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Mais à la place du Béarnais, fin et rusé, régnait une femme bornée et têtue, et les protestants, qui avaient toujours cherché à étendre l'Edit, ne purent résister à la tentation d'accroître leur influence.

La reine leur ayant permis de tenir une assemblée générale à Saumur, le 25 mai 1611, pour élire six personnes, parmi lesquelles le gouvernement choisirait les deux agents généraux de la Religion à la Cour, les protestants en profitèrent pour perfectionner leur administration et lui donner un caractère plus pratique et plus fort. Ils imaginèrent de grouper les provinces par trois ou quatre, sous le nom de cercles, et placèrent à la tête du cercle une assemblée de délégués, élus par leurs conseils de province, parmi les députés de la noblesse et du Tiers. Par cette innovation, sitôt qu'une province se trouvait lésée dans ses intérêts religieux, elle avait à portée une autorité toute désignée à laquelle elle pouvait s'adresser, et le gouvernement se trouvait aussitôt, non plus en face d'une province isolée et impuissante, mais d'une petite coalition de trois ou quatre provinces disposant de ressources considérables. Parmi les membres de la noblesse qui avaient poussé le plus fortement à la création des cercles, figurait le jeune duc de Rohan, gendre de Sully, que son éloquence et ses talents désignèrent bientôt à tous comme le véritable chef du parti huguenot.

Avec une très grande clairvoyance politique, le duc signala à l'assemblée le rôle que la France catholique, mais tolérante, pouvait jouer en Europe comme protectrice des réformés, et médiatrice entre les Etats catholiques : « Qu'un roy de France, disait-il, « se rende aujourd'huy persécuteur de nostre religion, il en perd la protection parmi toute la chrestienté, enrichit de ce titre. quelqu'un de ses voisins, n'augmente de créance parmi ceux de « l'Eglise romaine et ruine entièrement son royaume... Je dys < plus que la situation de France au milieu des aultres royaumes « et l'exercice libre de nostre religion en iceluy acquièrent sans « difficulté à nos rois l'autorité et créance, qu'ils ont parmi tous, « de protecteurs de l'Europe, laquelle ils maintiendront autant de temps qu'ils nous traicteront bien. »><

Cette vue était si juste et si profonde que Richelieu n'aura pas, en somme, d'autre politique; mais la reine mère et les gens de petit génie qui l'entouraient, n'aimaient pas les protestants et avaient grand'peur de la maison d'Autriche, formidable puissance maîtresse de l'Espagne, dominante en Italie, largement assise en

Allemagne et aux Pays-Bas, et qui possédait de telles ressources qu'il fallut, un peu plus tard, quarante ans de guerre pour l'abattre.

Marie de Médicis trouva plus facile et plus naturel de se rapprocher de l'Espagne que des protestants, et elle décida de marier sa fille Elisabeth au prince des Asturies, D. Philippe, et le roi à l'infante Doña Ana. Des fêtes magnifiques, telles que Paris n'en avait pas vu de longtemps, marquèrent la conclusion des mariages espagnols. Le jeudi 5 avril 1612, sur la place Royale, tout récemment bâtie, les chevaliers de la Gloire et les soutenants du château de la Félicité paradèrent devant toute la cour. A la nuit, on mit le feu au château de la Félicité, tout rempli d'artifices, et dont la décoration changea plusieurs fois tandis qu'il brûlait. Le vendredi eut lieu dans Paris une grande cavalcade. Il y eut le soir salve de 200 coups de canon, feu de joie en place de Grève et illumination de la ville avec « lanternes faites en papier « de couleur, en si grande quantité et à chaque fenestre, que << toute la ville sembloit estre en feu. >>

Mais, quand la reine voulut procéder à l'exécution des mariages, les protestants prirent peur. L'alliance espagnole semblait les menacer de persécution. On voyait circuler des livres qui attribuaient tous les malheurs de la France à la liberté de conscience; on craignait avec l'influence espagnole la mutilation, ou la révocation de l'Edit, on entrevoyait le spectre de l'Inquisition, « plus insupportable aux esprits nés libres el « francs, comme sont les Français, que les plus cruelles morts. >> Le prince de Condé, les ducs de Bouillon, Longueville et Mayenne, étaient en insurrection ouverte. Les huguenots se joignirent à eux pour empêcher le mariage du roi.

Le 21 août 1615, l'assemblée protestante, réunie à Grenoble, invita le roi, parti de Paris le 17, à ne pas continuer son voyage vers Bordeaux.

Le 15 octobre, l'assemblée, transférée à Nîmes, envoya aux provinces l'ordre de s'insurger, et signa un traité d'alliance avec les princes, le 2 novembre, à Sanzay.

Mais les huguenots ne partageaient pas tous les sentiments de l'assemblée; la prise d'armes ne fut pas générale, Les diguières, gouverneur du Dauphiné, offrit 6.000 hommes u roi pour combattre ses coreligionnaires. Le parti protestant se compromit sans réussir à empêcher le mariage du roi, qui fut célébré à Bordeaux, le 28 novembre. Au traité de Loudun (3 mai 1616), les

huguenots obtinrent quelque argent et l'octroi pour six ans encore de leurs places de sûreté; mais ils ne purent même faire changer le nom de « prétendue réformée », que le gouvernement donnait toujours à leur religion, et ils s'aliénèrent à jamais l'esprit du roi, qui commença à voir en eux des sujets rebelles. Trois mois après l'assassinat de Coucini, qui l'avait rendu maître de ses mouvements, le 25 juin 1617, le roi ordonna la restitution à l'Eglise catholique des anciennes terres ecclésiastiques occupées en Béarn par les protestants. Les Etats de Béarn invoquèrent l'appui des assemblées protestantes. L'assemblée générale de Loudun (sept. 1619) fit des remontrances au roi et défendit aux jésuites de prêcher dans les villes de sûreté.

En 1620, après avoir pacifié la Normandie, pris Caen, un des boulevards du protestantisme dans l'Ouest, et fait la paix avec sa mère, Louis XIII marcha en personne sur le Midi. Il avait dix-neuf ans, et la vie des camps éveillait en lui des instincts guerriers que personne ne lui avait soupçonnés jusque-là. Ce taciturne, ce timide, se révélait le vrai fils de Henri IV et se plaisait mieux au bruit de la bataille qu'aux fêtes de la cour.

Il manda près de lui à Bordeaux le gouverneur de Béarn, La Force, et conclut avec lui un accommodement; mais le Parlement de Pau resta intraitable et refusa d'enregistrer l'édit de restitution des biens ecclésiastiques. « Allons à eux!» dit joyeusement Louis XIII, et prenant avec lui tout ce qu'il avait de troupes sous la main, il marcha droit sur Pau, où il entra sans coup férir.

Pau était la ville natale de son père, la principale cité de Béarn et l'ancienne résidence des rois de Navarre, dépossédés depuis 1512 de leurs domaines espagnols. La Navarre avait été divisée en deux parts. Les quatre provinces de Pampelune, Sanguesa, Estella et Tudela, situées au sud des Pyrénées, avaient été réunies au royaume de Castille; la province d'Ultra-Puertos, située au nord des Pyrénées, était restée aux mains de Henri d'Albret, aïeul maternel de Henri IV.

Pendant tout le seizième siècle, les Albret, rois de Navarre, - princes de Béarn, comtes de Foix, de Bigorre, de Marsan, Tursau et Gavardan et lieutenants du roi en Guienne, avaient été les vrais maîtres du Midi et avaient donné au château de Pau une allure vraiment royale. Ils avaient préféré Pau aux autres villes de leurs Etats, parce que Pau était la capitale du Béarn, et que le Béarn avait toujours passé pour une principauté indépendante

de la couronne. Le comte Gaston Phébus, allié du roi Jean, s'était laissé mettre à la tour du Louvre plutôt que de prêter l'hommage au roi de France. Ces souvenirs étaient encore très vivants en Béarn, la mémoire de Henri IV y était adorée, le calvinisme y était tout-puissant et le peuple très désireux de garder son autonomie.

Cependant rien ne tint devant le roi.

Le Béarn ne se sentit pas de taille à lutter contre la France. Louis XIII fit enregistrer son édit par la cour de Béarn, fondit les deux cours de Navarre et de Béarn en un Parlement royal de Pau, mit un gouverneur catholique à Navarreinx, déclara le Béarn réuni à la France, et, pour montrer à tous que sa résolution était irrévocable, fit démeubler le château de Pau.

Devant ce coup d'Etat, les protestants s'émurent. L'assemblée générale de La Rochelle divisa la France protestante en huit départements militaires, ayant chacun leur chef, et déclara la guerre au roi (1621).

L'armée royale occupa Saumur, Saint-Jean-d'Angely, et assiégea inutilement Montauban, défendu par La Force et le ministre Chamier. Le connétable de Luynes mourut de la fièvre pourpre sous les murs de Monheur (15 déc. 1621).

Après une nouvelle année de guerre très sérieuse, la paix de Montpellier vint, une fois de plus, confirmer l'Edit de Nantes, accorda aux protestants le droit de tenir sans autorisation leurs assemblées religieuses et leur laissa intactes leurs deux grandes places de Montauban et de La Rochelle.

Les huguenots avaient montré leurs forces et sortaient presque vainqueurs de ce redoutable conflit; cependant certains indices. permettaient de croire que leur parti était déjà ébranlé. L'assemblée de La Rochelle n'avait point été partout obéie. Lesdiguières s'était bruyamment converti au catholicisme, pour l'épée de connétable, et beaucoup de grands avaient fait comme lui pour de moindres grâces. Nimes, Uzès, Castres et Millau perdaient la moitié de leurs remparts. Les catholiques accusaient les huguenots de vouloir créer une République hérétique au sein du royaume catholique, et l'hostilité contre eux allait croissant au lieu de s'atténuer.

Au moment même où la paix de Montpellier rétablissait l'ordre en France (18 oct. 1622), commençait à s'établir le pouvoir d'un homme d'Eglise, qui a été le plus grand politique de notre pays.

Armand du Plessis de Richelieu, né à Paris le 9 septembre

1585, appartenait à une famille de simples gentilshommes du Poitou, qui passaient, auprès de leurs voisins, pour violents et querelleurs. Après avoir voulu être d'épée, il se résigna à être d'Eglise pour garder dans sa maison le méchant petit évêché de Luçon, que son frère Alphonse quittait pour se faire chartreux. Orateur du clergé aux Etats de 1614, il y annonçait déjà ses hautes ambitions en réclamant pour les gens d'Eglise une part dans les conseils de l'Etat, « puisque leur profession sert beaucoup à les « rendre propres à y être employés, en tant qu'elle les oblige << particulièrement à acquérir de la capacité, être pleins de pro«bité, se gouverner avec prudence... et que gardant le célibat <«< comme ils font, rien ne les survit après cette vie que leurs âmes, qui, ne pouvant thésauriser en terre, les obligent à ne << penser ici bas, en servant leur roi et leur patrie, qu'à s'acquérir pour jamais, là haut au ciel, une glorieuse et du tout parfaite récompense. >>

Ce pouvoir qu'il ambitionnait, Richelieu mit dix ans à le conquérir, et la lutte qu'il soutint contre la fortune fut si apre et si acharnée que sa santé y succomba. Au moment même qu'il paraît a la cour et qu'il est fait cardinal (5 sept. 1622), il est déjà vieilli et comme brûlé par le génie et l'ambition. L'empire absolu qu'il a voulu prendre sur lui-même l'a jeté dans une incessante contention d'esprit, un travail acharné a consumé ses forces; il souffre de migraines terribles, l'estomac fonctionne mal, les reins sont pris, et cet admirable esprit, ce vaste courage, cette ambition géniale et passionnée n'habitent qu'un corps déjà plus qu'à demi ruiné.

Le cardinal de Richelieu a été le vrai créateur de la grandeur française, et tout patriote doit saluer avec un infini respect cette grande figure de notre histoire; mais le philosophe peut s'arrêter aussi à le considérer avec complaisance et trouvera en lui un de ces hommes qui font honneur à l'homme.

Michelet a dit de lui « qu'il n'était pas bon ». C'est vrai, si l'on entend par bonté l'émotivité facile, ce qu'on appelait au XVIe siècle la sensibilité. Mais, si l'on se fait de la bonté une idée plus virile, si l'on voit en elle un penchant naturel à la générosité, contenu et guidé par le sentiment du devoir, nul ne pourra refuser à Richelieu d'avoir cherché le bien avec une intelligente et persévérante volonté. Il a une part dans le mouvement charitable qui est une des gloires de son époque. Il a aimé l'honneur, la probité et la justice. Il a été un ami fidèle et magnifique. On

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