Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE III.

VOIES OUVERTES AU BAILLEUR D'IMMEUBLES POUR FAIRE VALOIR SON DROIT HYPOTHÉCAIRE.

I.

Le droit principal du créancier hypothécaire, droit qui résulte du but même de l'hypothèque, et qui par conséquent lui compète sans convention formelle, consiste dans la faculté de vendre le gage, afin de se payer sur le prix dans le cas où il ne serait pas complétement satisfait par le débiteur au terme fixé (4). A cet effet, il peut se faire restituer la chose par tout possesseur (2).

Ce droit d'aliéner peut à la vérité être subordonné à certaines conditions par convention ou par testament (3), mais il ne peut être enlevé entièrement au créancier gagiste (4).

La vente peut être faite, soit par le créancier luimême, soit par l'autorité du magistrat. Ce dernier mode n'est exigé que pour les gages saisis sur le débiteur en vertu de l'autorité du magistrat (5), et ne peut avoir lieu que deux mois après cette saisie (6). Dans les autres cas,

[blocks in formation]

le créancier non payé à l'échéance peut opérer lui-même la vente du gage; mais il doit, au préalable, faire une dénonciation au débiteur, pour lui révéler son intention de vendre la chose si celui-ci ne la dégage. Dans l'ancien droit, on exigeait même trois dénonciations (1). D'après une Constitution de Justinien, à défaut de convention particulière, une seule dénonciation suffit (une sentence judiciaire est équivalente); mais il faut encore attendre deux ans avant de vendre le gage (2). S'il ne se présentait pas d'acheteur solvable, le créancier pouvait autrefois se faire adjuger la chose engagée après une proscriptio publica, et dans ce cas le débiteur avait encore pendant une année le droit de la dégager (3). Sous Justinien, cette vente publique n'existe plus, et le créancier peut, après une nouvelle sommation de payer restée sans effet, se faire adjuger par le prince la propriété du gage, mais alors le débiteur conserve pendant deux ans la faculté de retrait (4).

Si la permission de vendre le gage a été expressément accordée au créancier par la convention, on admet, conformément à l'intention vraisemblable des contractants, que le créancier, quand il n'a pas été payé à l'échéance, peut procéder à la vente du gage, sans avertir le débiteur (5).

Toutes ces formalités présentaient le grave inconvénient de retarder outre mesure la réalisation du gage;

(1) Sent., Pauli, 2, 5, 1.

(2) L. 3, 1, C., 8, 34.

(3) L. 3, pr., C., 8, 34.

(4) L. 3, § 2 et 6, h. t. (5) L. 3, 1, h. t.

aussi les parties pouvaient-elles régler elles-mêmes les conditions de la vente.

Le bailleur n'a pas seulement le droit de vendre la chose engagée, il peut encore se faire payer sur le prix avant les autres créanciers. Ce droit de préférence est de la plus grande importance lorsque les droits de gage de différents créanciers concourent sur la même chose ou sur le même patrimoine. En effet, le créancier qui vient le premier ou qui est préféré peut se faire payer intégralement sur le prix du gage, alors même qu'il ne devrait rien rester pour les créanciers postérieurs ou moins favorisés. La règle du droit romain, c'est que le rang des gages et hypothèques se détermine par la date de leur établissement. Prior tempore, potior jure, tel est le principe développé par les fragments du Digeste au titre qui potiores, et dans les lois du Code sous la même. rubrique. Le créancier premier en date peut demander au créancier postérieur la chose hypothéquée, l'aliéner sans son consentement, et même anéantir par cette aliénation le droit de ce dernier. Celui-ci, au contraire, ne peut, tant que le créancier qui le précède n'est pas encore satisfait, ni aliéner le gage valablement (1), ni forcer le créancier antérieur à le vendre (2); il peut seulement, quand celui-ci l'a vendu, lui demander ce qui reste du prix après l'entier acquittement de sa créance.

La règle prior tempore potior jure souffre de notables exceptions: il y a des hypothèques qui, par une faveur spéciale du droit, priment d'autres hypothèques établies

(1) L. 1 et L. 5, pr., D., 20, 5.

(2) L. 6, D., 13, 7.

avant elles. Telles sont notamment : 1° l'hypothèque des créanciers dont l'argent a servi au débiteur à acquérir, à reconstruire ou à conserver dans son premier état la chose hypothéquée à d'autres; 2° l'hypothèque du fisc sur les biens des contribuables et de ses administrateurs; 3° l'hypothèque de la femme mariée pour la sûreté du recouvrement de ses créances dotales.

Ces hypothèques privilégiées primeront l'hypothèque du bailleur comme elles priment celle des autres créanciers. Enfin les frais funéraires seront prélevés sur le prix des objets apportés dans les lieux avant les loyers et fermages dus au propriétaire (1).

Il nous reste maintenant à étudier le droit de suite qui est la garantie et comme la mise en œuvre des deux premiers droits dont jouit le bailleur. Il consiste dans la faculté accordée à tout créancier hypothécaire d'agir contre le détenteur de l'objet engagé, afin de s'en faire remettre la possession et de pouvoir le vendre pour se payer sur le prix. La législation romaine accorde aux créanciers hypothécaires, et notamment au bailleur, plusieurs moyens de le faire valoir. Ces moyens sont, d'une part, l'action Servienne et quasi-Servienne; d'autre part, l'interdit Salvien. Telles sont les deux voies de recours qui vont faire l'objet de notre étude.

[merged small][ocr errors]

II

DE L'ACTION SERVIENNE.

L'action Servienne est une action réelle, prétorienne, introduite au profit du bailleur d'un fonds rural, relativement aux choses engagées par le colon pour la sûreté du fermage (1). Le préteur Servius qui donna son nom à l'action, n'est pas, comme on l'a prétendu, le célèbre jurisconsulte Servius Sulpicius, contemporain de Cicéron. On est généralement d'accord aujourd'hui pour donner à l'action une origine plus reculée. Cicéron nous dit en effet, dans son plaidoyer pour Muréna, no 20, que son client, préteur en même temps que Servius Sulpicius, fut chargé de la fonction juris dicendi; tandis qu'à ce dernier échut la direction de la quæstio peculatus. J'ajouterai que Cicéron, dans sa lettre ad familiares (XIII, 56), fait mention de l'hypothèque. Comme elle n est que la généralisation d'un droit accordé d'abord exclusivement au bailleur d'un fond rural, on peut affirmer que l'action Servienne, destinée à sanctionner ce droit, existait à Rome longtemps avant l'hypothèque et à une époque, par conséquent, antérieure à Servius Sulpicius.

Les opinions sont partagées rur l'ancienne formule de cette action; nous savons seulement qu'elle était in factum et arbitraire (2). Elle suppose, de la part du demandeur, qu'il a un droit de gage valable; son but est de

(1) Inst., 4, 6, 7.

(2) Inst., 4, 6, 31.

« PreviousContinue »