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importante qu'à l'érudition, le clergé peut encore citer l'abbé Nollet, l'un des premiers inventeurs du télégraphe électrique (1746), l'abbé Bexon, qui fut un des collaborateurs de Buffon, le P. Sarrabal, botaniste, l'abbé Haüy, créateur de la cristallographie. Dans les lettres, le clergé ne compte qu'un grand nom, et bien peu orthodoxe, l'abbé Prévost; mais son roman de Manon Lescaut est une des œuvres les plus neuves et les plus fortes de la littérature du dix-huitième siècle. Des délicats en ont fait le chefd'œuvre du roman français.

Chose plus curieuse: on trouve des ecclésiastiques jusque dans les rangs des philosophes et des novateurs.

L'abbé de Saint-Pierre écrit tout tranquillement << que l'habi«<tude qu'il a prise de raisonner sur des idées claires ne lui a pas << permis de raisonner longtemps de théologie ». Aumônier de Madame, il pense qu'il a, «< en prenant une charge à la Cour, acheté << une petite loge pour voir de plus près ces acteurs qui jouent, «souvent sans le savoir, sur le théâtre du monde des rôles très <«< importants au reste des sujets. Je vois jouer tout à mon aise les << premiers rôles, et je les vois d'autant mieux que je n'en joue «< aucun, que je vais partout et qu'on ne me remarque nulle << part. Ce qu'il voit ne l'éblouit point. Louis XIV est plutôt pour lui Louis le Redoutable que Louis le Grand. Il ose le dire, et l'Académie l'expulse de son sein. Il n'a pour lui que la voix de Fontenelle. Tout étonné, mais point converti, il fonde le Club de l'Entresol et y porte son horreur de la guerre et du despotisme; l'autorité fait fermer le club en 1731. Vrai stoïcien, plutôt que vrai croyant, l'abbé de Saint-Pierre est surtout célèbre par son Projet de paix perpétuelle, où, devançant nos cosmopolites contemporains, il voulait apprendre aux princes à vivre en frères.

L'abbé Raynal attaque le système colonial en honneur au dixhuitième siècle.

L'abbé Morellet traduit le Traité des délits et des peines de Beccaria et collabore à l'Encyclopédie.

L'abbé Mably met à la mode les républiques de l'antiquité et donne une constitution à la Pologne.

L'abbé Siéyès donne le signal de la Révolution avec sa fameuse brochure Qu'est-ce que le Tiers-Etat?

Mais que sont ces quelques hommes en face de l'armée des philosophes? Ne semble-t-il pas que l'Eglise ne sait plus s'intéresser qu'aux choses du passé et que sa voix n'arrive plus jusqu'à l'âme de la France ?

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LA FIN DU JANSÉNISME

Les partis politiques ou religieux ont parfois, comme les individus, de bien tristes vieillesses et se traînent, décrépits et méconnaissables, au milieu de l'indifférence générale qu'ils essaient en vain de réveiller.

Le jansénisme avait eu, au XVIIe siècle, ses heures de gloire; il connut, dans l'âge suivant, toutes les amertumes des longues agonies. Après avoir enduré les plus douloureuses persécutions, il se survécut si longtemps à lui-même, qu'il finit par lasser l'attention et la pitié et par ne plus exciter que la risée publique. Il ne mourut pas, cependant, sans s'être vengé de ses ennemis; mais, quand on le crut mort, il retrouva un reste de force pour dicter sa dernière volonté : ce fut un testament de haine, dont il ne mesura pas lui-même toutes les conséquences, et qui manqua détruire tout ce qu'il avait cru mettre à jamais en sûreté.

Il n'est pas de plus lamentable histoire, tour à tour tragique et burlesque, monotone et violente; elle étonne d'abord et ne tarde pas à fatiguer l'attention; elle n'intéresse qu'à la manière d'une longue maladie, dont les phases diverses, les crises, les détentes et les rechutes fournissent au médecin un champ d'expériences et d'études, pour ainsi dire illimité.

Nous avons laissé le jansénisme au moment où la paix de Clément IX parut avoir terminé le grand débat qui avait déchiré l'Eglise de France pendant 26 ans, et avait failli aboutir à la suppression de Port-Royal.

Nous savons que cette paix ne reposait que sur une légère condescendance du pape, qui avait accepté les soumissions évasives de MM. d'Angers, de Beauvais, d'Alet et de Pamiers. Louis XIV, jeune et occupé de ses maîtresses et de ses guerres, avait souscrit à la paix, et aimablement reçu M. Arnauld à la Cour; mais le P. Annat voyait dans la paix un grand danger pour la religion, et ses confrères étaient tous de son avis.

Le temps ne devait pas être favorable à Port-Royal. Louis XIV

L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

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n'aimait pas les singularités et trouvait qu'il entendait trop souvent parler de « Messieurs de Port-Royal ». Cette coterie de philosophes et de dévots austères lui devenait de plus en plus antipathique. Il dit, un jour, avec humeur « qu'il viendrait à bout de «< cette cabale, qu'il en faisait son affaire et qu'il serait en cela « plus jésuite que les jésuites eux-mêmes ».

L'archevêque de Paris, M. de Harlay, prélat politique avant tout, s'aperçut bien vite que Port-Royal n'était pas en faveur, et ne se contraignit pas pour le défendre.

· Pendant longtemps, Mme de Longueville intercéda auprès du roi en faveur de Port-Royal; mais, après la mort de la duchesse (15 avril 1679), M. de Pomponne alla trouver M. Arnauld à Paris et lui << dit que le roi n'avait pas approuvé les assemblées qui se faisaient <«< chez Mme de Longueville et où il se trouvait souvent...; que «< cette liaison si grande d'un nombre de personnes avait un air de << parti qu'il fallait empêcher, et que S. M. désirait qu'il vécût << comme les autres hommes et qu'il vit indifféremment toutes << sortes de personnes ».

'Quelques jours plus tard, l'abbé Fromageau, vice-gérant de l'Officialité de Paris, vint à Port-Royal-des-Champs et s'informa courtoisement combien il y avait de religieuses, de novices, de postulantes, d'élèves, et fit cent questions pressantes sur ces Messieurs.

Le mercredi 17 mai, M. de Harlay en personne vint à PortRoyal et ordonna à la supérieure, de la part du roi, de renvoyer toutes les pensionnaires et toutes les postulantes. « On par<< lait toujours de Port-Royal, de ces Messieurs de Port-Royal; le «roi n'aimait pas ce qui faisait du bruit... Il ne voulait pas de << ralliement, un corps sans tête était toujours dangereux dans <«< un Etat, il voulait dissiper cela, et qu'on n'entendit plus tou<«< jours dire: Ces Messieurs, ces Messieurs de Port-Royal. »

Après les élèves et les novices, ce fut le tour des confesseurs et de ces Messieurs. Ils durent aussi abandonner le sacré vallon. En deux mois, 66 personnes quillèrent Port-Royal, qui ne fut plus désormais que l'ombre de lui-même.

Ne pouvant plus l'habiter, ses amis s'y faisaient enterrer. Reposer là était, à leur avis, reposer en terre plus sainte. Les jours ne suffisaient plus aux messes des morts, aux trentaines, aux bouts de l'an. L'enceinte du monastère ne suffisait plus aux enterrements. (Sainte-Beuve.) — « La maison de Dieu semble se « détruire, disait Arnauld en parlant de tous ces morts; mais

elle se bâtit ailleurs. Les pierres se taillent ici, mais c'est pour être placées dans l'édifice céleste. >>

La mort de M.de Harlay et la promotion de M.de Noailles à l'archevêché de Paris semblèrent promettre à Port-Royal des jours plus heureux; mais, si le nouveau prélat était plus vertueux et plus doux que M. de Harlay, il était aussi moins habile et moins. ferme, et devait passer tout son temps à donner aux jansénistes des espérances vaines qu'il ne réalisait point, et à donner aux jésuites des satisfactions forcées qui ne les satisfaisaient pas.

Il alla, le 20 octobre 1697, visiter Port-Royal et en revint grandement édifié ; mais il n'eut pas assez de crédit auprès du roi pour faire rétablir le noviciat supprimé en 1679. Louis XIV ne désarmait pas. Ayant appris en 1699 que la comtesse de Grammont avait été faire une retraite à Port-Royal, il la raya de la liste des dames invitées à Marly, en disant sèchement : « On ne doit point aller à Marly, quand on va à Port-Royal ».

Le monastère, abandonné à lui-même, se dépeuplait rapidement et mourait de langueur; mais il n'était pas écrit qu'il devait avoir une si douce mort.

Un petit événement imprévu vint, en 1701, raviver la vieille querelle janséniste et précipiter Port-Royal dans de nouveaux malheurs.

M. Eustace, confesseur des religieuses, homme simple et piètre théologien, soumit à la Sorbonne un cas de conscience extraordinaire. Il demandait si le silence respectueux, à l'égard de la question de fait, dans l'affaire du jansénisme, suffisait pour obtenir l'absolution. Quarante docteurs répondirent affirmativement. Tout paraissait fini; mais, l'année d'après (1702), un boute-feu inconnu imprima cette belle consultation et la fit précéder d'une préface agressive et menaçante, qui réveilla toutes les fureurs d'autrefois.

La consultation imprimée arriva à Rome aussitôt qu'à Paris. Le pape Clément XI la condamna et en avertit aussitôt l'archevêque de Paris, qui la condamna aussi par mandement spécial. Les quarante docteurs qui l'avaient signée la « désignèrent », sauf un, le docteur Petitpied, que son obstination fit chasser de la Sorbonne.

Eustace, effrayé de l'avalanche qu'avait entraînée la petite pierre lancée par lui, prit peur de son ouvrage, quitta Port-Royal en 1705 et se réfugia, sous un nom d'emprunt, à l'abbaye d'Orval, où il vécut douze ans dans les regrets et la pénitence.

C'était fort bien; mais les jansénistes se voyaient obligés main

tenant de jurer que les cinq propositions condamnées se trouvaient réellement dans l'Augustinus, et il y en avait qui étaient prêts à mourir sans sacrements plutôt que de prêter un pareil

serment.

Au moment même que la querelle recommençait, un janséniste de marque, le P. Quesnel, fut arrêté à Bruxelles par ordre de Philippe V, roi d'Espagne, et tous ses papiers furent portés à Paris chez les jésuites. On y trouva la preuve d'une très grande activité clandestine, on s'y vit en présence d'une vraie société secrète, et ces papiers, « déchiffrés, pétris,torturés et passés à l'alambic dans << une espèce de cabinet noir ad hoc, puis classés par extraits, << présentés par doses au roi, lus, relus, mitonnés chez Mme de << Maintenon tous les soirs pendant dix ans », convertirent si bien le roi qu'il en arriva à préférer un athée à un janséniste.

Il demanda avec instances au pape une nouvelle et plus solennelle condamnation du silence respectueux. Le pape lança, le 15 juillet 1705, la bulle Vineam Domini Sabaoth. L'assemblée du clergé la reçut avec respect, le Parlement, la Sorbonne, les évêques y accédèrent; mais les dames de Port-Royal ne voulurent rien entendre et refusèrent de souscrire au mandement de l'archevêque de Paris, qui leur signifiait la bulle (21 mars 1706).

Le roi, par arrêt de son Conseil, leur réitéra la défense d'entretenir des novices. Une visite du monastère eut lieu par son ordre. On lui confisqua le plus clair de ses revenus. On ne lui laissa pas 2.000 livres pour assurer la subsistance de 36 personnes. Les vieilles religieuses, abandonnées de l'archevêque, qui les regardait comme des rebelles, se défendirent comme des lions, soutenant leur droit en cour de Parlement. Leur avocat-conseil fut arrêté à Port-Royal même et mis à la Bastille. On les priva des sacrements, et l'abbé Crès, chapelain de Saint-Jacques-L'hôpital à Paris, qui leur portait clandestinement la communion, n'évita la Bastille qu'en se cachant en province sous l'habit civil et sous un faux nom. Le roi réclama avec obstination auprès du pape pour obtenir l'extinction du monastère. Clément XI ayant accordé une première bulle d'extinction, qui permettait aux religieuses de rester à Port-Royal jusqu'à leur mort, Louis XIV en réclama une autre, ordonnant la dipersion immédiate.

Le 29 octobre 1709, M. d'Argenson, lieutenant de police, se transporta à Port-Royal accompagné d'un commissaire et de deux exempts. Il se fit livrer les clefs et les archives du monastère et ordonna à la prieure de réunir toute sa communauté. Il y avait

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