la fois les loyers et la jouissance de l'immeuble, ce qui serait inadmissible. Par la même raison, le droit de relocation est acquis aux créanciers du preneur, lors même qu'une clause expresse du contrat porterait défense de sous-louer ou de céder le bail (1747). Le propriétaire ne saurait, sans injustice, se prévaloir de cette clause probibitive pour se faire attribuer la chose et le prix. Si la loi, d'ailleurs, n'avait visé que le cas où le contrat ne mentionne aucune défense, eût-elle jugé nécessaire d'accorder expressément aux créanciers, par l'art. 2102, un droit que leur conférait déjà l'art. 1166? Si notre article n'a une signification qui lui soit propre qu'à la condition d'être pris dans le sens que nous lui donnons, ce n'est pas à dire toutefois que la clause prohibitive de sous-location soit dénuée de tout effet. Le bail contient-il défense de sous-louer, le locateur peut à son choix reprendre la jouissance de sa chose en abandonnant son droit aux loyers non échus, ou se les faire payer en renonçant au bénéfice de la prohibition. Le contrat ne renferme-t-il aucune clause de ce genre, le propriétaire ne jouit plus de cette alternative; il a beau offrir de renoncer aux loyers à échoir, les créanciers, invoquant l'art. 1166, peuvent le désintéresser et relouer l'immeuble pour le restant du bail, s'ils ont l'espoir de trouver de meilleures conditions. Dans le cas où le prix de vente des meubles garnissant les lieux loués ne suffit pas à l'acquittement intégral de la créance privilégiée, les créanciers qui veulent user du droit de sous-louer la maison ou la ferme pour le restant du bail doivent, d'après l'art. 2102, payer au propriétaire tout ce qui lui serait encore dû. Faut-il exiger d'eux qu'ils payent immédiatement les loyers à échoir pour lesquels le bailleur n'a pu être colloqué par privilége? On enseigne généralement qu'ils ne sont point tenus de les payer par anticipation. Il suffit, dit-on, qu'ils procurent un nouveau locataire dont le mobilier garantisse ces loyers ou fermages, avec engagement personnel de leur part de les acquitter au fur et à mesure des échéances. Ces deux espèces de garantie sauvegarderont parfaitement les droits du propriétaire (1). Nous croyons cependant que la décision contraire, quoique trop sévère pour les créanciers, est plus conforme à la volonté du législateur. La première opinion est, selon nous, en contradiction avec le texte du n° 4 de l'art. 2102, et aux principes généraux du droit. En effet, les termes « à la charge de payer au propriétaire tout ce qui lui serait encore dû » expriment d'autant plus nettement l'idée d'un règlement complet, comme condition préalable de la relocation, qu'en accordant aux créanciers le droit de relouer l'immeuble, l'art. 2102, n° 1, ajoute « et de faire leurs profits des baux ou fermages » ; ce qui suppose qu'ils ont d'avance désintéressé le bailleur. D'un autre côté, ce dernier éprouverait de grandes difficultés pour toucher le montant de ses loyers, puisqu'il aurait pour débiteurs tous les créanciers du locataire, entre lesquels la dette se diviserait au prorata de leurs créances. Il faut enfin ne pas perdre de vue qu'il (1) En ce sens, MM. Valette, no 64; Pont, no 129; Duranton, t. XIX, n° 91; Mourlon, no 95. s'agit, non d'une sous location, mais d'une relocation que les créanciers sont autorisés à faire pour leur compte, alors même que le bail porte interdiction de la faculté de sous-louer (1). Il est vrai que, dans notre opinion, le droit de relouer pour le restant du bail sera bien souvent illusoire, car perdant l'intérêt du capital qu'ils avancent, les créanciers ne trouveront un avantage dans la relocation que si la perte d'intérêts qu'ils subissent est inférieure à l'excédant du nouveau prix de location sur l'ancien. S'ils trouvaient trop onéreux de prendre tout entière la charge du bail, ils pourraient limiter dans son exercice leur droit de relocation en le restreignant aux années à échoir dont le prix du mobilier aurait procuré le payement par avance. Cette solution évite à la décision que nous avons donnée précédemment le reproche d'injustice, qu'on pourrait être tenté de lui adresser. Il serait inique, et le législateur n'a pu admettre que le bailleur cumulât, pendant un temps, si court qu'il fût, le loyer et la jouissance de la chose ou un second loyer. M. Valette, no 64, et Duranton, t. 19, no 91, sont cependant d'une opinion contraire. La loi, disent-ils, est formelle; ce n'est que pour le restant du bail, et à la charge de payer au propriétaire tout ce qui lui serait encore dú, qu'elle accorde aux créanciers le droit de relocation. Pas plus que leur débiteur, ceux-ci ne peuvent scinder les clauses du bail et nuire aux intérêts du (1) Civ. rej., 4 janvier 1860, S., 60, 1, 17; MM. Aubry et Rau, t. II, p. 613, note 28; Desjardins, Rev. crit., t. XXIX, p. 99. propriétaire, qui a dû compter sur la durée stipulée dans le contrat. Ce système nous semble trop rigoureux pour être admis. On invoque le texte de la loi. Mais d'abord, sa disposition n'est pas exclusive comme on veut bien le prétendre. Au lieu de dire que les créanciers ne pourront relouer que pour le restant du bail, elle énonce simplement une facu!té: ils ont le droit, dit-elle, de relouer pour le restant du bail. En définitive, il s'agit d'un droit introduit en faveur des créanciers, comme une compensation au préjudice que leur cause le privilége exorbitant accordé au bailleur dont la créance les prime. Ils peuvent donc en profiter dans la limite que bon leur semble, et, par conséquent, n'en user qu'en partie lorsque leur intérêt le leur commande. Mais, dit-on, leur débiteur n'aurait pas pu scinder les conditions du bail quant à sa durée, dès lors, comment eux-mêmes le pourraient-ils? A cela on peut répondre que, par exception, la loi les investit dans l'espèce, d'un droit qui leur est propre. Le droit de relocation dont ils jouissent ne vient pas de leur débiteur, ils le tiennent de la loi. Cela est tellement vrai qu'ils peuvent l'exercer alors même que le bail contient défense de souslouer, c'est-à-dire dans un cas où leur débiteur, à supposer qu'il fût resté maître de ses droits, ne le pourrait pas. Leur droit est donc indépendant du sien. On insiste et l'on dit : les créanciers ne peuvent ainsi nuire aux intérêts du propriétaire, qui a dû compter sur la durée stipulée dans le contrat. Nous répondrons que le bailleur, en se faisant payer par privilége les loyers ou fermages non encore échus, a virtuellement renoncé à jouir de l'immeuble pendant tout le temps auquel corres pond le montant de ces loyers ou fermages, et qu'il a, par conséquent, consenti à ce que les clauses du bail fussent scindées. Ajoutons enfin que si l'on s'oppose à ce que les créanciers relouent pour un temps correspondant aux loyers payés à l'avance, on est réduit à cette alternative, ou de laisser au propriétaire, pendant ce nombre d'années, la chose et le prix, ce qui est l'iniquité contre laquelle a été imaginé le droit de relocation, ou de dire que pendant ce même temps, les lieux seront inoccupés, la maison sans habitants, ou la ferme sans exploitation, ce qui est le comble de la déraison (1). CHAPITRE IV DU DROIT DE SUITE ÉTABLI EN FAVEUR DU BAILLEUR. Ancien droit français. Dans les pays de droit écrit, on conserva la règle du droit romain, d'après laquelle le bailleur avait une hypothèque tacite sur les meubles garnissant la maison louée. En pays coutumier, comme les meubles n'étaient pas, du moins en général, susceptibles d'hypothèque, le droit du locateur se transforma en une sorte de privilége de gage sur les objets introduits dans la maison ou dans la ferme. Dès lors, con (1) MM. Pont, no 129; Desjardins, l. c., p. 100; Aubry et Rau, t. II, p. 614, note 29; Persil, 2102, § 1, no 18; Dalloz, loc. cit., no 18; Mourlon, no 96; Rev. crit., t. XVIII, p. 212; Cass. rej., 4 janvier 1860. |