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LA QUESTION PROTESTANTE

ET LE RÉTABLISSEMENT DE L'ÉDIT

Par un dernier édit, en date du 8 mars 1715, Louis XIV avait déclaré relaps quiconque voudrait persister et mourir dans la religion prétendue réformée, soit qu'il eût fait abjuration ou non... « le séjour que ceux qui ont été de la religion prétendue « réformée, ou qui sont nés de parents religionnaires, ont fait «dans notre royaume, depuis que nous avons aboli tout exercice « de ladite religion, étant une preuve suffisante qu'ils ont « embrassé la religion catholique, apostolique et romaine, sans <«< quoi ils n'y auraient été ni soufferts ni tolérés. »>

Ce texte fixa le droit officiel jusqu'en 1787, et en vertu de cette fiction légale qu'il n'y avait plus de protestants en France, et que ceux qui faisaient acte de protestantisme étaient des relaps; l'autorité resta toujours maîtresse de mettre les protestants hors la loi, quand elle le voulut. Ce fut pour eux surtout que l'ancien régime fut le régime du bon plaisir.

Les laïques et les clercs n'eurent pas à leur sujet tout à fait les mêmes idées. Les hommes d'Etat voyaient surtout dans l'unité religieuse une affaire politique. Déjà remplis de l'esprit autoritaire et tracassier qui sera l'esprit jacobin, ils ne voulaient pas admettre que l'on pût être un bon sujet du roi, si l'on pensait autrement que Sa Majesté en quelque matière que ce fût; mais, comptant le dogme pour peu de chose et ne comprenant pas la dignité de la conscience personnelle, ils se contentaient parfaitement d'une adhésion de forme, qui supprimait en apparence les difficultés et leur permettait de répéter leur axiome favori : « Il n'y a plus de protestants ».

Les clercs voyaient surtout dans la révocation une affaire religieuse. Considérant toujours le protestantisme comme une erreur qui conduisait les âmes à leur perte, voyant dans l'hérésie un vrai crime contre l'Eglise de Dieu et Dieu lui-même, le silence respectueux ne leur suffisait point. Ils voulaient davantage. Ils vou

laient une conversion vraie, siucère, absolue; et voilà pourquoi, prenant la question bien plus au sérieux que les politiques, ils étaient plus intransigeants et plus tyranniques.

Ces deux influences se manifestèrent tour à tour pendant les deux premiers tiers du dix-huitième siècle et rendirent la position des protestants véritablement intenable.

Quand l'autorité civile était laissée à elle-même, les protestants pouvaient cesser de fréquenter les églises et les sacrements, négliger d'envoyer leurs enfants au catéchisme; les Parlements acceptaient les certificats de mariages protestants, déclaraient légitimes les enfants issus de ces unions, les mettaient en possession de l'héritage de leurs parents.

Quand l'influence du clergé redevenait toute-puissante, on ramenait les huguenots à l'Eglise, on remettait en vigueur les lois sanguinaires de Louis XIV, on courait sus aux assemblées, on les dispersait à coups de mousquet, on arrêtait les ministres, on les pendait, on fouettait comme gens scandaleux les époux mariés devant l'Eglise réformée, on traitait leurs enfants d'illégitimes, on leur refusait les biens de leur famille pour les adjuger à des collatéraux sans scrupules.

Ces revirements, véritables saules de vent, s'opéraient tout d'un coup, sans que rien les annoncât; la tempête éclatait au moment où l'on commençait de se rassurer et de croire enfin close l'ère des massacres et des persécutions.

On comprend, à l'extrême rigueur, qu'un prince aussi dévot et aussi peu éclairé que Louis XIV ait cru bien agir en combattant l'hérésie; mais on s'explique beaucoup moins qu'un sceptique comme le Régent ait persévéré dans un si odieux système. Philippe n'était ni fanatique, ni cruel; on dit qu'il eut un moment l'idée de rétablir l'Edit de Nantes, mais il lui parut que, puisque le mal était fait, il serait impolitique de revenir sur une mesure déjà vieille de trente ans, que ce serait se lancer dans une aventure inutile, se mettre à dos tout le clergé, troubler le royaume, à peine remis des convulsions de la guerre de succession d'Espagne. Il laissa subsister l'Edit de Révocation, mais assura aux religionnaires « qu'il espérait trouver dans leur bonne conduite « l'occasion d'user de ménagements conformes à sa prudence ». Plusieurs forçats pour cause de religion furent délivrés, la sortie. du royaume devint libre et les intendants de Dauphiné, Guyenne et Languedoc, qui voulaient continuer le système des dragonnades, furent rappelés à la modération.

Tant que le Régent vécut, il y eut une sorte d'accalmie, mais après sa mort, Lavergne de Tressan, son ancien aumônier, acolyte de Dubois, parvenu par intrigue à l'évêché de Nantes et pourvu de 76 bénéfices ecclésiastiques, imagina de refaire sa propre réputation en recommençant les persécutions un moment interrompues. Le duc de Bourbon, alors premier ministre, l'écouta, et le 14 mai 1724 parut un édit tellement barbare que les lois de Louis XIV parurent dépassées. Peine de mort contre tout prédicant, peine des galères contre quiconque lui donnerait asile, baptême, mariage, extrême-onction catholiques et obligatoires; formation d'une caisse avec les biens confisqués aux religionnaires pour récompenser leurs dénonciateurs et venir en aide aux convertis (1).

L'édit était si féroce et si bas, qu'il ne fut jamais pleinement obéi; mais il donna lieu à d'innombrables violences.

Fleury, qui succéda bientôt au duc de Bourbon, se montra plus tolérant, mais ne supprima aucune des lois en vigueur. Il n'y eut, de 1726 à 1744, que des persécutions locales, caprices d'autorité d'intendants trop zélés ou fanatiques.

En 1744, un synode protestant fut tenu dans un lieu écarté du Bas-Languedoc et compta des délégués de presque toute la France. Près de dix mille fidèles assistèrent au prêche qui suivit l'assemblée.

La Cour prit peur, et, au mois de février 1745, deux ordonnances royales vinrent encore enchérir sur tous les précédents edits. Toutes les peines déjà portées contre les ministres furent rappelées et tous les protestants habitant une localité où un ministre serait arrêté menacés d'une amende de 3.000 livres.

Les années qui suivirent furent marquées par une recrudescence de cruauté. Les enlèvements d'enfants se multiplièrent dans les provinces, et prirent en Normandie une telle extension que six cents familles s'expatrièrent. Les Parlements de Grenoble, de Bordeaux, de Toulouse, les intendants de Saintonge, de Guyenne, de Dauphiné, de Quercy et de Languedoc poursuivirent sans relâche les réformés qui avaient fait bénir leurs mariages et baptiser leurs enfants au désert.

Une assemblée fut dispersée à coups de mousquet, le 17 mars 1745, à Mazamet.

En deux ans (1745-46) le Parlement de Grenoble condamna 300

(1) Cf. G. de Félice, Histoire des protestants de France, Toulouse, 1880, in-8°.

personnes au fouet, à la dégradation de noblesse, à la prison, aux galères, même à la mort pour cause de religion. En quatre ou cinq ans, les amendes infligées aux protestants du Dauphiné montèrent à 200.000 livres. Nimes paya pour sa part plus de 60.000 livres.

Plusieurs ministres furent condamnés à mort. Louis Ranc, âgé de 26 ans, fut pendu à Die au mois de mars 1745; Jacques Roger, âgé de 70 ans, mourut peu de temps après avec le même courage.

En 1751, Guignart de Saint-Priest, intendant de Languedoc, entreprit une campagne de rebaptisation des enfants et de rebénédiction des mariages, qui donna lieu à de nouvelles dragonnades. Les réformés récalcitrants reçurent des cavaliers dans leurs maisons avec ordre de leur payer 4 livres par jour. On traînait de force à l'église des enfants de quinze ans pour les rebaptiser. A Lussan, on les enferma sous clef dans l'église, et l'un d'eux s'exaspéra jusqu'à dire au curé qu'en le voyant, il croyait voir le diable.

Quelques paysans cévenols reprirent alors le mousquet en déclarant qu'au premier acte de violence contre leurs enfants, il y aurait du sang répandu. Ni les prêtres ni les soldats n'en tinrent compte. Les Cévenols se mirent en embuscade, et, voyant passer quelques prêtres qui servaient de guides à la maréchaussée, ils firent feu sur eux, aux environs de Lédignan, le 10 août 1752. Trois prêtres furent blessés, dont deux mortellement.

Versailles s'émut et s'inquiéta, eut peur d'une guerre civile, et l'entreprise des rebaptisations fut abandonnée, cette fois pour toujours. L'orthodoxie de parade des ministres n'allait pas jusqu'à risquer une seconde guerre des camisards.

Les mœurs s'adoucissaient peu à peu ; les magistrats avaient déjà peine à dissimuler leur horreur pour la sinistre besogne qu'on leur imposait. Obligé de condamner au gibet le ministre Desubas, l'intendant de Languedoc lui disait : « C'est avec dou«<leur, Monsieur, que nous vous condamnons; mais ce sont les « ordres du roi. Je le sais, Monsieur, répondait simplement le << pasteur. >>

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Le 21 décembre 1750, sept pasteurs adressèrent à Louis XV une respectueuse requête, où ils exposaient leurs souffrances et les injustices dont ils étaient victimes: « Vos troupes nous pour<< suivent dans les déserts comme si nous étions des bêtes « féroces; on confisque nos biens; on nous enlève nos enfants';

<< on nous condamne aux galères; et, quoique nos ministres nous << exhortent sans cesse à remplir nos devoirs de bons citoyens et « de fidèles sujets, on met leur tête à prix et, lorsqu'on peut les << arrêter, on leur fait subir les derniers supplices. >>

Un magistrat, Rippert de Montclar, procureur généra! au Parlement d'Aix, faisait observer avec raison que les protestants étaient persécutés, alors que les Juifs jouissaient en France de la paix religieuse.

En 1755, le prince de Conti se proposa d'intervenir auprès du roi en faveur des réformés; Paul Rabaut, pasteur de Nimes, fit le voyage de Paris et eut deux entrevues avec le prince; mais Conti désespéra de rien obtenir, et les négociations de Rabaut n'eurent pas de suites.

Un peu plus tard, quelques réformés engagèrent Rousseau à plaider devant la nation la cause des protestants. La réponse de Rousseau n'est pas à son honneur: « Vous ignorez sans doute, « Monsieur, que l'homme à qui vous demandez de beaux placets «et de belles lettres, tourmenté de la maladie la plus doulou« reuse qui soit connue des hommes, est dans un état de dépé«rissement qui lui permet à peine, à chaque jour, d'en espérer « un autre... Plaiguez-moi, priez pour moi, Monsieur, je vous en << supplie, mais n'exigez pas d'un homme accablé de ses maux « des soins qu'il n'est pas en état de remplir. >>

Son correspondant, Ribalte-Charon, revint à la charge et pensa le gagner en lui racontant les souffrances des réformés. Rousseau n'en fut pas plus ému: — « J'ai quelque peine à croire, « répondit-il, que ces furieux dont vous me parlez se portassent « à ce point de cruauté si la conduite de nos frères n'y donnait « quelque prétexte. Je sens combien il est dur de se voir sans « cesse à la merci d'un peuple cruel, sans avoir même la conso<<<lation d'entendre en paix la parole de Dieu; mais cependant, « Monsieur, cette même parole est formelle sur le devoir d'obéir « aux lois des princes. La défense de s'assembler est incontes« tablement dans leurs droits et, après tout, ces assemblées << n'étant pas de l'essence du christianisme, on peut s'en abstenir << sans renoncer à sa foi... Je ne ferais par un zèle indiscret que « gâter la cause à laquelle je voudrais m'intéresser. Les amis de la vérité ne sont pas bien venus dans les cours. Chacun a sa « vocation sur la terre. La mienne est de dire au public des « verites dures, mais utiles, sans m'embarrasser du mal que les mechants me font quand ils le peuvent. J'ai préché l'humanité,

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