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pas avoir de confiance dans les héros, ni permettre que Ferdinand s'en allât plus avant vers la France.

Mais quel motif, au moins apparent, m'at-il dit, pourrait justifier la conduite que vous supposez à l'empereur? Je lui répondis qué le langage du Moniteur me faisait voir qu'il ne reconnaissait pas Ferdinand comme roi'; qu'il disait que l'abdication de son père, faite au milieu d'un tumulte populaire et des armes, était nulle; que Charles IV lui-même l'avouerait s'il était nécessaire; que, sans parler de ce qui était arrivé au roi de Castille Jean I, il y avait eu deux abdications pendant le règne des dynasties autrichienne et des Bourbons: une faite par Charles I d'Espagne ou Charles V d'Allemagne, et l'autre par Philippe V, et que dans ces deux abdications on avait procédé avec le plus grand calme et la plus sage délibération, et que même ceux qui représentaient la nation demandèrent jusqu'où l'abdication devait s'étendre en cas que les personnes qui devaient régner de suite en seraient empêchées, et que c'est par cette raison que Philippe V régna une seconde fois, après la mort de Louis 1", en faveur de qui S. M. avait renoncé à la couronne; enfin qu'il est à craindre que si le

père réclame contre la violence de son abdication, et qu'ils poursuivent leur voyage jusqu'à Bayonne, aucun d'eux ne régnerait, et que tous les Espagnols seraient malheureux.

Il me répliqua alors que l'Europe, et que la France même, condamneraient ce trait, et que l'Espagne pourrait devenir redoutable étant soutenue par l'Angleterre. Je lui répondis sur les trois points. Quant à l'Europe, elle était pauvre et sans moyens pour entreprendre de nouvelles guerres sans union, parce que les intérêts particuliers, ainsi que les vues ambitieuses de chaque souverain et de chaque état, avaient plus de force que la nécessité de faire de grands sacrifices pour détruire le systême adopté par la France depuis sa funeste révolution. Je lui expliquai, pour preuve de ce que j'avançais, la conduite des coalitions, leurs plans mal combinés, leurs défections, et que le résultat de ces ligues avait lui-même produit l'accroissement de la France; que je ne voyais d'autre cour que celle de Vienne capable de s'opposer actuellement aux projets de l'empereur si l'Espagne se soulevait, et qu'elle serait appuyée par l'Angleterre ; mais que si la Russie, l'Allemagne et le monde européen se montraient

contraires à ce systême, l'Autriche essuierait des revers et perdrait une partie de son territoire, nous perdrions entièrement notre marine, et l'Espagne serait seulement le théâtre de la guerre des Anglais contre la France, et où jamais ils ne seraient exposés à moins qu'ils n'eussent quelque chose à gagner, puisque l'Angleterre n'est pas une puissance capable de tenir tête à la France dans une guerre continentale; enfin que tout finirait par une conquête, après avoir produit notre désolation.

Quant au second point du mécontentement de la France pour une conduite aussi injuste de l'empereur, je suis entré diffusément dans l'explication du caractère de cette nation; qu'elle est toujours enchantée de tout ce qui est surprenant; qu'elle n'avait d'autre esprit public pour agir que l'impulsion donnée par le gouvernement; que, d'un autre côté, la nation française elle-même gagnerait beaucoup pour l'intérêt de son commerce si les souverains des deux nations étaient d'une même famille; que si l'empereur se contenait dans de certaines limites d'agrandissement, et s'il consolidait son empire par de bonnes institutions morales, la France l'adorerait, le regarderait comme un libérateur de la ter

rible révolution dans laquelle la nation avait été plongée, bénirait sa dynastie, et regarderait comme une gloire l'occupation de plusieurs trônes de l'Europe par des membres de la famille de son souverain, et que par conséquent l'argument n'effacerait pas mes suspicions; que d'ailleurs nous ne devions jamais oublier que les rois espagnols s'appelaient Bourbons, et qu'ils étaient une branche de l'ancienne maison de France; qu'il existait en France beaucoup de changement dans les fortunes, par la suppression de plusieurs corporations privilégiées, des confiscations et des ventes; car il est certain que presque tous les Français avaient eu plus ou moins de part dans la révolution ; que ces derniers les littérateurs, ceux qui aiment des réformes, les juifs et les protestans, composent la partie la plus nombreuse de la nation. Ils sont maintenant libres de l'oppression qui pesait sur eux avant cette époque; et il est trèsprobable qu'ils regarderont sans chagrin l'anéantissement des Bourbons en Espagne, craignant que l'un d'eux pourrait peut-être un jour contraindre les Français à recevoir malgré eux un prince Bourbon, si l'Espagne était bien gouvernée.

Sur le troisième point, relatif à l'armement

de notre nation, je suis entré encore dans de plus longs détails; j'ai fait voir que, par malheur, depuis Charles V, la nation n'existe plus, parce qu'il n'existait point réellement de corps qui la représentat, ni d'intérêts communs qui la réunissent vers un même but; que notre Espagne était un édifice gothique, composé de morceaux, avec autant de forces, de priviléges, de législations et de coutumes qu'il y a presque de provinces; que l'esprit public n'existe point; que ces causes empêcheraient la formation d'un gouvernement solidement constitué pour réunir les forces, l'activité et le mouvement nécessaires; que les émeutes et les tumultes populaires étaient de très-courte durée; que tous ces troubles produiraient des effets pernicieux dans nos Amériques, parce que les naturels du pays voudraient développer leurs forces et secouer le joug qui pesait beaucoup sur eux depuis la conquête de leur pays; que l'Angleterre même les aiderait, en juste revanche de ce que nous fîmes imprudemment, unis aux Français, pour soulever leurs colonies; qu'on ne devait pas oublier les tentatives du cabinet de Saint-James à Caracas et dans d'autres provinces de notre Amérique; enfin, mon ami, j'ai dit à l'Infantado tout ce qu'on

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