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L'ÉGLISE ET L'ÉTAT EN FRANCE

DEPUIS

L'ÉDIT DE NANTES JUSQU'AU CONCORDAT

(1598-1801)

INTRODUCTION

Le cours que je commence aujourd'hui aura pour sujet : Les rapports de l'Eglise et de l'Etat en France, depuis l'Edit de Nantes jusqu'au Concordat de 1801.

L'Edit de Henri IV a été choisi comme point de départ, parce que c'est lui qui introduisit, pour la première fois, dans la législation nationale le principe moderne de la tolérance, et qu'avec lui finit réellement la période théocratique de notre histoire. Le principe admis par Henri IV pourra bien être, encore une fois, rejeté par Louis XIV: l'ancien système ne sera jamais complètement restauré; il restera en France une question religieuse dont la royauté devra, bon gré mal gré, s'occuper, et la tolérance n'attendra même pas la Révolution pour reprendre place dans nos lois.

Le choix de ce vaste sujet pourra paraître à quelques-uns une témérité; mais ce n'est pas par le vain désir de papillonner autour d'une question brûlante que je me suis déterminé à l'adopter. J'ai des fonctions que je remplis une idée trop sérieuse pour en vouloir faire un divertissement intellectuel, et, dans l'étude que je me suis imposée, n'entre aucune part de dilettantisme.

Voilà plusieurs années que je songe à traiter, ici, cette grande et grave question. Elle est, à mon sens, la plus importante de

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toutes celles qui s'agitent autour de nous; elle est de celles qui passionnent le plus les hommes, qui les divisent le plus profondément, et, comme la lutte passionnée a toujours pour effet de conduire chaque parti aux extrêmes, il est devenu très difficile de distinguer la vérité sous les exagérations et les hyperboles des apologistes et des détracteurs. Ces passions, que je ne partage point, il m'a paru que je n'aurais pas trop de peine à les écarter de mon chemin, et je me suis senti un véhément désir de me frayer un passage à travers tous les obstacles jusqu'à la vérité vraie, jusqu'à cette vérité, pure de mensonges et dépouillée d'illusions, qu'un esprit sain doit avoir le courage d'envisager, et à laquelle il est de son devoir de rendre témoignage, quand il croit l'avoir trouvée et contemplée.

C'est dans cette pensée que je me mets en chemin, sans m'effrayer du formidable labeur auquel je me condamne, sans souci aucun de mon repos personnel, sans crainte des controverses, sans désir de popularité; amplement dédommagé de ma peine par l'intérêt même de la tâche entreprise.

J'avouerai cependant que je n'aurais peut-être pas osé l'entreprendre, si la bienveillance, que vous n'avez jamais cessé de me marquer depuis treize ans, ne m'avait fait espérer que votre sympathie ne me manquera pas, au cours de ce long voyage auquel je vous convie aujourd'hui. Pour que vous sachiez, dès l'instant du départ, avec qui vous ferez route, il m'a semblé loyal de vous exposer à grands traits les idées générales qui me serviront de guides le long du chemin.

L'idée religieuse est, pour moi, la plus belle et la plus noble des préoccupations de l'homme. Elle est le véritable signe de sa supériorité sur tous les autres êtres ; mieux encore que le langage, mieux que la réflexion, mieux que le sens artistique, mieux que les merveilleuses découvertes et inventions réalisées par lui, elle le distingue de la brute, sans conscience et sans idéal. Elever son âme vers l'infini et l'inconnaissable, chercher à deviner à travers les nuées qui l'offusquent le soleil d'intelligence et de bonté qui éclaire et vivifie l'univers, en saisir parfois quelque faible rayon, se sentir à son contact pénétré de confiance et d'allégresse, rempli de bon vouloir et d'énergie: voilà le plus noble usage que l'homme puisse faire de son intelligence, voilà la suprême joie à laquelle il lui soit donné d'aspirer.

On a dit que l'idée religieuse n'est qu'une projection de la conscience, et que, loin de correspondre à une réalité extérieure à

l'homme, c'est en lui et en lui seul qu'elle puise tous ses éléments. Elle ne serait pas la contemplation du divin, elle serait une simple création de notre sensibilité, un vain fantôme évoqué par nos vains désirs de justice et de sanction morale.

Même réduit à ces infimes proportions, l'instinct religieux n'en resterait pas moins une des facultés les plus merveilleuses de l'âme humaine, le chef-d'œuvre de l'imagination.

Mais peut-on admettre un instant qu'une idée aussi universelle, aussi nécessaire à tous les individus et à toutes les sociétés, ne soit qu'une décevante apparence, un mirage aussi trompeur que brillant ? Si notre conscience projette de si purs et si éclatants rayons, n'est-ce pas qu'elle est elle-même un foyer de lumière et de ferveur ? Si elle se crée une image de la divinité, n'est-ce pas qu'elle possède déjà en elle-même je ne sais quoi de divin qui la pousse à chercher bien au-dessus d'elle-même, bien loin par delà ce qu'elle voit, ce qu'elle entend, ce qu'elle constate, ce qu'elle pèse, ce qu'elle mesure, ce qu'elle sait et ce qu'elle comprend, une vérité plus haute et plus magnifique que les vérités accessibles au raisonnement et à l'expérience?

L'idée religieuse peut donc être considérée comme le fruit de la semence divine laissée en nous par l'auteur de la vie. Mais ce fruit ne sera pas le même à travers les âges, il variera suivant les pays et les climats, il variera suivant les peuples et les individus. Grossier et sans saveur chez les hordes sauvages, entouré souvent de dures écorces, noyé dans des pulpes nauséabondes, il deviendra, dans des sols meilleurs et mieux préparés, l'aliment substantiel, le mets exquis et parfumé dont on ne se rassasie jamais.

Comme toutes les idées de l'homme, l'idée religieuse évolue, progresse, se perfectionne et s'épure.

Elle est éternelle, mais ses formes sont transitoires et périssables. Elles paraissent, se développent, se détruisent et meurent pour faire place à d'autres formes, aussi éphémères, qui s'évanouissent à leur tour, après avoir eu leurs jours de gloire. Chacune de ces manifestations de l'idée marque un stade sur la route du progrès infini, et l'humanité monte sans cesse, de religion en religion, vers le divin, qu'elle n'atteindra jamais et dont elle ne doit jamais se lasser de chercher les voies.

Dans cette auguste ascension, les religions positives jouent le même rôle que jouent les hypothèses dans la genèse des sciences. Ce sont des hypothèses métaphysiques et morales. Une critique

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incessante peut finir par les renverser; mais il en reste toujours quelque parcelle, quelque trait, par où elles tenaient à la vérité éternelle, et de ces matériaux précieux, retirés des décombres des systèmes disparus, vont se construisant les systèmes futurs, comme l'astronomie nous enseigne que de la mort des vieux mondes résultera quelque jour un nouvel univers.

L'idée de la succession et du perfectionnement des religions est prouvée par l'histoire et admise dans une certaine mesure par l'Eglise elle-même. Elle paraît, tout d'abord, incompatible avec toute croyance en une vérité révélée; mais, à la bien examiner, on peut voir qu'elle laisse, au contraire, une large place à la révélation, on du moins à une certaine espèce de révélation, que l'on pourrait appeler l'intuition des choses divines.

Si les religions progressent, ce progrès peut tenir, pour une certaine part, au développement de la culture générale de l'humanité; ce progrès tient surtout, à notre avis, à l'influence illuminatrice d'un petit nombre de génies supérieurs, qui sont les plus grands de tous les hommes, qui ont même paru si grands qu'on en a fait des dieux.

Tandis que l'immense majorité des hommes vit dans les basses prairies, courbée, à la manière des bœufs, sous le joug des besoins matériels, quelques privilégiés assis sur la colline, à l'ombre de leur vigne et de leur figuier, lèvent les yeux vers le ciel et devisent avec subtilité sur les mystères de l'infini. Des hommes ardents, moins nombreux encore,, quittent la zone cultivée et fleurie et montent plus avant dans la montagne pour dominer de plus haut la plaine, pour promener leurs regards sur un horizon plus étendu. Il en est enfin deux ou trois peut-être qui se sont hasardés jusque sur les sommets glacés et déserts où nul être avant eux ne s'était aventuré, et qui, de là, ont jeté sur l'espace et sur le monde un regard si perçant et si hardi, que l'espace et le monde leur ont livré quelques-uns de leurs secrets. Ces intrépides chercheurs sont les initiateurs, dont les voix résonnent à travers les siècles; ce sont les grands pasteurs d'hommes, qui ont su rassembler les foules et les faire marcher innombrables et enthousiastes à la conquête d'un idéal nouveau. Leur œuvre a été une œuvre de lumière, ils ont reculé les ténèbres qui entourent l'entendement humain, et c'est en ce sens que nous croyons à la révélation.

On ne saura jamais quand ni comment est née la pensée religieuse, on ne sait pas davantage quand s'éveilla pour la première

fois la première conscience, quand fut proférée la première parole, quand fut allumé le premier foyer. Ce que l'on sait, c'est que la pensée religieuse se manifesta tout d'abord sous une forme grossière et misérable.

Un livre anglais, écrit par Frazer et intitulé le Rameau d'or (1), nous renseigne sur les pratiques superstitieuses en usage chez tous les peuples. Il n'est chose absurde, il n'est pratique insensée ou honteuse dont l'homme ne se soit avisé, et la stupidité et la barbarie lui sont tellement naturelles que les croyances les plus saugrenues et les plus attardées se retrouvent, encore aujourd'hui, chez les peuples les plus policés de l'Europe, aussi bien que chez les sauvages de la Terre de Feu et de la NouvelleGuinée. Ce livre de quatre cents pages n'est qu'un immense répertoire de sottises invraisemblables, qu'on est stupéfait de voir si permanentes et si universelles. On commence par en rire, on finit par en être effrayé, et l'on admire la profondeur de ce mot de Renan, que « la bêtise humaine est peut-être ce qui donne le mieux l'idée de l'infini ».

Nous en serions encore à partager toutes ces erreurs, si les sages ne nous avaient pris par la main pour nous tirer de ce chaos et nous amener à la lumière; mais combien ce fut une tâche dure et désespérée, c'est ce que l'on comprend quand on songe que l'œuvre de salut se poursuit depuis cinq ou six mille ans et paraît encore bien loin d'être achevée.

Les vieux polythéismes indou, assyrien, égyptien, hellénique, romain, gaulois, germanique et scandinave, marquent une nouvelle et importante étape sur la route du progrès. Frappé d'admiration par le spectacle de la nature, l'homme en divinise les forces et attribue une personnalité à ces redoutables puissances, dont il éprouve les effets funestes ou bienfaisants.

Ces religions ont déjà une haute valeur philosophique; les dieux adorés par les premiers civilisés étaient, dans un certain sens, des dieux réels et vivants.

Sensible surtout au phénomène de la fécondation de la terre humide par l'ardeur du soleil, l'Egyptien adresse ses hommages à Osiris-soleil, et à Isis la terre fraîche et fertile, et de leur union naît Horus, la végétation printanière, fille du Soleil et de la Terre. Sous ce mythe se cache une idée juste et vraie. Osiris, Isis, Horus ne

(1) F.-G. Frazer, Le Rameau d'or, étude sur la magie et la religion, traduit de l'anglais par Stiebel et J. Toutain, t. I, Paris, 1903, in-8°.

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