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LA QUESTION PROTESTANTE

DE L'ÉDIT DE NANTES A LA PAIX D'ALAIS

Le 13 avril 1598 est une des dates les plus mémorables de notre histoire. Ce jour-là, Henri IV, étant à Nantes, signa un édit « perpétuel et irrévocable », qui accordait droit de cité dans le royaume à la religion réformée et mettait fin aux guerres religieuses, qui désolaient le royaume depuis 40 ans et avaient failli le perdre.

L'Edit de Nantes se compose de deux actes, signés le 13 avril et le 2 mai 1598. Le premier, en 95 articles, détermine les principes généraux introduits au sujet de la religion dans les lois françaises. Le second, en 56 articles, règle les cas particuliers qui se pouvaient présenter dans l'application. Ces deux édits, scellés du grand sceau de cire verte, devaient être enregistrés par les Parlements comme lois du royaume. Deux brevets, expédiés le 13 et le 30 avril, et garantis seulement par la parole royale, réglaient la question du traitement des ministres et des places de sûreté.

L'Edit de Nantes n'est un document moderne que par le principe de tolérance qu'il inscrit dans nos lois. Rédigé au lendemain d'une terrible guerre civile, il porte encore la trace de la rancune et des défiances des partis, et concède aux protestants des privilèges dangereux pour la sécurité de l'Etat.

Le préambule est conçu dans le style noble et familier à la fois. qu'affectionnait Henri le Grand,

« La fureur des armes, dit le roi, ne compatit point à « l'établissement des lois; mais, maintenant qu'il plaît à Dieu «< commencer à nous faire jouyr de quelque meilleur repos, nous « avons estimé ne le pouvoir mieux employer qu'à pourvoir que «son saint nom puisse être adoré et prié par tous nos sujets; et, <«< s'il ne lui a plu permettre que ce soit pour encore en une même « forme de religion, que ce soit au moins d'une même intention, <«<et avec telle règle qu'il n'y ait point pour cela de trouble ou de <<<< tumulte entre eux. >>

Les huguenots sont obligés, tout premièrement, de tolérer le rétablissement du culte catholique partout où il a été supprimé et de remettre le clergé romain en possession de tous ses biens et de tous ses droits. En retour, la liberté de conscience leur est concédée dans toutes les villes et lieux du royaume et pays de l'obéissance du roi sans être enquis, vexés, molestez, ni astraints à faire chose contraire à leur religion ». Il est défendu aux prédicateurs de les injurier en chaire. Il est défendu dè chercher à suborner leurs enfants. Leurs parents ne peuvent plus les exhéréder pour cause de religion. Ils ne peuvent être plus chargés d'impôts que les catholiques.

Ils sont, comme eux, admissibles à toutes les charges de l'Etat et à tous les emplois publics. Ils peuvent étudier aux Universités, concourir pour l'obtention des grades et enseigner toutes les sciences, excepté la théologie.

Des chambres spéciales sont créées à Paris, Castres, Nérac et Grenoble, pour le jugement de leurs procès. Celle de Paris se composera de 10 conseillers catholiques et de 6 protestants. Les autres seront formées, par moitié, de catholiques et de huguenots. Non seulement personne ne les peut inquiéter pour le fait de religion, mais l'exercice public de leur culte leur est permis dans toutes les villes ou lieux où il a été établi « ou dû l'être » avant le mois d'août 1597, dans deux villes par bailliage ou sénéchaussée au principal domicile des seigneurs « ayant hautejustice et plein fief de haubert » et à tous les nobles dans leurs maisons de campagne, à condition de ne pas réunir pour la cérémonie plus de trente personnes étrangères à leur famille.

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Le culte réformé reste interdit à Paris, où le fanatisme est encore trop grand; mais il est permis à cinq lieues de la capitale. Même à la Cour, les grands seigneurs ont le droit de faire célébrer les cérémonies du culte dans leurs logis, à portes closes, sans psalmodier à haute voix, en évitant tout bruit et tout scandale. Les ministres sont, comme les clercs catholiques, exempts « des gardes, des rondes et logis des gens de guerre et autres << assiettes et cueillettes de taillis ».

Voilà pour les droits légitimes reconnus aux protestants. Voici maintenant pour les privilèges que leur accorde l'Edit:

Ils gardent leurs synodes provinciaux et nationaux, et, si le roi exige que ces assemblées ne puissent se tenir sans son autorisation, il leur promet de ne la leur refuser jamais. Ils obtiennent droit de garnison dans une centaine de places, dont quelques-unes

L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

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très fortes comme Saumur, La Rochelle, Montauban et Montpellier. Les gouverneurs de ces places sont nommés par le roi, mais seront toujours protestants. Les garnisons seront payées par le roi.

Les huguenots restent ainsi organisés en parti, et, si l'on songe qu'ils comprenaient environ la seizième partie de la nation, comptaient dans la noblesse 3.500 gentilshommes dévoués à leur cause et capables de lever 25.000 soldats, à une époque ou l'armée royale sur pied de paix ne dépassait pas 10.000 hommes (Cf. Mariejol, Henri IV et Louis XIII), on est bien obligé de reconnaître que les concessions que leur fit Henri IV ne pouvaient être maintenues, en temps normal, sans un vrai péril pour la chose publique. Mais il faut les envisager comme des mesures transitoires, destinées à calmer les défiances des huguenots et à forcer à la tolérance les catholiques sectaires, qui, suivant le mot du roi, << avaient employé le vert et le sec pour perdre l'Etat ».

Les passions étaient encore si vives de part et d'autre, que le roi eut toutes les peines du monde à faire accepter son édit par les huguenots et par les catholiques.

D'Aubigné écrivait un pamphlet contre la conversion de Sancy, qui avait comme le roi passé au catholicisme. Mornay qualifiait hautement le pape d'Antéchrist. Là où ils étaient puissants, comme en Béarn, les huguenots s'efforçaient d'entraver l'exécution de l'Edit. Partout, ils tentèrent de l'étendre: «Vos amis, << disait le roi à Sully, ne cherchent qu'à gagner toujours pied et <«< au préjudice de mon autorité. Si cela continuait, il vaudrait << mieux qu'ils fussent les rois et nous les assemblées. >>

Du côté catholique, l'irritation était extrême. Le pape Clément VIII traitait l'Edit de la plus maudite chose qui se pût imaginer.

L'agent général du clergé de France demanda à Henri IV « que << Sa Majesté ne permit point que, deçà la Loire, les ministres de «la religion prétendue réformée eussent autre liberté, sinon « de n'être point recherchés ».

Les évêques et le Nonce appuyèrent les réclamations de l'agent général.

L'Université cria au scandale et protesta contre les libertés accordées aux huguenots.

Le Parlement de Paris fit très mauvaise mine à l'Edit, et son premier président Villiers-Séguier se montra si intraitable, que le roi le nomma ambassadeur à Venise pour se débarrasser de lui.

Le Parlement n'en arrêta pas moins, le 5 janvier 1599, de faire des remontrances. Pour prévenir le tapage qui s'en fût suivi, Henri IV le manda au Louvre, le 7 janvier, et, dans une longue harangue, tour à tour paternelle, émue et railleuse, il adjura les magistrats de donner la paix à la France.

« Vous me voyez en mon cabinet, où je viens parler à vous, << non point en habit roial, comme mes prédécesseurs, ni avec « l'espée et la cappe, ni comme un prince qui vient parler aux ambassadeurs étrangers, mais vestu comme un père de famille, << en pourpoint, pour parler franchement à ses enfants... Ce que j'ay à vous dire est que je vous prie de vérifier l'Edit que j'ai « accordé à ceux de la Religion. Ce que j'en ay fait est pour le « bien de la paix. Je l'ay faite au dehors, je la veux au dedans. « Vous me devez obéir, quand il n'y aurait autre considération «que de ma qualité et de l'obligation que m'ont tous mes sujets, et particulièrement vous tous de mon Parlement.... si l'obéis«sance estoit deue à mes prédécesseurs, il m'est deu autant et plus de dévotion, d'autant que j'ay establi l'Estat... Je coup«perai la racine à toutes factions... et je ferai accourcir tous ceux « qui les susciteront. J'ay sauté sur des murailles de villes : je << sauterai bien sur des barricades qui ne sont pas si hautes... Ne << m'alléguez point la Religion Catholique. Je l'aime plus que vous, je suis plus Catholique que vous, je suis le fils aisné de l'Église... Ceux qui ne voudraient que mon Edit passe veulent la << guerre; je la déclarerai à ceux de la Religion, mais je ne la ferai « pas vous irez la faire, vous, avec vos robbes, et ressemblerez « la procession des capussins qui portoient le mousquet sur leurs << habits. Il vous fera bon voir !... Je suis roy maintenant, et parle << en roy et veux être obéi. A la vérité la justice est mon bras « droit; mais, si la gangrène s'y prend, le gauche le doit coupper. Donnez à mes prières ce que ne voudriez donner aux mena«ces; vous n'en aurez point de moi. Faites seulement ce que je « vous commande, ou plutôt dont je vous prie. Vous ne ferez pas seulement pour moi, mais aussi pour vous et pour le bien de la << paix. >>

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Le Parlement résista encore et obtint que la chambre de l'Edit n'aurait à Paris qu'un seul magistrat huguenot. Il enregistra enfin, le 25 février 1599. Grenoble ne céda qu'en septembre, Dijon le 12 janvier 1600, Toulouse le 19 janvier, Bordeaux le 7 février, Aix le 11 août, Rennes le 23. Rouen attendit jusqu'en 1609 pour accepter l'édit.

L'Edit de Nantes est le plus beau titre de gloire de Henri IV. Pour la première fois fut reconnue la liberté d'un culte dissident dans un Etat catholique; mais il faut avouer que la politique y eut plus de part que la philosophie et que, après comme avant l'Edit, les partisans des doctrines contraires restèrent ennemis. Les huguenots s'indignaient de n'être que tolérés, et n'entendaient pas sans chagrin qualifier leur religion de « prétendue réformée ». L'année même de l'Edit, Du Plessis Mornay publia un Traité de l'institution de l'Eucharistie, pour démontrer que le sacrifice de la messe, l'invocation des saints, le purgatoire, étaient des inventions assez récentes de l'Eglise romaine. Le livre fit scandale et irrita tant de gens que le roi s'en fàcha à son tour.

Les catholiques voyaient dans la tolérance accordée aux huguenots une véritable impiété, et appelaient de tous leurs vœux le jour où l'unité de la foi serait rétablie dans le royaume. Ils demeuraient attachés à la chimère de l'unité, qui a suscité tant de querelles et de désordres, et dont nos politiques ne paraissent pas encore désabusés. Comme s'il était possible de réduire à l'unanimité les sentiments de millions d'êtres pensants; comme si la conscience pouvait tolérer le moindre joug; comme s'il était nécessaire, ou même simplement avantageux à l'Etat, que tous les citoyens s'accordent à suivre une même religion, ou à n'en suivre

aucune.

Henri IV, tout le premier, n'appliqua pas l'Edit avec une parfaite loyauté. Il laissa tomber en ruines les murailles des places de sûreté; il réduisit arbitrairement de 160.000 à 50.000 écus la solde de leurs garnisons; il manifesta une grande joie de la conversion au catholicisme de quelques grands seigneurs et ne dissimula pas ses préférences politiques pour le catholicisme. Toutefois, tant qu'il vécut, sa forte main suffit à contenir les factions. Mais la France sentait si bien que la paix était, avant tout, l'œuvre personnelle du roi qu'à sa mort elle crut tout remis en question. Il y eut des gens qui moururent de saisissement, en apprenant l'assassinat de Henri IV. Sully crut que la guerre civile allait recommencer et courut s'enfermer à la Bastille ; des gentilshommes de province prirent les armes et mirent leurs châteaux en état.

La rapide organisation de la régence rassura les esprits. Le 25 mai 1610, huit jours après la mort de Henri IV, Marie de Médicis confirma solennellement l'Edit de Nantes, et rien ne parut tout d'abord changé dans l'allure du gouvernement.

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