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II.

SON CONCOURS AVEC LES PRIVILEGES SPÉCIAUX.

Le Code ne prévoit que trois hypothèses dans lesquelles il règle le concours qui peut se produire entre le privilége du bailleur et les autres priviléges spéciaux. Les conflits que la loi a réglés feront tout d'abord l'objet de nos études.

1° Conflit entre le bailleur de l'immeuble et le vendeur de meubles.

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L'art. 2102, no 4, porte que le privilége du vendeur ne s'exerce qu'après celui du propriétaire de la maison de la ferme, à moins qu'il ne soit prouvé que ce dernier avait connaissance que les objets garnissant les lieux loués n'appartenaient pas au locataire. Cette disposition est une conséquence des principes généraux qui gouvernent la possession de bonne foi relativement aux meubles. La loi suppose que le bailleur a reçu les meubles dans la croyance qu'ils étaient libres de toute charge, de toute affectation, et dans cette supposition elle lui donne la préférence sur le vendeur non payé. Il était beaucoup plus facile à celui-ci de prendre ses sûretés qu'au locateur de s'assurer que les meubles, qui, au moment de leur introduction chez lui, allaient devenir son gage, étaient libres entre les mains du preneur. Si la possession n'est point corroborée par la bonne foi, elle ne constitue alors qu'un simple fait impuissant à détruire les droits auxquels la chose était assujettie avant que le possesseur l'eût en son pouvoir. D'où cette

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règle générale que les gagistes de mauvaise foi doivent subir tous les priviléges dont ils savaient la chose grevée quand elle leur a été remise en nantissement.

C'est au moment où les objets ont été transportés dans les lieux loués qu'il faut rechercher si le propriétaire a eu ou non connaissance du droit du vendeur. Celui-ci, s'il veut conserver son privilége, agira donc prudemment en faisant une notification au bailleur, avant de livrer les meubles par lui vendus; aucun doute ne pourra s'élever alors sur la bonne ou mauvaise foi du propriétaire des lieux loués.

Observons enfin que si le bailleur trouve dans les autres meubles de quoi se faire intégralement payer, il ne sera pas recevable à gêner l'exercice du droit du vendeur, en invoquant contre lui la preférence de son privilége.

Le Code civil, dans les dispositions dont nous nous occupons ici, ne parle que du privilége du vendeur. De là est née la question de savoir si la revendication accordée au vendeur non payé doit l'emporter sur le privilége du bailleur.

D'après l'art. 2102, 4°, le locateur peut invoquer l'article 2279 et exercer son privilége sur les meubles vendus au preneur et garnissant sa maison, lorsqu'il ignore que le prix n'en a pas été payé. Ainsi le privilége du bailleur, quand il est de bonne foi, prime celui du vendeur; mais on ne peut en conclure qu'il prime aussi son droit de revendication. On le décidait ainsi dans l'ancien droit, et il y a une raison nouvelle de ne pas s'écarter encore aujourd'hui de cette solution: c'est que le délai pour exercer la revendication contre l'acheteur est

limité à huit jours et ne l'était pas autrefois. Le bailleur sera donc promptement tiré de son erreur, et cette décision, qui lui est peu préjudiciable, facilite beaucoup les ventes au comptant. La décision contraire les entraverait et pourrait causer au vendeur de meubles un très-grave dommage. Par exemple, un propriétaire loue sa maison pour vingt ans. Son locataire achète trente mille francs de meubles pour la garnir, à condition de payer comptant. L'ouvrier les transporte dans la maison louée et requiert payement; le locataire étant absent, il revient le jour même. On lui apprend que son débiteur a disparu; il se dispose à reprendre ses meubles, mais survient le propriétaire qui prétend les retenir pour gage de sa créance; ils ont touché le sol de sa maison; peu importe que ce soit pendant une heure ou pendant un mois; ils sont devenus par là même la garantie du payement de son bail. Ce n'est pas tout son bail est authentique, donc il ajoute que, d'après la loi, il a droit au payement de toute la durée. Le bail est de vingt années, il dépasse les trente mille francs en valeur; donc il absorbe et au delà le prix des meubles. Le vendeur a perdu tout droit sur eux libre à lui seulement, mais en concurrence avec tous autres créanciers du locataire, d'utiliser le droit au bail dans l'avantage commun. Le bon sens ne proteste-t-il pas contre l'iniquité d'une semblable solution?

Si maintenant nous nous reportons au texte de la loi, nous pourrons facilement nous convaincre que notre doctrine est la seule qui s'impose à l'esprit. Que trouvet-on, en effet, dans l'art. 2102, 4°? Une première disposition qui accorde au vendeur non payé un privilége

sur les meubles par lui vendus; une seconde disposition qui lui confère sur ces mêmes objets un droit de revendication; enfin un dernier paragraphe qui règle le conflit entre le vendeur de meubles et le propriétaire de l'immeuble. Mais, qu'on le remarque bien, le législateur nẹ parle ici que du privilége; il ne dit rien de la revendication. En présence de ce silence, n'est-on pas en droit de dire que le seul privilége du vendeur sera primé par le privilége du bailleur de bonne foi, mais qu'il n'en sera pas de même du droit de revendication, et que ce droit, exercé dans le délai voulu, assurera toujours au vendeur la priorité? La différence des deux droits explique d'ailleurs şurabondamment la différence de solution. S'agit-il du privilége, le vendeur est en faute visà-vis du propriétaire. Il a laissé la possession de co dernier s'asseoir, se prolonger, se fixer sur les meubles vendus; il a tacitement accepté la mise en gage. Refuser au bailleur la priorité, ce serait donc le tromper dans son attente. S'agit-il de la revendication, le vendeur, qui doit l'intenter dans le plus bref délai, n'a pas donné le droit au propriétaire de compter sur les meubles pour sa garantie; il lui a fait suffisamment connaître son intention de ne s'en dessaisir qu'après avoir éte payé. Il est donc raisonnable de donner ici la préférence au vendeur.

Enfin, quand on permet au propriétaire d'un objet perdu qui se trouve entre les mains d'un locataire, de le réclamer pendant trois ans, on peut bien donner huit jours à un vendeur, qui, lui, n'a pas même une imprudence à se reprocher (1).

(1) Duranton, t. XIX, no 121; Mourlou, n° 135; Ballot, Revue étrang. et franç., t. XIV, p. 430, et t. XV, p. 128; Paris, 24 juillet 1847.

M. Valette (1) a cru devoir soutenir la thèse contraire. La maxime, en fait de meubles la possession vaut titre, doit, dit-il, mettre chez nous un obstacle invincible à la revendication du vendeur quoique intentée dans un bref délai; le droit qu'a le vendeur de reprendre la posses→ sion ne peut être plus puissant que le droit de propriété. Or il est certain que le propriétaire d'un meuble, qui l'aurait remis au locataire à titre de prêt ou de dépôt, serait tenu de subir le privilége du bailleur. Comment ne déciderait-on pas de même contre le vendeur qui a transféré la propriété au locataire ?

Il n'y a rien à conclure contre ce système de ce que l'art. 2102, 4°, après avoir parlé du privilége du vendeur de meubles et de son droit de revendication, ne s'occupe plus que du privilége, lorsqu'il s'agit de donner la préférence au bailleur de bonne foi. En effet, la revendication du bailleur se trouve mentionnée parmi les priviléges, et comme s'y rattachant d'une manière intime. Il est alors naturel que le législateur ait été entraîné, brevitatis causa, à prendre le mot privilége dans un sens très-large et qui comprend à la fois les diverses garanties accordées au vendeur.

Quant à l'argument tiré de l'ancienne doctrine et notamment d'un passage de Pothier, il n'est pas concluant. En effet, d'après les coutumes de Paris et d'Orléans, le vendeur qui n'avait pas accordé de terme pour le payement pouvait revendiquer la chose, en quelque lieu qu'elle fût transportée, c'est-à-dire même entre les mains d'un sous-acquéreur de bonne foi. Dès lors, il

(1) Loc. cit., no 113,

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