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DROIT FRANÇAIS

PRIVILEGE DU BAILLEUR

SON ORIGINE.

Le propriétaire qui livre sa maison ou sa ferme au. locataire qui va l'habiter ou l'exploiter, procure à celuici le moyen de satisfaire à l'une des premières nécessités de la vie. La justice, aussi bien que l'utilité publique et privée, fait donc sentir le besoin de faciliter les locations en assurant au bailleur la sécurité la plus entière. De là le privilége spécial dont le code Napoléon investit sa créance, en lui, donnant pour gage le mobilier du locataire et les fruits de la récolte.

L'art. 2102 s'exprime ainsi :

« Les créanciers privilégiés sur certains meubles sont : » 1° Les loyers et fermages des immeubles, sur les fruits » de la récolte de l'année, et sur le prix de tout ce qui » garnit la maison louée ou la ferme et de tout ce qui sert » à l'exploitation de la ferme; savoir, pour tout ce qui est » échu, et pour tout ce qui est à échoir, si les baux sont >> authentiques, ou si, étant sous signature privée, ils ont » une date certaine; et, dans ces deux cas, les autres >> créanciers ont le droit de relouer la maison ou la ferme » pour le restant du bail, et de faire leur profit des baux

» et fermages, à la charge toutefois de payer au pro>> priétaire tout ce qui lui serait encore dû.

» Et, à défaut de baux authentiques, ou lorsqu'étant sous » signature privée, ils n'ont pas une date certaine, pour » une année à partir de l'expiration de l'année courante.

» Le même privilége a lieu pour les réparations loca>>tives, et pour tout ce qui concerne l'exécution du bail.

>> Néanmoins les sommes dues pour les semences ou » pour les frais de la récolte de l'année, sont payées sur >> le prix de la récolte, et celles dues pour ustensiles, sur >> le prix de ces ustensiles, par préférence au propriétaire » dans l'un et l'autre cas;

>> Le propriétaire peut saisir les meubles qui garnissent » sa maison ou sa ferme, lorsqu'ils ont été déplacés sans >> son consentement, et il conserve sur eux son privilége, >>pourvu qu'il ait fait la revendication; savoir, lorsqu'il >> s'agit du mobilier qui garnissait une ferme, dans le délai >> de quarante jours; et dans celui de quinzaine s'il s'agit >> de meubles garnissant une maison. »

Cette disposition si développée présente cependant bien des lacunes que le silence et l'obscurité de la loi laissent à la doctrine le soin de combler.

CHAPITRE I.

DES PERSONNES QUI ONT DROIT AU PRIVILÉGE.

Tout individu qui, à un titre quelconque, peut se présenter comme créancier de loyers ou fermages d'un

immeuble a droit au privilége. Peu importe que la location émane du propriétaire ou de toute autre personne ayant la disposition de la chose, il suffit qu'un bail existe et que l'éxécution en soit légitimement réclamée. Le privilége dérive du gage et passe dès lors à celui qui a droit aux loyers: c'est donc vainement que l'ancien locateur voudrait en réclamer le bénéfice pour se faire payer les loyers échus antérieurement à l'aliénation ou à la cession (1).

La cour d'Orléans, dans un arrêt rendu le 23 novembre 1838 (2), se montre beaucoup plus exigeante : elle ne reconnaît même pas à l'aliénateur le droit de se réserver le privilége pour s'assurer le payement des loyers échus; elle ne peut admettre qu'un immeuble puisse avoir deux locataires simultanés de la totalité aussi décidet-elle que le droit d'opérer une saisie-gagerie appartient uniquement au nouveau propriétaire. La réserve du privilége a seulement pour effet de conserver au vendeur son droit de préférence vis-vis de l'acquéreur, lorsqu'il sera procédé à la vente des meubles. Celui-ci ne pourra le primer dans la distribution du prix ; mais, vis-vis du débiteur, cela ne peut changer la position que la loi lui a faite l'art. 819 du Code de procédure n'autorisant la saisie-gagerie qu'en faveur du propriétaire actuel, l'acquéreur pourra donc seul s'en prévaloir.

La Cour de Caen (3) a cru devoir repousser cette solution. Suivant elle, le vendeur d'un domaine, qui lors

(1) Nîmes, 31 janvier 1820; Sir., 20, 2, 105.

(2) Sir., 39, 2, 427.

(3) J. du P., 1853, 1, 482.

de la vente est créancier de loyers échus, ne perd ni son privilége, ni son droit de saisie-gagerie; si des fermages sont dus tout à la fois à l'ancien et au nouveau propriétaire, le gage commun doit être réparti entre eux au marc le franc (C. Nap. 2097). Dans ce système, le privilége serait inhérent à la qualité de la créance et non au nantissement tacite : partant de ce principe, comme les droits de chacun avaient la même origine et concouraient au même but, la Cour devait les soumettre aux règles d'une égale concurrence, et décider qu'ils s'exerceraient par contribution sur le prix du mobilier vendu.

L'usufruitier, comme le propriétaire, jouit d'un privilége pour le bail qu'il a consenti, aussi bien que pour le bail auquel il a succédé. De même le locataire du fermier principal, qui use de la faculté de sous-louer, acquiert par suite de cette sous-location, vis-à-vis de son preneur, le même privilége dont le bail primitif avait armé contre lui le propriétaire de la maison ou de la ferme qu'il tenait à loyer.

Notre ancienne jurisprudence allait encore plus loin: elle admettait que le tiers qui avait payé au locateur ce qui lui était dû par le locataire, succédait au privilége du bailleur pour la répétition de tout ce qu'il avait payé à la décharge du preneur. Il ne faut plus aujourd'hui admettre cette décision. Les priviléges étant une exception au droit commun, ne doivent pas recevoir d'extension. Nous trouvons bien, dans l'article 593 du Code de procédure, un texte duquel il résulte que celui qui a prêté des deniers pour acheter des aliments, jouit d'une subrogation; mais cette décision ne peut être généralisée.

Nous n'admettons la solution qu'autant que le tiers, qui a payé la dette du locataire, serait dans le cas d'exciper de la subrogation légale ou conventionnelle.

Faisons observer que le bail ne donne naissance au privilége qu'autant qu'il est reconnu valable: si le contrat de louage avait été fait, par exemple, après le jugement déclaratif de faillite, il serait nul par applica– tion de l'art. 443 du Code de commerce; s'il avait été fait depuis la cessation des payements, il pourrait être 'annulé au cas où cette cessation aurait été connue du locateur, par application de l'art. 447; dans les deux hypothèses, il ne pourrait plus être question de privilége.

CHAPITRE II.

DES MEUBLES SUR LESQUELS IL PORTE

Le privilége du locateur porte, d'après notre article 2102, sur le prix de tout ce qui garnit la maison louée ou la ferme, et, de plus, dans les baux de biens ruraux, sur les fruits de la récolte de l'année et sur tout ce qui sert à l'exploitation. Nous parlerons successivement de ces deux objets du privilége, et d'abord des effets garnissant les lieux loués. Sur ce premier point, nous aurons à étudier séparément quels sont les droits du locateur sur les meubles du locataire, des sous-locataires et des tiers.

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