lorsque la confiscation avait été décrétée contre un citoyen, ou lorsqu'une condamnation prononcée au profit du Trésor public n'était pas acquittée.

La bonorum venditio n'est qu'une extension prétorienne de la sectio; elle existait au profit de particuliers non payés de ce qui leur est dû, et le patrimoine du débiteur était attribué en bloc au plus fort enchérisseur.

La distractio, c'est-à-dire la vente de tels ou tels objets déterminés, vint enfin supplanter la bonorum venditio, et resta en vigueur dans le droit de Justinien. Ce système était déjà usité du temps des jurisconsultes, mais dans des cas exceptionnels, notamment dans le cas où le débiteur est une personne illustre à qui l'on veut épargner l'infamie qu'entraînait la bonorum venditio.

Ainsi s'établissent les droits des créanciers sur les biens du débiteur. Leur garantie est toutefois loin d'être certaine, et le débiteur peut diminuer son patrimoine par des aliénations ou des engagements nouveaux. L'action Paulienne donne bien un moyen de faire rescinder les actes frauduleux que le débiteur aurait consentis, mais le créancier ne peut prévenir l'insolvabilité; et quand elle est survenue, il a à craindre de la voir augmenter par de folles dépenses et par le concours de nouveaux créanciers.

Le débiteur pouvait bien présenter une caution personnelle, un fidéjusseur qui s'obligeait à remplir son engagement au cas où il ne pourrait exécuter son obligation. Mais ce n'est pas toujours chose facile de trouver un ami solvable et prêt à rendre un tel service. Force était bien de recourir à d'autres moyens également propres à rassurer le créancier contre les chances d'insolvabilité. Ce moyen consiste à donner une sûreté réelle qui lui confère un droit exclusif sur certains objets; il n'a plus à craindre ni les aliénations du débiteur, ni le concours des créanciers. Le gage ou l'hypothèque permet d'obtenir ce double résultat. Nous allons donc étudier les divers degrés que le droit romain dut franchir pour y arriver.

II.

ORIGINE DE L'HYPOTHÈQUE.

Le débiteur pouvait offrir ses biens, en garantie de son obligation, mais le droit civil n'avait à cet égard que

des institutions fort imparfaites : nous avons à distinguer trois périodes.

1° Fiducia. - A l'origine, et même encore du temps des jurisconsultes, la constitution conventionnelle de gage se faisait chez les Romains par mancipatio ou in jure cessio fiduciæ causa. Le débiteur transportait solennellement au créancier la propriété d'une chose, en lui faisant promettre qu'après avoir reçu le payement, il restituerait au débiteur la propriété de cette chose.

Le contrat de fiducie ressemble beaucoup à notre vente à réméré il y a toutefois cette différence capitale que chez nous le vendeur à réméré a une action réelle, devant laquelle tombent les actions de toutes espèces consenties par l'acheteur; tandis qu'à Rome, l'aliénateur, sous clause de fiducie, n'avait pour recouvrer sa chose qu'une simple action personnelle, qui laissait intactes les aliénations qu'il pouvait plaire à l'acquéreur de consentir. On voit de suite combien cette combinaison était vicieuse comme instrument de crédit. Elle donnait, il est vrai, une sécurité très-complète au créancier, mais elle présentait pour le débiteur de graves inconvénients. Quelque minime que fût la dette, il se trouvait obligé de renoncer à la propriété de sa chose, si grande que fût son importance. Le créancier qui, à défaut de payement, vendait ou gardait l'objet dont il était nanti, était bien tenu par l'action fiduciæ directa de restituer l'excédant de la valeur de cette chose sur le montant de la dette. Mais il pouvait arriver qu'il eût, sans attendre l'échéance du terme, vendu l'objet engagé et qu'il fût devenu ensuite insolvable. En présence de ces faits, le débiteur, privé de tout recours contre le tiers détenteur,

réduit à une action personnelle contre le créancier, était frappé d'une ruine inévitable. En dehors de cette hypothèse, dont la réalisation exige le concours de circonstances exceptionnelles, il y en a d'autres beaucoup plus simples où les intérêts du débiteur, sans être aussi gravement compromis, sont cependant atteints. Supposons, par exemple, que le créancier, après avoir reçu son payement, refuse de restituer la propriété de la chose qui lui a été transmise; le débiteur n'ayant contre lui qu'une action personnelle, ne peut obtenir qu'une condamnation pécuniaire. Comme l'action fiduciæ est une action de bonne foi (Gaïus, Co. iv, 62),il se fera tenir compte par le juge de l'intérêt matériel comme de l'intérêt d'affection qu'il peut avoir à ce que sa chose lui soit rendue (L. 54, D., 17, 1). Telle est la seule ressource qui lui est offerte; mais il lui sera impossible de triompher de la résistance du créancier, et de le contraindre directement à lui retransférer la propriété de l'objet engagé. Or, n'y a-t-il pas certaines choses dont, aux yeux du débiteur, aucune indemnité ne pourra compenser la perte ?

Malgré toutes les imperfections du premier système, la fiducia existait encore à l'époque classique; non toutefois sans avoir déjà subi de profondes modifications. Gaïus (1), en effet, nous apprend que le débiteur avait un moyen de redevenir propriétaire sans la volonté du créancier. Ce moyen, c'était l'usureceptio, sorte d'usucapion qui s'opérait par un an de possession. Elle est possible alors même que le débiteur n'a pas encore acquitté sa dette; mais il faut pour cela que le débiteur

(1) Gaïus, Inst., 11, 60.

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