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droit de suite, c'est la revendication proprement dite transportée de la propriété au droit de gage. De même que la revendication, dans son sens strict et précis, est l'action par laquelle une personne se prétend propriétaire d'une chose possédée par un tiers, et demande que possession lui en soit restituée, de même la revendication de l'art. 2102 est l'action par laquelle une personne prétend avoirun droit de gage sur une chose possédée par un tiers, et demande que la possession lui en soit restituée.

Il y a cette autre différence que dans la revendication fondée sur le droit de propriété, il faut que celui qui l'intente prouve qu'il est propriétaire, tandis qu'ici le bailleur n'a qu'une preuve à faire : c'est que l'objet revendiqué garnissait sa maison ou sa ferme à une époque qui ne remonte pas au delà de quinze ou de quarante jours à dater de sa demande; il n'est point obligé d'établir que cet objet appartenait à son locataire ou fermier.

Comme il n'est pas permis de s'introduire dans le domicile d'un citoyen, sous prétexte d'y chercher des objets sur lesquels on prétendrait avoir des droits, il ne peut être procédé à aucune saisie-revendication qu'en vertu d'une ordonnance du président, rendue sur requête; à peine de dommages-intérêts contre la partie et contre l'huissier qui aurait procédé à la saisie (art. 826, Pr. civ.).

CHAPITRE V

DU RANG QUI APPARTIENT AU PRIVILEGE DU BAILLEUr.

Ancien droit français. Le classement des priviléges

était mal établi et présentait une grande obscurité. Ainsi Basnage, en son traité des hypothèques, préfère à la créance du bailleur celle des médecins et apothicaires, pour la dernière maladie du locataire. Pothier et Duplessis sont d'un avis diamétralement opposé. Tous cependant s'accordent sur un point: ils mettent au premier rang les frais de justice, quand ils ont profité au locataire, et les frais funéraires qu'on doit arbitrer en tenant compte de la qualité du défunt. Une plus grande divergence régnait encore dans nos coutumes sur le rang que l'on devait assigner aux sommes dues pour semences, frais de récolte et ustensiles. En général le vendeur de semences ou d'ustensiles n'est préféré au bailleur que s'il s'est fait céder la priorité. Dans le ressort de la coutume d'Orléans, le laboureur qui a cultivé les terres entre la Saint-Jean et la Toussaint, est préféré au propriétaire sur le prix des grains. Partout, les moissonneurs obtiennent la préférence sur les fruits de la dernière récolte (1).

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Code Napoléon. Les priviléges dérivent de la qualité de la créance: il résulte de là que lorsque plusieurs priviléges se présentent pour concourir sur le même objet, c'est la qualité de la créance à laquelle ils sont attachés qu'il faut apprécier, pour déterminer avec justesse le rang qu'ils doivent occuper entre eux. Si, d'après leur nature, ces créances ne méritent pas une faveur égale, l'ordre de préférence sera fixé d'après la différence qu'on aura remarquée; si, au contraire, leur qualité est la même, les priviléges seront placés sur la même ligne

(1) Pothier, Louage, no 256.

et s'exerceront au marc le franc. Tels sont les principes, base de toute classification, que le législateur a consacrés dans les art. 2096 et 2097, C. Nap.

Cette théorie si simple peut cependant devenir dans l'application la source de bien grandes difficultés. Il est évident que dans la comparaison de plusieurs créances privilégiées, des dissentiments peuvent s'élever sur le rang qu'il convient d'assigner à chacune d'elles, suivant le point de vue particulier sous lequel elles peuvent être considérées. De là des classifications arbitraires et contradictoires. De là une éternelle incertitude sur le degré de faveur dont la loi a voulu faire jouir chacun des priviléges. Le législateur, en cette matière, avait un double devoir à remplir: il devait d'abord énumérer limitativement les diverses créances privilégiées; il devait ensuite déterminer l'ordre et le rang qu'elles doivent respectivement occuper dans les distributions où elles viennent en concours. La première partie de leur mission, les rédacteurs du Code Napoléon l'ont fidèlement remplie; mais il n'en est pas de même de la seconde le classement n'est que partiel et présente sur plusieurs points les plus regrettables lacunes. Ainsi la loi fixe le rang des priviléges généraux en concours avec les priviléges spéciaux sur les immeubles, et décide que les premiers auront la préférence (2105). Elle règle également le conflit des priviléges généraux entre eux (2101); mais là s'arrête son œuvre: elle se contente de donner quelques indications sur l'ordre respectif des priviléges spéciaux sur les meubles; elle ne dit absolument rien du classement des priviléges spéciaux sur les immeubles, et surtout elle ne

détermine pas l'ordre de prééminence entre la classe des priviléges généraux et celle des priviléges spéciaux sur les meubles.

Pourquoi la loi s'est-elle contentée de ces classifications partielles? Pourquoi, dans la prévoyance facile des priviléges qui peuvent entrer en concours, n'a-t-elle pas déterminé d'avance l'ordre dans lequel ils devraient être rangés ? L'absence de ces dispositions peut être considérée comme une véritable lacune. Il est des auteurs cependant à qui ce défaut de classification s'est montré comme une perfection de plus dans la loi (1). Ils se fondent sur l'impossibilité où se trouvait le législateur de prévoir le croisement des divers priviléges. Mais il est manifeste que cette impossibilité n'existe point. Ces auteurs ajoutent que la fixation du rang entre les priviléges ne rentrait pas dans le devoir de la loi; qu'un tel soin devait être laissé aux interprètes. Ce motif n'est pas plus concluant que le premier; il est condamné par la loi elle-même. En effet, en fixant dans les art. 2101, 2102 et 2103, le rang de certains priviléges, le législateur a prouvé qu'il regardait cette classification comme rentrant dans ses attributions (2).

Nous n'avons point à nous occuper ici de toutes les questions que fait naître le silence de la loi sur le classement des priviléges. La seule chose qu'il nous faille rechercher, c'est le rang qui appartient au privilége du bailleur vis-à-vis des autres priviléges spéciaux de l'art. 2102, et des priviléges généraux de l'art. 2101.

(1) Grenier, t. II, no 294; Troplong, no 29; Pont, n° 175. (2) En ce sens, M. Valette, no 108.

I

CONFLIT ENTRE CE PRIVILEGE ET LES PRIVILÉGES GÉNÉRAUX DE L'ART. 2101.

Nous sommes directement amenés, par l'étude spéciale du privilége dont nous nous occupons, à l'examen de cette question plus large du classement des priviléges spéciaux et des priviléges généraux concourant ensemble. Ce point délicat, que le législateur n'a pas pris le soin de régler, est un de ceux qui ont soulevé le plus de difficultés et donné lieu,dans la doctrine et la jurisprudence, aux plus vives controverses et aux décisions les plus opposées.

Tous les auteurs s'accordent cependant à reconnaître que les frais de justice ont le premier rang dans l'ordre des priviléges. Toute créance, de quelque nature qu'elle soit, leur cède le pas. Cette prééminence est si essentiellement juste que jamais personne n'a songé à la contester. Les frais de justice, a-t-on dit, ont pour but de constater, de conserver et de convertir en argent les meubles du débiteur, afin d'en distribuer le prix entre ses créanciers. N'est-il pas dès lors très-équitable que celui qui a fait des dépenses pour conserver et utiliser le gage commun, obtienne la préférence sur les autres créanciers, auxquels il a ainsi épargné l'avance de sommes indispensables à l'exercice et à la réalisation de leurs droits? Toutefois, ce n'est qu'autant que les frais ont profité à la masse qu'ils les priment tous sans exception; dans le cas contraire, ils ne sont point privilégiés par rapport à ceux des créanciers auxquels ils n'ont pas été utiles. C'est ainsi, par exemple, que les frais de la

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