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MARDI 1er OCTOBRE 1850,

(N° 5117.)

L'AMI DE LA RELIGION.

Des Cardinaux.

Si nos correspondants ne nous ont pas trompés, c'est aujourd'hui lundi 30 septembre que s'est tenu le consistoire où la France a une si belle part. D'ici à quelques jours nous recevrons les détails de cette solennité si intéressante pour nous; en attendant nous croyons être agréables à nos lecteurs en réunissant en un article les notions principales sur la dignité du cardinalat.

I. Le nom de Cardinaux vient du mot latin cardo, qui signifie gond, a parce que, dit Eugène IV, de même que la porte de la maison tourne sur ses gonds, ainsi le Siége apostolique et la porte de toute a l'Eglise repose sur eux.» La même explication de ce titre se trouve dans le corps du droit (1) et dans les décrets du Concile de Bâle.

Ce titre n'était pas réservé, dans l'origine, aux dignitaires qui le portent aujourd'hui. On appelait Evêques, Prêtres et Diacres-Cardinaux ceux qui avaient une juridiction propre, comme ordinaires; qui étaient, suivant le latin du temps, incardinati à leurs églises. C'est dans ce sens que nous le trouvons employé par les Papes Gélase (2), saint Grégoire (3), Nicolas II (4), etc. Les Prêtres et DiacresCardinaux romains remplissaient près du Souverain-Pontife les fonctions de conseillers, comme on le voit par les lettres de saint Jérôme ad Rust., et de saint Cyprien au Pape Corneille, où il dit: Florentissimo illic clero TECUM præsidenti: mais ces fonctions ne leur donnaient aucune supériorité sur les Cardinaux des autres églises. Les sept Evêques suburbicaires eux-mêmes ne prenaient rang dans les Conciles que selon leur ancienneté; ce fut assez tard que ce titre fut réservé aux seuls ecclésiastiques que le Pape appelait autour du trône pontifical pour s'aider de leurs lumières, dans la direction des affaires générales de l'Eglise. Au temps même de saint Pie V, en 1569, il était revendiqué par des chanoines, à Ravenne, Compostelle, Milan, Naples, etc., etc.; ce qui obligea ce Pape à porter un décret abrogatoire des priviléges fondés ou imaginaires que ces églises mettaient en avant, et à défendre que désormais personne ne prît le titre de Cardinal sans l'avoir reçu du Souverain-Pontife.

D'après ce que nous venons de dire, il est clair qu'à Rome il ne pouvait y avoir de Cardinaux-Evêques, puisque le Pape seul y exerce

(1) C. Sacro sancta, 2. Dist. 22.

(2) Ap. Grat. Dist. 24.

(3) Lib. XII, ep. 2; II, ep. 9; X, ep. 12; V, ep. 11.

(4) C. In nomine Domini, dist. 23.

L'Ami de la Religion. Tome CL.

la juridiction ordinaire. Ce n'est probablement que vers le onzième ou douzième siècle qu'on attacha à l'église de Latran, siége principal de la juridiction pontificale, sept Evêques des villes voisines, qui durent venir à des jours fixés assister le Pape dans cette basilique, ou célébrer en sa présence; et ils furent appelés Evêques-Cardinaux, à cause de ce service immédiat du Saint-Père et de sa principale église. On peut cependant les reconnaître dans les Evêques-Cardinaux hebdomadaires dont Etienne III fait mention dans un Concile qu'il tint à Rome en 769. On les trouve encore désignés sous les noms de vicarii pontificis, collaterales Episcopi, urbis Episcopi, romani Episcopi. Ce sont les Evêques de Porto et de Sainte-Rufine, réunis en 1120 par Calixte II, d'Albano, de Sabine, de Tusculum, de Palestrina, d'Ostie et Velletri, réunis par Eugène III vers 1150.

Les Cardinaux-Prêtres étaient les recteurs des églises qui possédaient un titre, différent en cela des simples paroisses. On sait que dans les premiers siècles de l'Eglise, les Diacres étaient préposés à la distribution des aumônes. Des établissements pieux avaient été fondés, sous le nom de Diaconies, où ils recevaient les pauvres, les orphelins, les vieillards. Il y en avait un dans chacune des quatorze régions ou quartiers de la ville, et le diacre qui y était spécialement attaché, s'appelait Diacre-Cardinal ou Régionaire. Quand ces hospices cessèrent d'être en usage, les oratoires ou chapelles qui y étaient jointes pour les besoins spirituels des fidèles, restèrent comme titres des Diacres-Cardinaux, qui désignés d'abord par le numéro de leur région, s'étaient ensuite distingués par le nom du patron de leur chapelle.

A ces quatorze titres de diaconies, on en adjoignit quatre, destinées aux Diacres chargés du service de l'église de Latran quand le Pape y célébrait; ce nombre fut respecté jusqu'à Léon X, qui créa un dix-neuvième titre en faveur du Cardinal de Lorraine. Sixte V les ramena au nombre primitif de quatorze.

II. Le nombre des Cardinaux a considérablement varié suivant les circonstances ou les besoins de l'Eglise. Jusqu'à Honorius II, il était fixé à vingt-huit; puis il décrut au point qu'ils étaient réduits à sept, à la création de Nicolas III, en 1277. En 1331, on en trouve vingt; vingt-trois en 1378; mais ensuite le grand schisme les multiplia, à mesure que les Papes des diverses obediences sentaient le besoin de se faire de nouveaux partisans. Les Conciles de Constance et de Bâle décrétèrent qu'à l'avenir il n'y aurait pas plus de vingt-quatre Cardinaux, et cette règle fut, à peu d'exceptions près, suivie jusqu'à Léon X qui, en 1517, en créa trente et un à la fois, ce qui porta le nombre du sacré Collège à soixante-cinq. Paul IV l'augmenta encore, et enfin Sixte V, dans sa constitution Religiosa, en fixa le maximum à soixante-dix. Savoir:

Six Evêques nous les avons déjà nommés.

Cinquante Prêtres, dont voici les titres : Saint-Eusèbe, Saint-Mar

Etin-du-Mont, Saint-Augustin, Saint-Marcel, Saint-Laurent-in-Lucina, Sainte-Marie-de-la-Victoire, Saint-Bernard-aux-Thermes, Sainte-Marie-au-delà-du-Tibre, Saint-Laurent-in-Palisperna, Saint-Calixte, Sainte-Marie-de-la-Paix, Sainte-Marie-des-Anges, Sainte-Pudentienne, Saint-Clément, Sainte-Marie-du-Peuple, Saint-Vital, Sainte-AgnèsHors-des-Murs, Saints-Jean-et-Paul, Saint-Alexis, Sainte-Cécile, Saint-Marc, Sainte-Anastasie, Saint-Pierre-in-Montorio, Sainte-Mariede-la-Minerve, Saints-Nérée-et-Achillée, Saint-Sylvestre-in-Capite, Sainte-Praxède, Sainte-Marie-in-Via, Sainte-Sabine, Sainte-Marie-inAra-Cœli, Sainte-Balbine, les Saints-Douze-Apôtres, Sainte-Croix-deJérusalem, Saints-Quirice-et-Juliette, Saint-Pancrace, Saint-Sixte, Saint-Chrysogone, Sainte-Prisque, les Quatre-Saints-Couronnés, la Trinité-du-Mont, Saint-Jean-devant-la-Porte-Latine, Saint-Laurent-inDamaso, Sainte-Suzanne, Saint-Barthélemi-en-l'Ile, Saint-Etienne-leRond, Saint-Onuphre, Saint-Thomas-in-Parione, Saint-Pierre-auxLiens, Saint-Jérôme-des-Esclavons, Sainte-Marie-in-Traspontina,

Saints-Pierre-et-Marcellin.

Quatorze Diacres avec les titres suivants : Sainte-Marie-in-ViaLata, Sainte-Marie-ad-Martyres, Saint-Eustache, Sainte-Marie-inAquiro, Saints-Côme-et-Damien-au-Forum, Sainte-Marie-in-Portico, Saint-Nicolas-in-Carcere, Sainte-Agathe-alla-Suburra, Saint-Adrien, Sainte-Marie-in-Cosmediano, Saint-Georges-au-Voile-d'Or, SaintsGuy-et-Modeste, Sainte-Marie-in-Domnica, Saint-Ange-in-Pescheria. Saint-Damase, que nous avons rangé parmi les titres de Cardinaux-prêtres, est toujours donné au Cardinal vice-chancelier, quel que soit l'ordre auquel il appartient.

Sixte V, dans la constitution Postquam, veut que quatre, au moins, des Cardinaux soient tirés des ordres religieux.

III. La règle qui fixe au mercredi des Quatre-Temps le Consistoire où le Pape nomme les Cardinaux est tombée en désuétude, ainsi que l'appel qu'il faisait aux suffrages du sacré Collége, et même quelquefois la formule prescrite dans le cérémonial Auctoritate Dei Patris omnipotentis, SS. Apost. Petri et Pauli, et nostra N. assumimus in S. R. E. Cardinalem.

La nomination se fait cependant toujours en Consistoire secret (quoique cette solennité même ne soit pas d'absolue nécessité). Là, le Pape proclame les noms de ceux qu'il veut élever au Cardinalat, ou déclare qu'il en réserve un ou plusieurs in petto (c'est-àdire que leur nomination arrêtée dans son esprit, ne sera manifestée que plus tard), et il interroge pour la forme les Cardinaux, par ces paroles: Quid vobis videtur? Le décret de nomination est de suite publié hors du Consistoire.

Si le nouveau Cardinal est à Rome, il se rend sans pompe au palais apostolique, pour recevoir la barette et la mosette des mains du Pape, à qui il est présenté par un des anciens Cardinaux, puis il retourne à sa demeure en grand apparat: in fiocchi. Jusqu'à ce qu'il

ait reçu les insignes de sa dignité, il doit ne s'occuper d'aucune affaire, éviter même de recevoir la visite des Cardinaux, à moins que ce ne soit par un Indult spécial du Saint-Père.

Le Consistoire public est ordinairement indiqué pour le jeudi, le samedi ou le mardi suivant. Leurs Eminences y assistent en cape violette, et après qu'ils ont rendu les hommages ordinaires au Pape, les nouveaux élus s'approchent à leur tour, et prennent rang, tête nue, après le dernier Cardinal-Prêtre. Le Saint-Père leur rappelle l'éminence et les obligations de leur nouvelle dignité et les admet au baiser du pied, de la main et de la bouche. Quand ils ont aussi donné le baiser de paix aux autres Cardinaux, ils viennent s'agenouiller chacun à leur tour devant le Pape, qui leur donne le chapeau rouge (1) en disant : Ad laudem omnipotentis Dei, et S. Sedis apost. ornamentum, accipe Galerum rubrum, insigne singularis dignitatis Cardinalatus, per quod designatur, quod usque ad mortem, et sanguinis effusionem inclusive, pro exaltatione S. Fidei, pace et quiete populi christiani, augmento et statu, S. R. E., te intrepidum exhibere debeas in nomine Patris, et Filii + et Spiritus Sancti †. Amen.

Les nouveaux Cardinaux prêtent ensuite le serment de fidélité. Dans un prochain Consistoire, le Pape leur ferme la bouche, par ces paroles: Claudimus tibi os, ut neque in Consistoriis, neque in Congregationibus, aliis que functionibus Cardinalitiis sententiam tuam dicere valeas (nous vous fermons la bouche pour vous ôter le pouvoir de donner votre avis dans les Consistoires, les Congrégations, ou les autres fonctions des Cardinaux). Ils sortent alors, et soit dans le même Consistoire, soit dans un autre, le Pape, de l'avis du sacré Collége, leur ouvre la bouche: Aperimus tibi os, ut in Consistoriis, Congregationibus, etc., etc.

Enfin, agenouillés devant Sa Sainteté, ils reçoivent l'anneau, et le titre presbytéral ou la diaconie qui leur est assignée: Ad honorem Dei omnip., dit le Saint-Père, SS. Apost, Petri et Pauli, et S. N. (le patron du titre) committimus tibi ecclesiam S. N. cum clero et populo et cappellis suis, secundum formam qua committi consuevit Cardinalibus qui eamdem ecclesiam habuerunt. (A la gloire de Dieu tout-puissant, des saints Apôtres Pierre et Paul et de saint N., nous vous confions l'Eglise de S. N. avec son clergé, son peuple et ses chapelles, dans la même forme qu'elle a été confiée aux Cardinaux qui l'ont possédée.)

Si les Cardinaux ne sont pas à Rome, la lettre d'avis de la secrétairerie d'Etat est envoyée à chacun par un garde-noble du SaintPère, qui présente en même temps la calotte rouge.

Le nouveau Cardinal reçoit à part, du secrétaire de la Congrégation des cérémonies, une courte instruction qui lui apprend quels

(1) Le chapeau rouge a été donné aux Cardinaux par Innocent IV au Concile de Lyon (1244). Ce privilége fut étendu par Grégoire XIII aux Cardinaux tirés des ordres religieux.

sont les habits dont il peut faire usage, et l'averlit de donner part de sa promotion aux souverains.

Ensuite on lui transmet la barette, par camérier secret et d'honneur de Sa Sainteté. Cet envoyé prend le titre d'ablégat.

Si l'ablégat est à Rome, il fait visite à tout le sacré Collége, et reçoit ses instructions de la secrétairerie de la Congrégation des céré→ monies; s'il n'est pas à Rome, les instructions lui sont envoyées.

Le Cardinal-secrétaire des Brefs fait expédier le Bref appelé missivo, qui se lit publiquement à la présentation de la barette au nouveau Cardinal. La secrétairerie des Brefs, ad principes, est chargée de celui qu'on adresse au Souverain dans les Etats duquel se trouve le nouveau dignitaire. L'ablégat ne doit le présenter que selon les règles de la cour à laquelle il est envoyé.

Si le Cardinal est dans la résidence du Souverain, l'ablégat prie ce dernier, au nom du Saint-Père, d'honorer la cérémonie en donnant lui-même la barette; dans le cas contraire, l'ablégat, après avoir présenté le Bref au Souverain et fait les visibles convenables, continue son voyage pour exécuter sa commission. Il doit, dans le voisinage de la ville où se trouve le Cardinal, trouver une voiture que celui-ci a envoyée à sa rencontre, et qui le conduit au logement qu'on lui a préparé.

Après la première visite, il règle avec lui le jour et le lieu de la cérémonie; la veille (il est présent au serment qui se prête dans la forme rapportée ci-dessus. La cérémonie commence par une messe solennelle, après laquelle un Cardinal, s'il y en a un dans la même ville, ou un Evêque, ou enfin l'ablégat lui-même, remet au nouveau Cardinal le Bref missivo, et après qu'on en a fait lecture il lui pré-sente, dans un bassin, la barette, que le Cardinal se place lui-même sur la tête.

L'Eminence doit aller chercher le chapeau à Rome, où il est reçu avec de grands honneurs par le Cardinal-secrétaire d'Etat au nom du sacré Collége. Le Pape daigne quelquefois dispenser les Cardinaux de ce voyage, et leur envoie le chapeau par quelque personnage de distinction.

Eugène IV, dans la bulle In eminenti, déclare que la nomination faite dans le consistoire secret n'a d'effet qu'après que l'élu a reçu les insignes du cardinalat, et que jusque-là il ne peut ni s'appeler Cardinal ni voter pour l'élection du Souverain-Pontife. Aujourd'hui, cependant, on regarde comme Cardinaux, et jouissant de tous leurs droits, ceux qui sont proclamés par le Pape; parce que, dit le Cardinal de Luca, la tradition des insignes, la formalité de fermer et d'ouvrir la bouche, etc., sont de pures cérémonies qui ne touchent point à la substance du Cardinalat (1). Un décret de Pie V a confirmé la pratique actuelle, qui a trouvé son application dans les élec→ tions des Papes Léon XI, Innocent X et Clément X.

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(1) Relat. cur. Rom. disc. V. 11.

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