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sur les invecta et illata ne résultait que d'une convention formelle, trouvait une sûreté dans les fruits produits par le fonds, fruits à l'égard desquels on appliquait la règle d'une convention tacite de gage, suivant la loi 7, pr., 20, 2. Bien que sur cette question il n'existe aucun texte positif il ne nous semble pas douteux que l'interdit Salvien ne dût s'étendre aux fruits. Les effets d'une convention supposée ne sauraient être moindres que ceux qui découlent d'une convention expresse.

Pour que les choses du colon soient soumises à l'interdit Salvien, il faut qu'elles aient été apportées sur le fonds, et apportées pour y rester à demeure: ea sola, quæ ut ibi sint, illata fuerunt (1). L'interdit était donc plus exigeant que l'action Servienne. Peut-être, à l'origine, le jus in re concédé au locator n'était-il accordé, de même que l'interdit, qu'après avoir réalisé l'apport des objets affectés. Mais du moment où, sous le nom d'action quasi-Servienne, l'on admit la constitution d'une garantie réelle par une simple convention, il n'y avait aucun motif raisonnable pour traiter le locator avec plus de rigueur quant à l'obtention du jus in re. L'action Servienne put alors s'exercer, non seulement sur les res invectæ et illatæ fundo, mais encore sur celles qui avaient été simplement engagées à la sûreté du propriétaire. Seulement, la réalisation de l'apport fut toujours la condition mise à l'exercice de l'interdit; c'est ce qui nous explique pourquoi les jurisconsultes s'occupent d'en déterminer le caractère.

Il était habituel que le colon se bornât à affecter ce

(1) L. 7, 1, 20, 2.

qu'il apporterait sur le fonds; mais la circonstance d'un apport proprement dit n'était pas nécessaire pour les produits nés sur les lieux, tels que les fruits, le croît des animaux et le part des esclaves. Il était même admis que la création des objets sur le fonds équivalait à un apport effectif. Ces idées sont d'ailleurs nettement formulées dans la loi 32 de pign. et hyp., 20, 1.

III. Contre qui se donnait l'interdit Salvien?—Il est certain que l'interdit Salvien s'exerce contre le fermier; mais c'est une question controversée que de savoir si les tiers détenteurs des objets engagés y sont eux-mêmes soumis. Ni les commentaires de Gaïus ni les Institutes de Justinien ne s'expliquent à cet égard. Cependant Théophile est très-formel dans sa paraphrase, pour autoriser l'interdit contre tout possesseur des choses hypothéquées: adversus quemvis res coloni possidentem interdicto Salviano dominus experiri poterit. Ce système est confirmé par la loi 1, 1, 43, 33, où l'on voit que l'interdit peut être intenté adversus extraneum.

En fait, l'interdit destiné à garantir les intérêts du locator, que la force des choses oblige à laisser au fermier la possession des res obligatæ, ne donnerait au bailleur qu'une protection bien précaire, s'il suffisait au colon de se dépouiller de la possession pour rendre l'interdit inutile. Mais la difficulté qu'il y a d'attribuer une portée générale à cet interdit semble résulter de la loi 1, C., 8, 9. Ce rescrit de Gordien paraît effectivement ne l'accorder qu'à l'encontre du débiteur sans qu'il y ait d'ailleurs à s'occuper du point de savoir s'il est débiteur en qualité de conductor ou à un autre titre. Nous avons déjà eu l'occasion de nous prononcer sur l'antinomie ap

parente qui existe entre cette loi et la décision contenue dans la loi 1, 43, 33, au Digeste. Si le créancier dont il est question dans le rescrit ne peut recourir à l'interdit, ce n'est pas parce qu'il veut l'intenter contre un tiers, mais parce que n'étant pas locator fundi, il ne peut y avoir droit. D'un autre côté, quand nous voyons Théophile énoncer de la manière la plus positive que tout possesseur est soumis à l'interdit Salvien, quand tous les fragments du Digeste s'accordent à le présenter comme dirigé contre les tiers, nous ne pouvons hésiter à préférer cette interprétation: la seule qui donne à l'interdit une utilité vraiment sérieuse.

La loi 1, pr., de Salv. interd. (43, 33), vient donner à notre opinion une force nouvelle. L'interdit nous y apparaît comme atteignant l'acheteur d'une ancilla in fundo inducta, même à l'égard du partus qui serait né chez lui. Ce texte, il est vrai, semble en contradiction avec la loi 29, 1, 20, 1, d'après laquelle l'enfant né d'une esclave grevée d'hypothèque n'est lui-même frappé du droit de gage que si sa mère est accouchée chez le débiteur qui avait constitué l'hypothèque. A dé– faut de cette circonstance, la propriété du part n'ayant jamais appartenu au débiteur, le droit de gage est impossible.

Nous n'essayerons pas de lever la difficulté en faisant remarquer que les deux espèces prévues par Paul et Julien ne sont pas identiques dans la loi 1, l'enfant aurait été conçu chez le débiteur, serait né chez l'acheteur; dans la loi 29, la naissance comme la conception aurait eu lieu chez le tiers acquéreur. Cette distinction nous paraît contraire au texte de Paul qui ne s'at

tache qu'au moment de la naissance. Nous aimons mieux dire que le dominus fundi jouissait d'une faveur particulière; il était à l'abri de tout préjudice provenant de l'aliénation des res invectæ et ces aliénations étaient rescindées comme faites frauduleusement. Cette analogie avec l'interdit fraudatoire ne présente rien de choquant. Peut-être, en effet, la fraude était-elle présumée, quand le colonus aliénait des meubles garnissant la ferme qu'il occupait, l'acheteur ne devant pas ignorer que, suivant l'usage général, ces meubles étaient engagés au propriétaire. On appliquait donc ici les principes des interdits restitutoires, particulièrement de l'interdit fraudatoire, d'après lesquels la restitution devait avoir lieu cum omni causâ et comprenait notamment le partus (1). Or d'après la loi 25, § 5, 42, 8, il suffisait que l'ancilla fût prægnans quand elle avait été aliénée, pour qu'il y eût lieu à restitution du part. Sans doute, quand Julien exprimait cette idée que l'interdit permettait au locator d'appréhender le partus, il voulait dire que l'interdit étant exercé relativement à la mère, il serait utile, c'est-à-dire efficace même pour le part déjà conçu chez le colonus, bien qu'il fût né chez l'acheteur. Si le jurisconsulte ne mentionne pas cette circonstance que l'ancilla était prægnans au moment de la vente, il ne faut pas s'en étonner. Qu'avait-il besoin d'indiquer que la conception était antérieure à l'aliénation? Si l'esclave avait à la fois conçu et mis au monde après l'aliénation, il eût été trop tard pour exercer l'interdit relativement à la mère, et dès lors le part lui-même serait resté à l'abri de toute

(1) L. 10, § 19-21, D., 42, 8.

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poursuite (1). C'est en effet ce que nous allons établir. IV. Durée de l'interdit Salvien. Quelques auteurs ont proposé à cet égard la distinction suivante si le tiers détenteur a reçu du fermier les choses engagées, il est toujours soumis à l'interdit; s'il n'est point, au contraire, quant à la possession, le successeur ou l'ayant-cause du fermier, il n'est soumis à l'interdit Salvien que pendant le temps durant lequel le colon peut intenter avec succès contre lui l'interdit Utrubi. Cette distinction uous paraît inadmissible. L'interdit Salvien, adip., poss., est destiné à compenser le défaut d'obtention immédiate de la possession que le dominus fundi était obligé de subir. L'apport une fois réalisé, le locator est censé posséder par l'intermédiaire du colonus; aussi peut-il se prévaloir de la possession du fermier dans les limites où celui-ci le pourrait lui-même. Mais la condition du locator ne peut être meilleure que celle d'un créancier gagiste ordinaire qui, suivant le droit commun, se serait fait investir de la possession. Ainsi, contrairement à la doctrine énoncée plus haut, le locator qui veut se faire mettre en possession devra succomber devant le tiers qui pourra se prévaloir de l'interdit Utrubi comme ayant possédé les meubles pendant la majeure partie de l'année qui vient de s'écouler. Il n'y aura pas à distinguer si le défendeur à l'interdit est ou non le successeur du colonus. D'ailleurs l'interdit Salvien n'a trait qu'à la possession, ainsi que nous allons essayer de le démontrer, c'est donc la portée des règles sur la valeur de la

(1) M. Machelard, loc. cit.

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