Page images
PDF
EPUB

formément aux principes admis en matière de gage, la conservation du privilège dut dépendre de celle de la possession.

Si les meubles étaient déplacés de la maison louée, avec le consentement exprès ou tacite du bailleur, ils devenaient libres, car cet acquiescement était regardé comme une renonciation au droit dont ils étaient affectés (1).

Le gage du locateur survivait au déplacement qui avait été opéré d'une manière irrégulière et clandestine. Ce détournement frauduleux était regardé comme une sorte de vol ou de larcin, et le créancier gagiste pouvait alors exercer la revendication: mais le rétablissement dans la maison louée de l'objet déplacé devait avoir lieu dans un très-bref délai. L'usage, à défaut de la coutume, avait restreint ce délai à huit jours pour les maisons et à quarante jours pour les métairies, dans le ressort d'Orléans.

Le propriétaire pouvait, dans le temps prescrit, suivre par voie de saisie ou par voie d'action, les meubles enlevés de son hôtel ou métairie, même contre un acheteur de bonne foi ou contre un créancier gagiste. Ces meubles, ayant contracté une espèce d'hypothèque lors de leur introduction dans la maison ou dans la ferme, le locataire ne les possédait qu'avec cette affectation spéciale, et n'a pu les transporter à un tiers que grevés de cette charge. On ne peut, en effet, transférer à son ayant-cause plus de droits qu'on n'en a soi-même. Tel était l'avis de Pothier et de Dumoulin en sa note sur l'article 125 de

(1) Pothier, Louage, nos 229 et 265.

la coutume du Bourbonnais, etiam emptoribus bonæ fidei, modo intra breve tempus (1).

Pour ne pas entraver les opérations commerciales, on refusait le droit de revendication contre celui qui avait acheté les meubles dans une foire ou dans un marché. On ne l'accordait pas également lorsque l'achat avait eu lieu à l'encan, à la suite d'une saisie pratiquée par un créancier, ou à la requête des héritiers du locataire, sans que le bailleur eût fait opposition (2).

Code Napoléon. - Le dernier alinéa de l'art. 2102, 1o, reproduit sur ce point la doctrine de l'ancien droit. Il devait en être ainsi une fois admis le privilége, il fallait le garantir par le droit de revendication. C'était le seul moyen d'assurer son existence, puisqu'elle est subordonnée à la condition que les meubles garnissent les lieux loués. En principe, il est vrai, les meubles n'ont pas de suite par privilége; mais, grâce à une exception introduite en faveur du locateur, leur détournement est considéré comme un vol de son droit de gage, et de même que le propriétaire d'un objet volé peut le reprendre en quelques mains qu'il soit (art. 2279), de même le locateur est autorisé à reprendre son gage partout où il le trouve, et jusque dans les mains des tiers acquéreurs de bonne foi. L'art. 2102, 1°, consacre cette solution dans les termes suivants : « le propriétaire peut saisir les meubles qui garnissent sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils en ont été déplacés sans son consentement, et il conserve sur eux son privilége, pourvu qu'il ait fait la reven

(1) Pothier, Louage, no 261.

(2) Pothier, Louage, no 265 et 266.

dication savoir, lorsqu'il s'agit du mobilier qui garnissait une ferme, dans le délai de quarante jours; et dans celui de quinzaine, s'il s'agit de meubles garnissant une maison. >>

Pour plus de clarté dans l'exposition de ce sujet, nous allons successivement étudier les trois points suivants : 1o les conditions auxquelles est soumis le droit de suite; 2o l'étendue qu'il comporte; 3° le principe qui l'a fait ́établir, et la nature qu'il faut lui attribuer.

1° Conditions du droit de suite.

Il faut d'abord que le propriétaire locateur n'ait pas consenti au déplacement des meubles qui garnissaient sa maison ou sa ferme. Que ce consentement soit exprès ou tacite, peu importe; il n'en crée pas moins une fin de non-recevoir contre toute revendication de la part du bailleur. Il s'induit de toute circonstance dénotant chez lui la pensée de renoncer à voir, dans l'objet déplacé, le gage de sa créance. Si, par exemple, le propriétaire assiste à l'enlèvement des meubles sans s'y opposer ; s'il consent le bail à une personne dont l'industrie ou la profession rendent nécessaire et inévitable l'aliénation de certains objets, il n'a pas le droit de se plaindre, puisqu'il ne peut ignorer que la nature de ces choses les destine à être aliénées.

Il faut, en second lieu, pour que l'action en revendication soit recevable, qu'elle soit intentée dans les quinze jours, lorsqu'il s'agit de meubles garnissant une maison; dans les quarante jours, lorsque le mobilier garnissait une ferme. La raison de cette différence, c'est que le

propriétaire des biens ruraux peut moins facilement. exercer sur eux sa surveillance que sur les biens situés à la ville, et que le fermier peut lui dissimuler, plus longtemps que le locataire, l'enlèvement clandestin du mobilier. Dans l'un et l'autre cas, le point de départ du délai est déterminé par la date du déplacement des meubles. Nous ne pensons pas qu'il faille suivre l'opinion de quelques auteurs qui, exceptant le cas de concert frauduleux entre le locataire et le tiers, fixent le point de départ, dans cette hypothèse, au jour où le propriétaire aurait été instruit de l'enlèvement. En présence des termes si généraux de l'art. 2102, il nous paraît difficile d'admettre ce tempérament d'équité que l'on propose. Nous le repoussons d'autant plus volontiers que les expressions mêmes de la loi semblent nous révéler que le concert frauduleux n'est pas étranger à ses prévisions.

On reconnaît en général que le créancier-gagiste, dessaisi du gage par suite d'une perte ou d'un vol, a, comme le propriétaire d'un meuble perdu ou volé, trois ans pour exercer sa revendication. Le locateur, au contraire, est astreint à revendiquer dans le bref délai de quinze ou de quarante jours. Cette différence, qui peut paraître surprenante au premier abord, a cependant plusieurs raisons d'être. Le bailleur n'a sur les meubles qu'une possession très-imparfaite; il les possède seulement en ce sens qu'il peut s'opposer à leur déplacement; en outre, comme son gage n'est pas limité à tel ou tel objet, mais qu'il s'étend sur la généralité des meubles garnissant les lieux, on doit naturellement supposer, s'il ne revendique pas dans un bref délai, qu'il considère comme une sûreté

suffisante ceux qui restent dans les lieux loués. Enfin, l'identité des objets détournés de la masse est plus difficile à constater que celle d'un ou de plusieurs corps certains, dont la nature et l'espèce ont été désignées dans un acte régulier (2074)·

2o Étendue du droit de suite.

Le droit de suite a la même étendue que le privilége dont il est le complément et la sanction, et s'exerce sur les mêmes objets.

Mais ici se présente une question. Le locateur peutil, alors que les objets laissés dans la maison ou la ferme sont suffisants pour sa sûreté, revendiquer ceux qui en ont été enlevés sans son consentement exprès ou tacite? La plupart des auteurs admettent la négative (1). Si l'on prenait, disent-ils, le gage du locateur, et son corollaire, la revendication, dans toute l'extension que ces droits semblent comporter, il faudrait aller jusqu'à dire, par une conséquence logique et nécessaire, que nul objet introduit dans la maison pour la garnir ne peut en sortir sans le consentement du propriétaire, et qu'ainsi les marchandises qui garnissent une boutique ne pourraient être vendues que sous son bon plaisir et avec sa permission. Ce serait une inquisition intolérable et une source inépuisable de procès. Il ne faut pas ainsi exagé

(1) Troplong, Hyp., n° 164; Persil, art. 2102; Favard, Rép., v Saisie-gagerie; Duranton, t. XIX, n° 103; Duvergier, Louage, t. II, no 17; Bordeaux, 11 janvier 1826.

« PreviousContinue »