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titions de l'actif du locataire failli, même pour ses loyers non échus. Donner à ces articles une poriée plus radicale et plus absolue, serait dépasser les exigences de la logique et de l'équité; comme le dit très-bien M. Labbé (4); ce serait, par une conséquence déduite de la faillite, entraver la marche de la faillite elle-même; ce serait, en permettant une poursuite individuelle prématurée, créer un obstacle au rétablissement du débiteur à la tête de ses affaires par le concordat.

A cette interprétation, qu'oppose-t-on ? D'abord la généralité de la formule employée par nos articles, qui n'établissent aucune distinction entre les créanciers purs et simples et les créanciers privilégiés ou hypothécaires. Sans doute, ils ne distinguent pas et ne devaient pas distinguer, puisque, dans une certaine mesure, les créanciers privilégiés ou hypothécaires profitent de l'exigibilité anticipée que les articles prononcent. N'est-ce pas d'ailleurs dans l'intérêt du débiteur et de la masse qu'a été édictée la disposition de l'art. 444? Ne serait-il pas dès lors singulier qu'une conséquence attachée à la déclaration de faillite vînt, en autorisant des poursuites individuelles, compromettre l'intérêt collectif des autres créanciers? Ainsi, le bailleur ne peut se prévaloir du jugement déclaratif, et invoquer contre le preneur la déchéance du terme, pour se faire payer, hic et nunc, le montant des loyers non encore échus. Mais son droit ne changera-t-il pas suivant les diverses éventualités que peut amener la faillite?

(1) J. P. 1862, p. 7-16; arrêts, Angers, 15 mai et Paris, 12 octobre 1861.

Lorsque le locataire obtient un concordat, le droit du bailleur se trouve paralysé, pourvu que les loyers lui soient exactement payés et que les lieux restent garnis de meubles suffisants. A défaut de concordat, les créanciers sont de plein droit en état 'union (art. 529 C. com,), et l'on procède à la liquidation de l'actif du débiteur; les meubles sont vendus en détail, à la requête des syndics (art. 486 et 534, C. com.), et le privilége du bailleur a l'occasion de s'exercer.

Mais que décider lorsque le locataire n'ayant pas obtenu de concordat ou n'en ayant obtenu que moyennant l'abandon de tout son actif (loi du 17 juil. 1856), les syndics, au nom de la masse, vendent en bloc à une même personne le fonds de commerce, le droit au bail, les meubles, outils et marchandises qui garnissaient les lieux loués? Certains jurisconsultes soutiennent que la question doit recevoir une solution différente. Ils se fondent sur cette idée que la loi exige, pour l'excercice du privilége attaché aux loyers à échoir, non-seulement la vente, mais encore l'enlèvement des meubles affectés au droit du propriétaire. Le mobilier qui sert de garantie au bailleur restant dans les lieux loués, celui-ci est par là même assuré de l'avenir, et tout doit se passer comme si le preneur n'avait pas changé.

Nous n'hésitons pas à repousser cette opinion. Il est vrai que le droit de poursuite n'existe, malgré l'anticipation d'exigibilité, que pour les dettes échues conformément au droit commun; mais une fois les objets vendus, il n'est plus question du droit de poursuite, jusqu'alors paralysé, désormais inutile; et l'exigibilité anticipée produit son effet. A ce principe, joignons le texte spécial

de l'art. 2102, 1°: « Les loyers et fermages de l'immeuble... sur le prix de tout ce qui garnit la maison louée ou la ferme. » Il y a un prix; comment empêcher le créancier d'exercer son privilége? La condition de l'enlèvement n'est pas indiquée dans la loi; pourquoi l'exiger? Il est possible que le bailleur, rassuré par la présence des meubles dans les lieux loués, n'ait pas d'intérêt à exiger le payement immédiat des loyers à échoir; mais qu'importe, s'il en a le droit (1)?

Supposons qu'au lieu d'être en faillite, le locataire se trouve en déconfiture, quelle sera la situation faite au propriétaire? Il faut, je crois, décider qu'il peut dès à présent saisir et faire vendre les meubles, garnissant les lieux loués ; car il n'y a plus ici, comme dans la faillite, des administrateurs chargés de réaliser l'actif du débiteur. Chaque créancier doit veiller à ses droits et peut à son gré exercer des poursuites en payement, sans attendre que l'échéance de la dette soit arrivée.

(1) M. Desjardins, 1. c.

APPENDICE

Appréciations sur le projet de loi du 20 janvier

1870.

La jurisprudence, en permettant au locateur d'exiger dans tous les cas la totalité des loyers futurs, rend à peu près tous les concordats impossibles. C'est dans le but de remédier à cet inconvénient déplorable qu'un projet de loi (1), ayant pour objet de limiter le privilége du propriétaire, en cas de faillite du preneur, a essayé de donner satisfaction aux intérêts de la masse des créanciers.

Cette question est assurément l'une des plus délicates et des plus importantes qui puisse se présenter. D'une part, elle touche à la protection légitime qui est due aux droits de la propriété ; d'autre part, elle tient aux intérêts du commerce qui doivent également préoccuper l'attention du législateur. Pendant de longues années, les conflits survenus entre les propriétaires et les créan

(1) Moniteur du 1er janvier 1868, du 28 juin 1869, du 20 janvier 1870.

ciers de leur locataire failli n'avaient pas fait beaucoup de bruit; et les différends qui s'élevaient entre eux trouvaient, dans la modération de chacun et les sages tempéraments de la jurisprudence, les éléments d'une solution équitable. Plus d'un propriétaire n'exerçait pas à la rigueur le droit qui lui appartenait, et presque toujours il intervenait une transaction honorable; la vente du fonds de commerce à un étranger, la continuation des affaires par le failli, après un concordat, étaient permises sans payement ni consignation des loyers à échoir; et même, si une liquidation était jugée indispensable, la résiliation du bail était très-souvent accordée à de justes conditions. Mais il suffit que d'autres exemples aient eu lieu ou soient possibles; il suffit qu'il y ait un cas où le bailleur pourra trouver l'occasion d'un avantage peut-être considérable et véritablement illégitime dans le fait malheureux de la faillite, pour que l'on doive examiner et modifier, s'il y a lieu, une législation susceptible de produire certains abus.

Ajoutons que dans ces derniers temps, quelques propriétaires ont singulièrement élevé leurs prétentions. Ils ont soutenu qu'aux termes des art. 2102 et 1188 du Code Napoléon et 444 du Code de com., ils avaient le droit d'exiger le payement intégral et immédiat de tous les loyers échus et à échoir jusqu'à la fin du bail. Les "tribunaux appelés à juger la contestation se sont prononcés en leur faveur, et ce système a définitivement triomphé devant la Cour suprême (1). La jurisprudence est aujourd'hui certaine et l'on n'entrevoit aucun motif

(1) Cass., 18 mars 1865.

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